L'ÉDUCATION EST-ELLE ENCORE UNE PRIORITÉ POUR LA FRANCE ?
CDD 35
L’EDUCATION EST-ELLE ENCORE UNE PRIORITE POUR LA FRANCE ?
Ma précédente chronique consacrée à l’aide publique française et à ses insuffisances en matière éducative se trouve éclairée par le récent bilan que vient de faire l’AFD (Agence Française de Développement) elle-même quant à son action en matière de formation pendant l’année 2022.
Ce bilan est doublement intéressant. D’une part il montre la part relativement modeste qu’occupe l’éducation dans cette aide publique au développement, d’autre part il pose la question des priorités qui sont attachées aux différentes actions éducatives (www.afd.fr -Bilan d’activité 2022 Éducation, Formation, Emploi -Mai 2023).
Restons cette fois en France, même si l’Afrique ne sera pas absente de nos préoccupations. Mais le ministère de l’Éducation nationale vient de publier une note faisant le point sur la situation du pays au regard des objectifs éducatifs définis pour 2030 par l’Union Européenne (cf. Note DEPP n°23.20 – Mai 2023 – www.education.gouv.fr/etudes-en-statistiques ). La France y apparait en situation relativement satisfaisante quant aux niveaux les plus quantitatifs de la scolarisation mais, comme malheureusement pour d’autres enquêtes, elle se situe encore en-deçà des objectifs 2030 sur des aspects plus qualitatifs.
Ces deux sujets appellent immédiatement une question : à considérer les difficultés de la France à traiter sa principale préoccupation, les inégalités en matière éducative, comme à faire de l’éducation un axe fort de son aide publique au développement, peut-on encore dire que ce domaine est une priorité pour la France ?
Une aide sans priorités réelles
La première interrogation porte sur l’affirmation de l’AFD elle-même que son action porte sur « l’ensemble du continuum éducatif », enseignement primaire et secondaire, enseignement supérieur, formation professionnelle, auxquels s’adjoignent l’insertion sur le marché du travail par l’emploi et l’entrepreneuriat. C’est considérable et l’on peut à juste titre se demander si ce choix est judicieux tant il fait courir le risque d’une aide forcément éparpillée face à d’immenses besoins. On plaiderait donc ici volontiers pour une action plus ciblée, éventuellement variable selon les pays concernés. Il pourrait par exemple apparaître plus logique de considérer que les sphères de l’enseignement de base obligatoire relèvent pleinement des responsabilités gouvernementales et de centrer l’aide sur l’enseignement supérieur et la recherche voire la formation professionnelle, autre grande absente de la plupart des politiques éducatives africaines. Cela apparait d’autant plus justifié que le montant global de l’aide en 2022 dans ce domaine n’a porté que sur 629 M€. Même si 82% de ces financements sont consacrés à l’Afrique, rapportés au nombre de pays concernés et à l’immensité des besoins, leur intervention peut n’apparaitre qu’avec des effets marginaux.
L’AFD pourra certes faire valoir que ce niveau d’aide rejoint enfin celui de 2019 après des années 2020 et 2021 nettement plus restrictives – probablement du fait de la pandémie – mais pour autant cela ne modifie pas le caractère marginal de l’aide apportée dans un domaine aussi vaste. D’autant que la nature de l’outil financier utilisé n’exonère qu’en partie l’effort du pays concerné puisque sur ces 629 M€, seuls 264 M€ sont versés en subventions. Le reste l’est en prêts souverains, donc en remboursement à charge du pays.
Un effort louable sur la formation professionnelle mais quels résultats ?
Il résulte de ce caractère dispersé que l’aide ne peut identifier des priorités réelles. Si l’on regarde en effet la répartition des 629 M€, le contingent le plus important concerne la formation professionnelle (254M€). Il représente 40% contre 143 M€ à l’insertion par l’emploi (23%), 130 M€ à l’éducation de base (21%) et 100 M€ seulement à l’enseignement supérieur (16%). On pourrait en conclure que ce qui touche à l’employabilité des jeunes occupe la majeure part de cette aide. Mais on ne peut en même temps que s’interroger sur la forme que prennent les actions correspondantes dans des pays qui ne disposent encore aujourd’hui que peu ou pas de structures de formation professionnelle ou d’apprentissage.
Dans de nombreux pays en effet, l’idée même d’alternance, qu’elle soit sous statut scolaire ou sous contrat de travail, n’existe pas sur le plan juridique et ne peut donc être validée sous forme diplômante. De même pour quelque chose qui s’apparenterait à un statut d’étudiant-entrepreneur. Le projet « After » développé au Rwanda (pour 42 M€) peut ainsi apparaitre intéressant mais sous réserve d’un véritable passage à l’échelle que cette aide ne peut qu’amorcer.
On notera toutefois qu’en matière de formation professionnelle, l’essentiel de l’apport est effectué en prêts souverains, les subventions représentant moins de 18%.
L’enseignement supérieur et la recherche, parents pauvres de cette aide
Mais ce qui frappe probablement le plus dans ce bilan, c’est la pauvreté et la rareté du soutien apporté aux piliers contemporains du développement, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique. Le montant de l’aide (100 M€) apparait bien dérisoire d’autant qu’il est constitué dans sa majeure partie de prêts souverains (89 M€) contre seulement 11 M€ de subventions. Dans une chronique précédente (CDD 32), on avait déjà souligné cet aspect si timide de l’aide apportée par l’AFD en ce domaine pourtant décisif. Le bilan 2022 le confirme. Certes il y a le soutien (modeste) apporté aux Centres d’excellence en Afrique, certes il y a ce projet de logements étudiants au Nigéria (30 M€ par prêt souverain) mais peut-on considérer qu’il y a là l’amorce d’une véritable politique d’accompagnement de l’enseignement supérieur et de la recherche en Afrique, en particulier dans l’Afrique francophone ?
On peut en douter.
Pour résumer, on dirait volontiers que ce qui manque à cette politique de l’AFD, c’est le choix de véritables priorités. Elles doivent évidemment être définies avec et par les pays concernés mais elles devraient porter à la fois sur des choix géographiques (qui ne soient pas tous commandés par des choix politiques) et surtout par des thématiques qui aident véritablement les pays à trouver le chemin optimal du développement. On ne le répètera jamais assez. Sans un enseignement supérieur et une recherche scientifique de qualité, aucun développement n’est possible, aucun membre de la si brillante diaspora scientifique africaine ne reviendra au pays pour le faire bénéficier de son savoir-faire et de son expérience, et les universités resteront à la traine de leurs homologues de l’Occident ou de l’Asie. On ne peut que souhaiter à l’AFD de parvenir à construire une telle politique éducative, plus concentrée dans ses objectifs et donc plus efficace dans ses résultats attendus. Ce peut être en matière de formation professionnelle tant les besoins sont grands pour les jeunes et leur insertion. Mais cela suppose à mon sens un « détour par le haut » qui installe un enseignement supérieur et une recherche scientifique capables d’impulser un renouvellement qualitatif complet des politiques éducatives, tant en direction du tissu économique que du reste du système éducatif en aval.
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La France scolarise bien….
La note de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Éducation nationale éclaire de manière concise et claire la situation de la France au regard des objectifs communs que s’est fixé l’Union Européenne pour 2030, du moins les six objectifs suivis au niveau statistique : l’accueil des jeunes enfants, les sorties précoces du système éducatif, le niveau dans les compétences de base, le niveau en littéracie numérique, le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur, la part de la formation par le travail dans le cursus des élèves du lycée professionnel.
Comme le fait la DEPP, la France peut considérer que, pour plusieurs objectifs, sa trajectoire est conforme à celle souhaitée par l’UE.
Ainsi, comme pour la majeure partie des pays de l’Union, l’accueil éducatif des jeunes enfants de trois ans au moins est déjà réalisé, depuis notamment la décision prise par le ministre précédent de rendre l’école maternelle obligatoire à compter de cet âge. De même, le système parvient à garder ses élèves de manière à éviter trop de sorties précoces (8% avec un objectif de 9% pour l’UE).
De même encore, les dispositifs d’apprentissage et du lycée professionnel permettent à la France d’enregistrer une part notable (71%) de formation par le travail (ou alternance) pour les jeunes de cette filière de formation (objectif UE 60% pour un niveau actuel de 56% pour l’UE 27). Enfin la part des individus âgés de 25 à 34 ans ayant un diplôme d’enseignement supérieur est de 50% pour un objectif de l’UE de 45% et une moyenne de l’UE à 42%.
C’est donc entendu, comparativement aux autres pays européens, la France accueille et scolarise suffisamment bien ses élèves pour présenter un continuum éducatif sans rupture majeure, même après l’enseignement secondaire.
…mais n’arrive toujours pas à combattre son mal profond
Le regard change lorsque que l’on considère les aspects plus qualitatifs, ceux portant non plus sur le déroulé de la chaîne éducative mais sur les compétences acquises par les élèves. Que ce soit en effet en compréhension de l’écrit, culture mathématique ou culture scientifique, les élèves de France âgés de 15 ans (enquête PISA 2018) sont encore loin de l’objectif européen 2030. Ce dernier est en effet fixé à moins de 15% d’entre eux disposant des compétences minimales alors que la France en est encore à un taux de l’ordre de 21%. Cela est d’ailleurs vrai de tous les pays européens (à l’exception de l’Estonie, de la Finlande et de la Pologne). Les prochains résultats de la nouvelle enquête PISA modifieront peut-être les choses, mais si l’on en juge par la dernière enquête PIRLS, cela n'a rien d’évident. Dans toutes ces enquêtes qualitatives portant sur les compétences acquises, la France apparaît obérée par l’importance de ses inégalités. Outre un décalage très net de compétences entre filles et garçons (en faveur des filles), l’origine sociale des élèves pèse d’un poids considérable. Ainsi ce sont 35,3% des élèves issus de familles défavorisées qui ont des compétences insuffisantes, contre 7,1% pour ceux issus de familles favorisées. Cet écart est moins grand par exemple en Allemagne. Si l’on considère par ailleurs le dernier objet de test, la littéracie numérique, autrement dit la capacité à se débrouiller avec un ordinateur, les retards actuels par rapport à l’objectif de l’UE en 2030 (moins de 15% des élèves de huitième année obligatoire, soit l’équivalent de la quatrième en France, devraient avoir un niveau de compétence suffisant) sont encore élevés. Ce taux, connu seulement pour six pays de l’Union, était encore (en 2018) de 43,5% en France, voisin de 30% en Allemagne, au Portugal et même en Finlande, la bonne élève de l’UE.
Plus généralement l’analyse des résultats obtenus par l’échantillon français fait apparaitre des variances plus importantes, significatives du mal éducatif français. Ma chronique 33 (du 4 juin 2023) l’a clairement démontré, au moins pour la compétence en lecture. Comme la dernière enquête PISA l’avait également souligné.
Voilà donc un pays riche, disposant de moyens importants, d’un niveau éducatif général plutôt satisfaisant mais incapable de s’attaquer à ce mal insidieux qui l’affaiblit et est à la source de tant de problèmes sociaux, les inégalités éducatives.
Un modèle encore possible pour l’Afrique ?
D’où la question qui inévitablement surgit de tels constats. Une grande partie de l’Afrique s’inspire encore du modèle français dont on voit toutes les difficultés à lutter contre les inégalités et à ne pas reproduire un système « d’élitisme républicain » où l’élitisme l’emporte très nettement sur l’égalité républicaine. La langue française joue certes un grand rôle mais elle n’est pas forcément la cause première de ces difficultés. C’est la conception même de l’organisation scolaire qui en est une cause plus importante, celle dont cette Afrique francophone s’inspire également.
La question posée à ces pays est donc celle du type de système éducatif qu’ils souhaitent développer. Car, beaucoup plus encore qu’en France, leurs systèmes éducatifs actuels se caractérisent par de considérables inégalités, non seulement sociales mais aussi géographiques (tant d’enfants ayant un accès quotidien si difficile à l’école), non seulement d’ordre quantitatif quant aux capacités et aux conditions d’accueil mais aussi d’ordre qualitatif, y compris en termes de formation et de compétences des maîtres.
En ce sens on voit mal comment la France pourrait jouer le rôle de modèle et inspirer leurs politiques éducatives, ni par son système éducatif ni par l’aide publique accordée.
Mais quelle que soit la réponse qu’ils donneront à cette question, ils auront besoin d’un système d’enseignement supérieur et de recherche de qualité croissante, et nécessitant comme tel des investissements importants, d’où qu’ils viennent, à condition toutefois que cette origine n’entraîne pas d’autres formes de dépendance.
On devine ainsi à quel point l’éducation en France a besoin d’un sérieux coup de rein, encore jamais vraiment donné malgré des efforts sporadiques depuis quelques décennies.
Qu’il est loin le temps d’un Tony Blair déclarant avec emphase (sans hélas de résultats ultérieurs très probants) que ses trois priorités gouvernementales seraient l’éducation, l’éducation et l’éducation. Peut-on continuer à accepter le glissement de plus en plus sensible de notre pays vers une école publique réservée aux pauvres et une école privée attribut des classes plus aisées ? L’école publique est pourtant parfaitement capable de redresser la barre. Mais encore faudrait-il une ardente volonté d’y parvenir et des convictions gouvernementales suffisamment fortes pour lutter contre les facteurs aggravant l’inégalité dans l’école publique, à rebours de tous nos principes républicains.
Alors, la France pourrait peut-être redevenir un modèle inspirant.
Jean-Paul de GAUDEMAR
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En effet la France peut difficilement servir de modèle pour l'Afrique et certains pays africains l'ont compris, comme mon expérience au sein d'ICP (International Confederation of Principals) me l'a montré (2004-2016).
Membre de l'Association d'Entraide du MEN et d'autres associations, fondations ou organismes chez Retraitée du Ministère de l'éducation nationale DGESCO-DRDIE
1 ansMerci Monsieur le Recteur ! J'avoue que je n'ai pas le temps immédiatement de lire votre texte de ce jour. Mais ma réponse à votre question et mille fois oui ! C'est comme toujours à mes yeux la question essentielle, celle que je préfère, à laquelle je crois le plus en tant que levier vers des progrès de bonne entente, de progrès, d'humanité et de paix ! Et c'est toujours un plaisir de vous lire même si mes connaissances et compétences ne sont pas suffisantes pour tous les sujets que vous abordez... Avec mes meilleurs souvenirs et ma plus vive gratitude Pierrette