Faut-il vendre les mauvaises créances des banques italiennes ?

Cet article est paru dans le numéro de l'AGEFI HEBDO du 27 mars 2018

Vivien Levy-Garboua


Il a été beaucoup reproché aux banques européennes de n’avoir pas su « nettoyer » assez vite leurs bilans des mauvaises créances, et de traîner une incertitude qui nuit à leur rétablissement et à la reprise en Europe. L’EBA en premier, et, à sa suite, le FMI et la BCE ont appelé à des cessions des CDL (les Créances Douteuses et Litigieuses) à des fonds. La Commission a publié le 14 mars des propositions sur le sujet. Seules, les banques semblent réticentes à un tel mouvement. Que faut-il en penser ?

Fin 2016, les CDL représentaient plus de 17% du portefeuille de crédit des banques italiennes, et la moitié de l’encours avait été « provisionnée » dans les comptes des banques. Par comparaison, sur un échantillon de grandes banques européennes, le ratio était de 5,1% (dont 15,3% pour les banques italiennes incluses dans l’échantillon). Il restait 173 milliards d’euros de mauvaises dettes non provisionnées. Ceci est à mettre en face d’un encours de fonds propres de 187 milliards : en gros, 1% de pertes supplémentaires, au-delà de celles déjà provisionnées, c’est 1% de fonds propres en moins. Et tout le monde a en tête la situation particulièrement calamiteuse de certaines banques (et d’abord Monte Paschi di Sienna).

Pour évaluer la possibilité de faire apparaître un marché sur lequel pourraient être revendues les CDL, adoptons sur un exemple les points de vue du fonds qui achète les crédits, et de la banque qui les cède. Un fond a intérêt à acheter les CDL au prix le plus bas possible, d’autant qu’il sait qu’il connaît moins bien le portefeuille que le banquier et qu’il peut se faire « refiler » les moins bonnes créances, que le coût de gestion est plus élevé (on estime à 8% environ ce coût) pour lui que pour la banque et que l’expérience de recouvrement est beaucoup moins favorable dans les fonds que dans les banques. Tout cela fait que le prix sera sensiblement plus bas que ce qui est dans les comptes de la banque, d’autant qu’il faut assurer aux porteurs de parts une rentabilité de 15 à 20% sur les fonds propres. Au total, un prix de 25 à 30% du nominal, si la banque, de bonne foi, estime à 50% la valeur des CDL, est raisonnable du point de vue du fonds. Ce sont des opérations normalement très rentables, et, en fin de compte, au risque limité. Les mesures visant à susciter une demande de la part des fonds en augmentant leur rendement sont donc inutiles : accroître leur levier par exemple ne sert à rien, et encore moins le faire par des prêts des banques qui céderaient leurs crédits.

Voyons maintenant le point de vue de la banque: elle a provisionné 50% des risques, et ignore si c’est suffisant, sauf que, par le passé, le provisionnement a permis de couvrir les pertes finales. Parfois, elle récupère davantage que prévu, parfois moins, mais en moyenne, elle s’attend à s’y retrouver. Céder un CDL, c’est donc forcément accepter un prix bien inférieur à celui qui est dans ses livres, et une perte immédiate, très supérieure à ce qu’elle estime probable si elle conserve et gère elle-même les crédits, et renoncer à des revenus d’intérêt, car une fraction des emprunteurs des crédits douteux paient leur intérêts. En contrepartie, cela supprime un élément d’incertitude : la vente envoie le signal que le problème est réglé, et qu’il n’y a plus de mauvaise surprise à attendre. Si la banque est en situation d’encaisser le désagrément de la perte supplémentaire, une vente est envisageable, mais pourquoi vendre si ses profits seront meilleurs en ne le faisant pas ? Il n’y a qu’en situation désespérée qu’une banque peut s’y résoudre et il est sûr que cela augmentera encore ses pertes, déjà importantes.

Ainsi, la cession des CDL n’a de sens que si la santé des banques est mauvaise et mise en danger par leur encours excessif. Les solutions qui pénalisent les banques si elles les conservent sont alors contre-productives. Une pénalité sur les fonds propres requis pour les CDL non provisionnés, comme proposé par la Commission, ne fait que détériorer la rentabilité des banques ; celle sur les RWA des créances saines si l’on conserve des CDL sur son bilan est absurde.

Les solutions doivent être trouvées dans l’incitation des banques. Et, comme elles sont déjà en mauvaise situation, c’est un exercice sans doute coûteux. La création d’une bad bank  sur fonds publics paraît une solution, mais cela ne peut vraiment aider les banques que si cette bad bank rachète les crédits à un prix supérieur au prix de marché ; une incitation à vendre en agissant sur le coût des ressources de la banque en fonction du montant des CDL conservés permet d’améliorer la situation, mais toutes ces mesures, coûteuses pour le contribuable, sont inacceptables socialement.

Au total, la cession est problématique et en outre bien tardive : les grandes banques italiennes (Intesa, Unicredit) n’en ont pas besoin, leur présentation récente de résultats l’atteste : elles absorbent progressivement, et à bonne allure, leur lot de mauvais crédits. Les marchés sont impatients, ils aiment la transparence et la vitesse ; les banques ont une logique de lenteur et d’absorption progressive, avec un certain secret. C’est cette différence qui les rend complémentaires : tantôt l’un, tantôt l’autre de ces canaux de financement est le plus utile. Et, s’agissant des CDL, les mesures faisant appel aux marchés sont aujourd’hui de peu de secours.


Christophe Bourdeaux

Deputy Chief Sustainability Officer chez BNP Paribas Personal Finance

6 ans

Très clair exposé. La notion de l'urgence, du temps, est important.

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