Monnaie et dette : les deux faces d’une même pièce

Les banques ne prêtent pas leurs fonds[1] et elles ne prêtent pas non plus l’épargne de leurs clients[2] : elles créent la monnaie qu’elles prêtent. C’est une simple ligne d’écriture ajoutée sur le compte du client emprunteur. On dit donc que les crédits font les dépôts (par dépôt, comprendre somme de monnaie sur un compte bancaire).

Bien sûr, les banques ne peuvent pas créer autant de monnaie qu’elles souhaitent. Nous n’aborderons pas les limites du pouvoir de création monétaire des banques dans cet article. Nous en resterons sur ce constat : 90% de la monnaie (pour la France) correspond à des lignes d’écritures qui sont créées à l’occasion d’un crédit bancaire (et accessoirement pour que les banques acquièrent des actifs pour compte propre).

Cette manière de créer de la monnaie est lourde de conséquences. Nous pouvons en citer deux.

La monnaie des uns est la dette des autres.

Imaginons que je sois boulanger à Paris. Quelqu’un que je ne connais pas et qui habite à l’autre bout de la France décide aujourd’hui de s’acheter une voiture à crédit. Sa banque lui prête la somme. Elle créée donc de la monnaie. La somme est virée le jour même sur le compte du concessionnaire. Celui-ci paye ses salariés dans la foulée. L’argent arrive sur le compte bancaire des salariés. Or il s’avère que l’une des salariés est divorcée depuis quelques années et doit verser une pension alimentaire à son ex-mari qui est en fait l’un de mes clients. Ce client m’achète aujourd’hui des pâtisseries et du pain en utilisant sa carte bancaire. Si je suppose – pour faire plus simple – que le seul revenu de mon client est sa pension alimentaire, alors la monnaie qui arrive sur mon compte aujourd’hui a été créée non pas par ma dette, mais par la dette de cette personne qui a acheté la voiture.

Si nous retraçons les mouvements de monnaie de compte en compte, le point de départ sera toujours un crédit bancaire[3].

L'augmentation de la dette mondiale est indispensable.

Lorsqu’un crédit est remboursé, on dit que la monnaie est détruite. Nous pourrions avoir à l’esprit l’image de Serge Gainsbourg qui brûlait en direct sur un plateau TV un billet de 500 francs pour protester contre la fiscalité de l’époque sur les hauts revenus... En réalité, le terme de destruction monétaire se comprend dans un sens comptable. Si je rembourse 1000 euros à ma banque, je n’ai plus à ma disposition ces 1000 euros. Les autres (entreprises ou individus) ne pourront plus non plus obtenir ces 1000 euros. En effet, je ne vais pas pouvoir dépenser ces 1000 euros en leur achetant un bien ou un service puisqu’ils furent utilisés pour rembourser la banque. Ces 1000 euros ont donc été détruits lors du remboursement, ils ont été retirés du circuit économique.

La monnaie est créée à l’occasion d’un octroi de crédit et détruite lors du remboursement. Pour que le stock de monnaie (la masse monétaire disent les économistes) se stabilise, il est donc nécessaire qu’il y ait de nouveaux crédits octroyés pour des montants au moins égaux aux montants des crédits remboursés.

Plus précisément, le montant des crédits octroyés doit être supérieur au montant des crédits remboursés pour que la masse monétaire se stabilise. La raison ? Les intérêts. Si j’emprunte 1000 euros, la masse monétaire augmente de 1000 et lorsque je rembourse, la masse monétaire diminue de 1200 euros (en supposant 200 euros d’intérêts). Toute choses égales par ailleurs, on a donc une contraction de la masse monétaire de 200 euros. Il faut donc que 200 euros soient créés pour éviter cette diminution de la masse monétaire. Or la monnaie étant créée par un crédit, ce maintien de la masse monétaire passera par un nouveau crédit (de quelqu’un d’autre). Le crédit des uns est remboursé avec le crédit des autres…

Nous pourrions revenir à la masse monétaire initiale me diriez-vous, le niveau de celle-ci avant que j’emprunte 1000. Mais en dépensant ces 1000, j’ai contribué à faire « grossir » l’économie. Cette nouvelle dépense de 1000 a augmenté la demande qui s’adresse aux entreprises. Celles-ci y auront répondu en faisant varier leur production à la hausse[4]. L’économie étant devenue plus « grosse », ce supplément de monnaie (les 1000 euros) est nécessaire pour que de nouveaux clients achètent, que de nouveaux fournisseurs soient payés, que de nouveaux salariés reçoivent leur salaire,… Revenir à la masse monétaire initiale revient à handicaper l’économie par une raréfaction de la monnaie.

 

Monnaie et dette sont donc les deux faces d’une même pièce. On comprend donc mieux l’omniprésence de la dette dans l’histoire économique contemporaine : dette des Etats, dette COVID, subprimes, entreprises zombies, …

Cette progression continue de la dette (publique et privée) est-elle envisageable ? Et est-elle souhaitable ?

Source : Gaspar, Medas et Perrelli, « La dette mondiale atteint un niveau record de 226 000 milliards de dollars »,


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[1] Sauf cas particuliers

[2] Sauf cas particuliers

[3] Avec des exceptions : une entrée de devises ou un dépôt de billets (ou de pièces) sur un compte bancaire.

[4] Elles peuvent aussi augmenter leurs prix. La réalité n’est pas binaire : suite à une hausse de la demande, les entreprises augmentent leurs prix ET leurs productions.

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