FCFA ET DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE: IDEES RECUES, VRAI DEBAT ET QUELQUES PISTES DE SOLUTIONS (Suite et fin)

FCFA ET DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE: IDEES RECUES, VRAI DEBAT ET QUELQUES PISTES DE SOLUTIONS (Suite et fin)

Nous concluons aujourd’hui notre série sur le FCFA. Après avoir situé le débat, décrit le système du FCFA et porté une analyse critique sur ses grands principes et la politique monétaire des banques centrales du dispositif du FCFA, nous allons maintenant faire quelques propositions.

Ces propositions sont de deux ordres. Premièrement, les propositions qui visent à adapter le système du FCFA à la situation économique d’aujourd’hui et deuxièmement, introduire un nouveau dispositif de financement pour booster les capacités de financement du système bancaire.

REFORMES DU SYSTEME ACTUEL

a) La gestion du compte d’opération

Tout le système du CFA repose sur la garantie de convertibilité illimitée du trésor français. Nous avons démontré que cette garantie, en pratique, n’a presque jamais été appelée.

Ainsi, nous avons conclu que la garantie illimitée est, en réalité une assurance tous risques aux investisseurs européens. Fort de cette assurance, ils peuvent investir en zone Franc, sans s’inquiéter de recevoir en Euro, à un taux fixe, les produits de leurs affaires en Afrique.

La question qui se pose alors est de savoir si cette assurance sert toujours à quelque chose dans le monde d’aujourd’hui. Devons-nous la maintenir, l’aménager ou l’abandonner ?

Il faut le dire tout net, au moment où ces accords étaient signés au début des indépendances des pays de la zone Franc, cette assurance était absolument nécessaire. Il fallait montrer aux investisseurs privés français, principalement, que le système du FCFA était soutenu par un Etat bien plus solide que les Etats africains qui venaient à peine de sortir de la période coloniale et qui n’avaient pas l’expérience des rouages financiers internationaux. Avec l’assurance donnée par la France, le taux de change fixe serait maintenu en tout temps et les réserves de changes seraient toujours disponibles pour atteindre cet objectif.

58 ans après la signature des premiers accords monétaires, cette assurance ne parait plus tout à fait fondamentale pour plusieurs raisons :

• Les banques centrales africaines ont emmagasiné suffisamment d’expérience dans la gestion monétaire et les modalités des paiements internationaux ;

• Depuis la dévaluation de 1994, les réserves de changes nets sont constamment positives et le taux d’alerte de 20% des réserves extérieures nettes sur masse monétaire est constamment dépassé;

• L’Afrique attire de plus en plus d’investisseurs venant d’horizons divers. La concurrence jouant, les investisseurs français ou européens ne peuvent pas trainer les pieds sous prétexte qu’ils n’ont pas de garantie de paiement en Euro. Une telle attitude leur ferait perdre des parts de marché ;

• Les investisseurs français, eux-mêmes, ont largement diversifié leurs investissements dans d’autres pays africains hors zone Franc, ou l’Etat français n’offre pas ce type d’assurance.

Naturellement, il faut être conscient des risques éventuels. Un retournement drastique de la situation économique des pays africains est toujours possible, notamment la chute des prix des matières premières.

Par ailleurs, le retrait de cette assurance, pourrait donner des idées à certains acteurs financiers qui pourraient lancer des attaques spéculatives sur le FCFA en vue d’en tirer un profit. Une attaque spéculative est une opération par laquelle, un spéculateur disposant de ressources importantes (empruntées ou en propres), prend le pari que les autorités monétaires africaines n’ont pas suffisamment de réserves de changes pour soutenir la parité fixe du FCFA. Il vend du FCFA en grande masse pour faire tomber le cours du FCFA vis-à-vis de l’Euro. En pareille circonstance, les autorités monétaires doivent contrer en vendant de l’Euro en vue d’enrayer la chute du CFA et maintenir le taux de change fixe. Si ces autorités n’ont pas suffisamment de réserves de changes pour mener à bien cette opération, le cours du FCFA va continuer de baisser.

D’autres acteurs qui voient le cours du CFA plonger, vont également se débarrasser de leurs avoirs dans cette monnaie. Les autorités seront alors obligées de procéder à une dévaluation du FCFA, c’est-à-dire, trouver un nouveau taux de change d’équilibre vers le bas. Le spéculateur, qui avait vendu les FCFA au niveau d’équilibre initial va racheter les FCFA au nouveau taux de change de la dévaluation, largement inférieur au taux de change initial. Il s’en suivra un profit énorme pour le spéculateur et des déboires immenses pour les économies du système FCFA.

Tout en tenant compte de ces risques, et au vu du nouvel environnement économique et monétaire évoqué plus haut, nous sommes d’avis que cette garantie n’est plus nécessaire. Les réserves de change peuvent être désormais logées dans les comptes de la BCE. Les banques centrales africaines peuvent convertir une partie de ces liquidités en bons du trésor français. Le volume de ces bons du trésor français dans le portefeuille des banques centrales serait discuté par les parties. Cette discussion sera d’autant plus facile que les bons du trésor français sont extrêmement bien cotés sur le marché international. Ils bénéficient des meilleures notations possibles et par conséquent ne posent aucun problème de liquidité, s’ils devaient être cédés pour effectuer les paiements internationaux.

b) L’objectif de politique monétaire des banques centrales

Au regards de notre analyse, l’objectif de politique monétaire des banques centrales africaines doit carrément changer. L’objectif doit être de mettre en place une politique monétaire en vue d’atteindre un taux de croissance minimum de 10% par an. Dans le cadre de cette politique, elles devraient s’accommoder d’un taux d’inflation de 5% par an.

Sur la base de ces données, du taux de croissance (6% en moyenne), le taux d’inflation de 2,5% observés dans la zone Franc, et en utilisant la règle de Taylor, les taux d’intérêt directeurs devraient tourner autour de 1.25%. Ce taux est bien loin du taux directeur actuel de la BCEAO qui est de 4.5%.

A ce taux de 1,25% de refinancement auprès de la banque centrale, les banques commerciales devraient prêter à des taux inférieurs à ceux d’aujourd’hui. Cela devrait relancer la consommation et la production pour obtenir le taux de croissance désiré de 10% même si le taux d’inflation va monter en moyenne de 2,5% à 5%.

Cependant, avoir des objectifs de politique de monétaire est une chose, mais les transcrire dans la réalité est une autre chose. La transcription de cette politique se fait par l’intermédiaire des banques commerciales qui font des crédits aux agents économiques à savoir les ménages, les entreprises et l’administration.

Pour que les banques commerciales distribuent du crédit, il faut au moins deux conditions, à savoir des ressources moins chères en abondance et des contreparties solvables (les emprunteurs qui remboursent sans problème).

Si la politique monétaire proposée avec un taux directeur tournant de 1% à 2% permet de régler la question des ressources à bon marché, il reste l’obstacle de la solvabilité des emprunteurs. Dans la zone BCEAO, au dernier trimestre 2017, le taux de dégradation brut du portefeuille était de 16.1%. Dans ces conditions, les banques seront très sélectives dans l’octroi des crédits.

Par ailleurs, un des éléments qui freinent la distribution du crédit est la délocalisation des centres de décisions des banques de la zone BCEAO. En 2016, 70% des 27 groupes bancaires qui opèrent dans cette zone, et qui dominent le marché ont leurs sièges hors de la zone Franc. Les plus importantes banques opérant sur le marché africain ne sont que des filiales de grands groupes étrangers. Or une filiale par définition, obéit d’abord et exclusivement à sa maison mère. Les objectifs de rentabilité et de risques sont décidés ailleurs. Si la maison mère fixe un niveau d’engagements à prendre, la filiale s’exécutera même si cela n’est pas conforme aux objectifs de politique monétaire du pays.

Au vu de ce qui précède, et pour rendre percutante, la nouvelle politique monétaire, il faut envisager les actions suivantes

• Améliorer le profil de risque des demandeurs de crédit. Vue la prépondérance des PME et de l’informel dans l’économie africaine, des actions d’encadrement, de formation et de formalisation de ces entreprises doivent être menées dans tous les pays

• Encourager la création des banques commerciales par les investisseurs locaux. Une banque comme Ecobank a été créée à l’initiative des chambres de commerciales africaines. Il est encore possible de faire pareil.

• Créer dans tous les pays des banques pour les PME fortement dotées. C’est vrai que des initiatives similaires ont été prises dans le passé, mais il faut le refaire en renforçant la gouvernance. Ces banques pourraient être créés en collaboration avec des organismes internationaux qui siégeraient dans les conseils d’administration pour assurer une meilleure transparence dans la gestion.

LE DISPOSITIF NOUVEAU

Nous proposons la création d’une ligne internationale de refinancement logée dans les banques centrales africaines.

Le concept de refinancement consiste pour une banque commerciale à « vendre » à une banque centrale un crédit déjà octroyé à un de ses meilleurs clients pour disposer de nouvelles ressources pour prêter à un autre client.

Supposons une banque commerciale qui fait un prêt de 1000 f à un de ses meilleurs clients, les Ets Lamine. La banque commerciale sollicite la banque centrale pour lui remettre 1000 f représentant le montant du prêt fait à Ets Lamine. Si la banque centrale est satisfaite de la qualité du client Ets Lamine, elle avance les fonds à la banque commerciale. Avec les 1000 f reçus de la banque centrale, la banque commerciale fait un autre prêt du même montant à son client Ets Koffi. Ainsi la banque commerciale aura fait des prêts d’un montant cumulé de 2000 f alors qu’elle n’avait que 1000f à prêter. Le refinancement est un puissant moyen de financer l’économie.

Nous préconisons une ligne internationale de refinancement logée dans les banques centrales africaines mais non pourvues par ces banques centrales.

En effet, si ces lignes étaient pourvues par les banques centrales africaines, elles mettraient à mal la stabilité du taux de change. Comme on a pu le voir avec l’exemple décrit plus haut, le refinancement aboutit à accroitre la masse monétaire dans le pays. L’accroissement de la masse monétaire équivaut à une baisse des taux d’intérêt, ce qui entraine la baisse du cours du CFA vis-à-vis l’Euro. Le ratio réserves de changes sur masse monétaire va se dégrader. Le cours de l’Euro va monter et les banques centrales africaines pourraient manquer de réserves de changes en Euro suffisantes pour ramener le taux de change à la parité fixée.

En mettant en place une ligne internationale de refinancement dotée à l’extérieur, la question des réserves de changes est réglée. La mise à disposition de la ligne permet de collecter des réserves de changes. La contrepartie de ces réserves constitue la masse monétaire. Ainsi on a simultanément, une hausse des réserves de changes et une hausse de la masse monétaire.

Les grands traits proposés de cette ligne sont :

• Le montant est égal à 50% des crédits accordés par les banques commerciales du pays ;

• La ligne doit être libellée dans une monnaie relativement stable (Euro, Yuan).

• La maturité ou délai de remboursement est de 3 à 5 ans ;

• Les banques commerciales locales éligibles doivent respecter au moins 90% des normes prudentielles et avoir les meilleures notations des meilleures organisations internationales en la matière et des services spécialisés des banques centrales africaines ;

• Ces lignes sont négociées par le gouvernement, en relation avec la banque centrale et l’association professionnelle des banques du pays ;

• La banque mondiale peut apporter sa contribution sous forme de garantie MIGA.

Au 31 décembre 2016, l’ensemble des crédits octroyés par les banques de la zone BCEAO est 16 650 milliards de FCFA. Le montant de la ligne de refinancement pour cette zone serait de 8 325 milliards de FCFA, soit environ 14 milliards de dollar.

Cela dit, quelle est la probabilité de mobilisation d’une telle ligne ?

Les capitaux en quête d’emplois de qualité existent dans le monde. Il ne s’agit pas ici de prêter au gouvernement, mais à des banques qui ont des actifs sous-jacents de bonne qualité en vue d’accélérer le développement de l’Afrique et de l’intégrer dans l’économie mondiale.

Un pays comme la Chine qui a des excédents de réserves de changes énormes, et qui a décidé d’investir plus 60 milliards de dollar en Afrique peut fort bien participer à ce programme.

Nos propositions sont ainsi résumées :

• Maintenir le régime de change fixe du FCFA et sa parité avec l’Euro ;

• Délocaliser les comptes d’opérations du trésor français à la banque centrale européenne ;

• Garder des bons du trésor français dans le portefeuille des banques centrales africaines ;

• Changer la politique monétaire des banques centrales pour une croissance véritable de l’Afrique ;

• Combiner l’application d’une telle politique monétaire avec la constitution de groupes bancaires endogènes et le renforcement des capacités des entrepreneurs et l’élimination du secteur informel ;

• Mettre en place une ligne internationale de refinancement à moyen et long terme.

Merci de la lecture, les commentaires, questions sont les bienvenues. Nous espérons avoir été utile à la bonne compréhension de notre système monétaire, le FCFA.

PS: L'ensemble de mes publications sont sur ma page Facebook: Economie POUR TOUS.


Djerassem Djimhotengar

Executive Director, Chief Risk Officer|| Bank Board Member || Business Strategist & Investor || Teaching Fellow

5 ans

-Les taux directeurs de la BCEAO ont pendant longtemps été autour de 2%. Ça n'a pas empêché les taux de sorties des banques commerciales d'être aux alentours de 14% pour les PME. Le pb n'est pas monetaire, c'est le coût du risque comme vs l'indiquiez. La règle de Taylor n'y est pour rien. Ce sont les réformes structurelles qu'il faut engager. - dans l'eurozone, la BCE n'est pas un correspondant de paiements internationaux, la gestion des réserves est délocalisée aux niveaux des BCN. - Qt au refinancement, ils sont déjà actifs et utilisés par les bq commerciales, sur diverses maturités, aux multiples guichets de refinancement de la Banque centrale (voir sur les sites de la BCEAO ou delà BEAC). Les principaux freins au financement du développement de nos économies ne sont en rien dus au régime monétaire. Ils sont d'ordre structurel. Et pendant que le pied monétaire assure tant bien que mal sa part, Il est urgent d'agir collectivement sur le pied structurel.

Habib Quentin YOMO

Senior Consultant I Bank Project Manager I Senior Legal Counsel I Banking & Risk Management I Negotiation and Conflict Resolution

5 ans

De bon augure! J'ai compris que la demande de création d'une monnaie africaine vise avant tout le relèvement et le développement économique des états africains avec une stabilité monétaire renforcée...

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Guillaume Liby

Autres pages consultées

Explorer les sujets