Filière gazon : un virage (nécessaire) à prendre?
La crise actuelle qui touche notre filière gazon est une formidable opportunité d'effectuer un nouveau virage avec des méthodes plus durables.
En effet, la sécheresse a montré à quel point les surfaces engazonnées étaient fragiles vis à vis de la consommation en eau mais souffraient aussi d'une mauvaise image auprès de la population. Cette mauvaise image est d'ailleurs la plupart du temps basée sur un manque de connaissance du public des pratiques mais aussi des tentatives des différents intervenants d'aller vers un entretien le moins impactant possible pour l'environnement.
Du point de vue de l'eau, au delà du stockage et de l'éventuelle utilisation d'eaux usées, les recommandations de l'USGA concernant les supports de culture du gazon ont toujours visé l'optimal agronomique c'est à dire un équilibre entre les porosités (micro/macro) pour avoir des supports qui drainent et ressuient bien (avec suffisamment d'oxygène à la capacité au champ). Ces supports sont également des passoires (au moins les premières années) supposant des arrosages fréquents. Faut-il revoir les bonnes caractéristiques de ces supports avec une microporosité plus importante pour favoriser la rétention en eau? Pas de miracle en contrepartie ce serait favoriser l'humidité en période froide avec les problématiques sanitaires associées. Il faudra évidemment prioriser ! Une solution de facilité serait aussi l'ajout de supports de cultures (zéolithes, terres de diatomées, céramique poreuse) qui permettent cette meilleure rétention sans sacrifier la perméabilité et la macroporosité. Malheureusement, ces solutions ne sont pas durables avec la plupart du temps une extraction faite souvent à l'étranger (Turquie, USA) avec le bilan carbone désastreux associé et les conséquences locales sur le paysage du site d'extraction : soyons raisonnables !
La sélection variétale a également sa carte à jouer avec pourquoi pas des critères de sélection plus forts sur la consommation en eau. Évidemment le praticien voudrait du quantitatif sur les potentielles économies en eau par rapport à des variétés plus gourmandes. De la recherche collaborative entre les différents acteurs serait une excellente idée ! Aux USA, soulignons les tentatives dans le domaine pour caractériser des variétés moins gourmandes en eau à travers un protocole standardisé (TWCA) permettant de comparer les variétés de différents sélectionneurs/obtenteurs. Bien que un peu trop commercial à mon goût, c'est une tentative relativement neutre pour déterminer les variétés capable de subir un stress hydrique plus ou moins prolongé. En France : rien d'équivalent ! Citons tout de même DLF qui avec Radimax tente d'évaluer le système racinaire d'une variété en conditions de sécheresse. Il faudrait alors utiliser le système sur un grand nombre de variétés disponibles.
Et si la matière organique stable avait encore son mot à dire? La matière organique est un moyen simple et éventuellement renouvelable (si les sources sont sélectionnées correctement) pour améliorer les caractéristiques physiques des supports. Un gros travail reste à faire pour déterminer les quantités optimales afin de ne pas basculer dans les problématiques des excès de matière organique (rétention en eau, drainage, problèmes sanitaires).
Enfin, dans la gestion pratique de l'arrosage, l'ajustement des fréquences et des quantités représente un travail fin et technique. A mon sens, la filière, sans parler de la formation manque encore trop de méthodologie de précision pour limiter au maximum l'utilisation de l'eau. Du travail reste à faire pour optimiser les coefficient de culture tout au long de l'année pour utiliser l'ETP correctement. Le couplage avec les mesures d'humidité quotidienne pour ajuster ce coefficient permettrait sans doute d'optimiser un maximum les quantités d'eau à apporter. La course à l'armement et aux technologies plus récentes d'arrosage est également un levier évidemment très efficace mais un grand nombre de golfs n'aura pas les moyens de s'équiper.
L'envolée du prix des matières premières constituant les engrais (qui avait déjà démarré avant la guerre en Ukraine) montre également à quel point le système classique basé sur des apports d'intrants chimiques commence à être, tout comme en agriculture, à bout de souffle. Comme toute matière première, ces dernières qui viendront sans doute à manquer un jour devraient être utilisées uniquement lorsque c'est nécessaire dans les quantités les plus faibles pour obtenir le résultat souhaité.
Du point de vue de la nutrition des gazons, c'est donc l'opportunité de changer de méthodologie.
D'une part, la fertilisation 100% organique, même si parfois difficile à mettre en œuvre apparait comme un des challenges évidents (intrants renouvelables). Je suis le premier à avoir une appréhension avec le 100% organique mais la nécessité d'utiliser des ressources renouvelables place la méthode parmi les nécessaires. Des moyens devraient notamment être mis à disposition pour mieux comprendre les paramètres à l'origine de la libération et de la minéralisation des éléments nutritifs (programmes de recherche subventionnés par l'état?).
La fertilisation de précision d'autre part, avec des apports de nutriments minimums et adaptés aux besoins représente le 2ème challenge (MLNS/NMND). Par exemple, arrêter l'utilisation d'engrais binaires (N,P ; P,K ; N,K) ou ternaires (N,P,K) lorsque la plante n'a besoin de l'ensemble des éléments. Sur de nombreux sols, la plupart des éléments hors azote sont disponibles en quantités suffisantes. En ce sens, la fertilisation foliaire fréquente avec des intrants simples limite un maximum les apports et les pertes dans l'environnement. Lorsque le sol nécessite l'application d'autres éléments, l'apport d'engrais solide prend alors tout son sens.
Je trouve que le marché actuel a dérivé, avec une multitude de produits dont la vraie utilité est parfois difficile à appréhender (biostimulants, additifs agronomiques). Pratiquer cette méthode, c'est revenir à de l'agronomie en appliquant uniquement ce dont la plante a besoin. De même, on voit apparaître une multitude de gadgets technologiques pas toujours travaillés correctement dans le fond qui in-fine, n'apportent pas grand chose en pratique. Ces derniers sont rarement exploités à 100% et le gadget suivant vient remplacer le précédent.
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Concernant cette nouvelle approche de la nutrition, j'avais commencé à rédiger des articles expliquant le principe de la méthode avec la série d'articles : Fertilisation de précision & MLSN :
Je prépare également une 4ème partie traitant des exemples concrets à partir des analyses de terres.
Une des principales peurs rencontrées est toujours celle de ne pas obtenir les mêmes résultats qu'avec des méthodes plus "traditionnelles". Rien ne se fait en 2 jours et se mettre à une nouvelle méthode permet de prendre du recul, de revenir à de l'observation et aux mesures pour mieux comprendre le fonctionnement de la plante.
N'est-ce donc pas aussi l'occasion de revoir nos attentes vis à vis des surfaces engazonnées?
Je pense vraiment que les difficultés actuelles représentent l'opportunité de tout remettre à plat. C'est également l'occasion de faire confiance aux professionnels du secteur qui subissent parfois la pression du résultat visuel alors que ce dernier n'est pas nécessaire pour permettre l'utilisation initiale de la surface engazonnée. De toute façon, il y a un moment où nous n'aurons pas le choix.
Je serais ravis de pouvoir guider ceux qui souhaiteraient se mettre à ce genre de méthode. Dans tous les cas, ne pas s'attendre à une meilleure qualité visuelle mais à une meilleure qualité environnementale : c'est là que se situe à mon sens le prochain challenge de l'entretien des surfaces engazonnées.
Directeur Général du GOLF DE MEAUX BOUTIGNY
2 ansComme toujours, très bonne approche. Sur la question de la maintenance adaptée pour l entretien des golfs, oui il y a un véritable sujet quand je vous l état de la gestion du plan agronomique des golfs, c est vide de réflexions et d analyse. Les golfs se rattachent au plan de fertilisation des fournisseurs d engrais et produits phytosanitaires sur la base d analyse de sols faites par ses fournisseurs ponctuellement souvent sur un seul green. Ils sont donc juges et partis . Aucune stratégie à long terme (2 à 3 ans). Également aucunes réflexions sur le niveau de qualité du parcours en fonction de la clientèle. Des parcours moyens avec du matériel top niveau. La question qui se pose est bien celle d une gestion raisonnée d un parcours en fonction des moyens financiers mobilisables. C est un vaste sujet où deux mondes se confrontent : le monde des propriétaires et le monde du greenkeeping.....
Enseignant en aménagements paysagers chez Ministère de l Agriculture
2 ansArticle très intéressant qui devrait permettre d avancer dans la réflexion de la remise en question de certaines pratiques désuètes. Toutes les pistes doivent être étudiées afin de préserver nos ressources et continuer à cultiver des surfaces engazonnées.
Expert arrosage & irrigation - Elu Local
2 ansMerci pour cet article très intéressant. Concernant les systèmes d’arrosage et tel que vous le précisez, leur conception, leur pose, leur maintenance nécessitent de véritables compétences techniques souvent manquantes chez les professionnels du paysage mais aussi chez les utilisateurs ! La formation est un vrai sujet pour la filière ! Pour ce qui est des solutions matérielles pour économiser l’eau, elles sont nombreuses sur le marché (regulation de pression, arrosage enterré, sondes,…), encore faut-il être prêt à investir pour cela. Malheureusement bien souvent, et si l’on prend le cas des marchés publics, le prix est le critère principal dans le choix des prestataires et non la solution technique ou le conseil pour réduire les consommations. Il existe de multiples systèmes de gestion centralisée, de sondes capable de mesurer tels ou tels paramètres du sol, de l’air mais qui pour les piloter ? En tant que professionnel de l’arrosage je me fais un devoir et un plaisir de donner un maximum de conseils à ceux qui le demande ! A bon entendeur …. #arrosage #francearrosage #economiesdeau