Finalement, votre transformation est un peu au point mort.
Et vous êtes un peu déçu. Et si, en fait, vous aviez fait une demande de non-changement ?
Bien que depuis plusieurs années on annonce la mort de l’agilité, la demande auprès des « coachs agiles » ne cesse pas, et je pense que je trouverais des soutiens à dire que le succès de l’écosystème SAFe n’y est pas étranger. Et quand bien même ces « coachs » seraient pour la plupart des consultants qui déploient des méthodes de travail participatives, la dimension magique du titre de « coach » fait miroiter aux organisations des lendemains qui vont enfin chanter.
Comme il se doit, le business-système s’adapte (avec beaucoup d’agilité...) à cette demande. Les instituts de formation forment, les organismes de certifications certifient, des candidats coachs (sympathiques et convaincus) sont présentés sur la place de marché par les ESN ou en « indépendant » et les DSI des entreprises confient aux achats le soin de sélectionner les dits coach agiles, pour les déployer auprès des équipes.
La culture du processus ayant la vie dure, un des chantier des organisations qui « passent à l’agilité » consiste à mesurer avec des indicateurs savants le taux d’agilité des équipes et le pourcentage d’équipes converties à la pratique des sprints, PI, rétro planning et autres daily. Ce qui permet, en compilant des fichiers ExxxL d’annoncer à des comités de direction forts éloignés du terrain que, quelques centaines de jours/coachs/M€ plus tard, la majorité des équipes, enfin, sont « agiles ».
Et, dans le concret, cela change t-il vraiment quelque chose ? Le delivery est-il plus fluide, la qualité plus stable, les clients plus vite servis ? Et les équipes, elles vous disent qu’il y a une différence ? Et vos managers ; sont-ils plus sereins et confiants ? Et, tout simplement, mesurez-vous ces changements ?
Si ce n’est pas le cas, il est possible que vous ayez fait une demande de non-changement : améliorez mes process... mais, surtout, sans les remettre en cause.
Une impression de déjà-vu ?
Cette situation me semble assez proche de celles des grandes frénésies précédentes de transformation d’organisation : CMMI, Prince 2, “Lean” Six Sigma. Elle suit à un schéma identique : pour répondre à un problème, on trouve une solution de régulation, en surface. Et celle du jour a un nom : l’agilité. Sauf que, cette fois, la solution va être efficacement déployée par des sachants auprès des équipes, non pas grâce à du « change management » mais grâce à du « coaching ».
En fait, comme les autres solutions ont été impuissantes à régler les problèmes, la logique commande de dire que toujours plus des mêmes choses conduiront aux mêmes résultats. Il devient clair pour tout le monde que l’agilité industrialisée vendue en paquets de douze ne sort pas d’un iota les organisations de leurs entropies.
Bon, tout n’est pas si sombre...
Ce tableau sombre est éclairé par quelques tâches de lumière. Ici et là, parfois dans des endroits étonnants, des organisations profitent de cet électrochoc de l’agilité pour pivoter du contrôle des coûts à la création de valeur, de la préoccupation de soi à l’orientation vers le client, dans une démarche qui dépasse la phrase incantatoire.
Nous coachs agiles pouvons y être un peu pour quelque chose, mais soyons francs : c’est dans les équipes —par le dynamisme propre qu’elles influent—, et surtout chez le commanditaire —par la protection qu’il offre à la transformation— que se trouvent les ingrédients d’un changement en profondeur réussi.
Et prétendre le contraire revient à croire que des équipes “coachées”, sans protection adéquate, pourraient d’octroyer la vraie-fausse permission de faire différemment en continuant à répondre aux mêmes obligations. Ce qui ressemble fort aux injonctions en doubles contraintes classiques qui parsèment la vie des organisations qui broient du manager comme du café colombien : « faites plus avec moins... mais privilégiez l’innovation » ; «suivez scrupuleusement les process et les règles... mais pensez en dehors de la boite ».
Ou si vous préférez : « changez, mais surtout en faisant comme avant ».
Changement = espace
De mes expériences en terres agiles, je dégage un tout début de certitude générique : le passage à l’agilité est un vrai changement qui requiert de l’espace. De l’espace-temps pour pouvoir essayer et expérimenter, de l’espace-sécurité pour chercher et se tromper, de l’espace-conceptuel pour admettre que ce qui est fait aujourd’hui doit être abandonné.
Et le seul acteur qui ait le pouvoir politique de « permettre » et de « protéger » cet espace est le dirigeant de l’organisation. Comme le dit la formule : « La conduite du changement, c’est d’abord le changement de la conduite ». (mais bon, si vous avez un exemple d’un eco-système dans lequel un changement radical s’est produit sans l’appui du commanditaire, je suis preneur.)
Et concrètement ?
Chers commanditaires et dirigeants : si vous confinez votre transformation agile à un seul échelon du système, sans y inclure le pilotage budgétaire ou managérial et sans permettre au système d’avoir le temps de se re-construire... il n’y a pas de raison que le changement aille plus loin que ses mots-valises : squads, tribus, RTE, disruption, changement, bla-bla et cie.
Ceci étant, il est difficile de donner des prescriptions génériques à des cas qui sont tous particuliers. Mais s’il fallait poser un début de cadre, d’intervention, je proposerais les étapes suivantes :
Se demander « pourquoi ». Pourquoi voulons-nous changer ? Quel en est l’enjeu ? Pourquoi allons-nous “mourir” si nous ne le faisons pas ? Et pas le « sens of urgency » de Papy Kotter, hein. Une vraie raison. S’il n’y a pas de raison ? Surtout ne touchez à rien.
Pour aller ensuite au quoi. Que faisons-nous aujourd’hui qui nous mène à l’échec ? Que cela nous apporte t-il ? Qu’est-ce que cela dit de notre relation au réel ? Qu’est ce que cela nous permet de cacher ? Quelle discussions évitons-nous grâce à cela ?
Et enfin au comment. Comment allons-nous en-le-ver ce qui nous gène (plutôt que d’ajouter de nouvelles contraintes à ces pauvres équipes qui n’en peuvent plus...) pour tester de nouvelles façons de faire .
En forme de conclusion, mais qui ouvre à débat
Pour le dire pompeusement, la détection de nos drivers de non-changements est le préalable à une demande de changement débarrassée de sa demande intrinsèque homéostatique. Ou bien : il faut mettre en lumière les raisons de ne pas changer pour espérer voir un vrai changement.
C’est le lieu d’un accompagnement de coaching (d’organisation celui-là) de mettre en lumière cette non-demande, puis de définir les permissions et les changements d’action qui viendront —peut-être— enclencher un process de changement. Après que ce changement soit agile ou pas agile, ça dépendra de ce que vous fabriquez, de son cycle, de sa complexité.
Et si, en définitive, vous préférez le non-changement, c’est ok aussi.
Et vous, comment allez-vous demander votre futur non-changement ?
Consultant accompagnateur du changement - Change Strategy - Transformation Digitale - Industrie 4.0
4 ansBravo Guillaume Dutey-Harispe pour cette synthèse éclairante et tellement universelle.
Coach Agile à l’échelle - SPC & Change Maker @ BPCE
4 ansà lire ! merci Guillaume Dutey-Harispe
Manager de Centre Lean, Agile et Design de la Coopérative U
4 ansMerci Guillaume Dutey-Harispe ! C'est tellement vrai ! "Messieurs Mesdames, changez ! Messieurs Mesdames les Coachs, faites les changer !
Gestalt Thérapeute diplômé de l'Ecole Humaniste de Gestalt.
4 ansMerci Guillaume Très bel article sur le non-sens ! Mais estampillé, certifié, qualiopisé comme il se doit pour accéder aux subventions des OPCA. S’il vous plaît 🥺
Praticien en Appreciative Inquiry | Coach de Managers et Dirigeants | Expert en évolution d’organisation collaborative certifié ICAgile | J'accompagne les organisations à allier bien-être et performance au quotidien
4 ansTrès bien dit .. J'ai partagé une interview de l'équipe que j'ai accompagné sur mon compte linkedin 👍👍 Mon but est de donner de la force a ceux qui ont évolué vers une démarche agile 👍👍