Fintechs : quelles disruptions dans l'univers des financements ?
Avec plus de 2 000 milliards d’euros de prêt en 2015, les banques françaises ont la main sur d’importantes ressources dont elles retirent des profits non négligeables. Ce marché conséquent, souvent bien protégé sous l’égide du monopole bancaire, voit apparaître toute une horde de start-up bien décidée à s’attribuer une partie du trésor bancaire. Ces start-up sont Bankin’, Particeep, Lendix ou Créancio. Elles sont jeunes, pleines d’idées et soulèvent des problématiques importantes au sein de l’environnement bancaire et notamment dans l’univers des financements. Dans un contexte où des acteurs (hôtels, taxi…) perçus comme incontournables ont vu leurs activités bouleversées par de nouveaux entrants issus des nouvelles technologies, les acteurs traditionnels de l’univers des financements prennent au sérieux la possibilité d’une « Ubérisation » de leur activité. L’émergence des FinTechs soulève donc naturellement de nombreuses questions. L’une d’entre elle, nous a justement été posée aux Rencontres du financement de l’économie : « FinTechs : quelles disruptions dans l’univers des financements ? ».
Pour répondre à cette (vaste) question, nous avons commencé par définir les FinTechs comme les start-ups de la finance (« Fin » pour finance, « tech » pour technologie). Elles ont fait leur première apparition il y a quelques années, à différents endroits du globe. Elles sont, encore aujourd’hui de taille relativement modeste par rapport aux établissements financiers traditionnels mais s’attaquent à la plupart des segments de l’activité bancaire. A l’image du crowdfunding, les FinTechs ont d’ailleurs déjà commencé à faire bouger les lignes dans l’univers des financements. Cet univers représente l’ensemble des solutions visant à financer l’économie. On ne distingue donc pas les associations, les entreprises ou bien les particuliers. L’univers des financements concerne également les champs de l’investissement et de l’épargne. En effet, c’est de l’épargne des particuliers que proviennent, initialement la plupart des fonds qui viennent financer l’économie. C’est d’ailleurs le propre de l’activité bancaire : prêter les dépôts bancaires des particuliers pour financer l’activité économique. Pourtant, les FinTechs à travers le Financement Participatif (don, crowdlending ou crowdequity) s’immiscent dans cet univers. Il est toutefois légitime de s’interroger sur les changements opérés par l’apparition de ces nouveaux acteurs dans l’univers des financements. La littérature traitant du sujet n’y va pas de main morte en employant des mots aussi fort que « disruption ». Bien qu’il existe en français et en anglais, le terme « disruption » ne possède pas le même sens exact dans les deux langues. En français, il signifie « rupture » ou bien « fracture » alors qu’en anglais, le sens précis serait « perturbation » ou « bouleversement ». Ce terme, associé aux FinTechs et à l’univers des financements, peut donc avoir plusieurs sens. Les Fintechs seraient-elles plutôt un élément de rupture dans l’univers des financements en ce sens qu’elles seraient création d’une situation totalement inédite dans cet univers ? Ou bien seraient-elles plutôt un élément de bouleversement, au même titre que la monnaie fiduciaire bouleversa l’univers des financements il y a de cela des siècles ? La précision est donc de rigueur pour traiter du caractère potentiellement disruptif des FinTechs.
Ainsi, nous verrons en quoi les FinTechs peuvent bouleverser l’univers des financements grâce à une composante technologique dont les acteurs traditionnels ne disposent pas forcément. Toutefois, il sera également nécessaire d’analyser la position dominante des acteurs traditionnels de l’univers des financements qui est susceptible de constituer un obstacle de taille aux ambitions révolutionnaires des FinTechs.
I. Des éléments disruptifs certains
A. Une entrée fracassante dans l’univers des financements
Pour avoir une idée de l’ampleur du phénomène FinTechs, il est important d’avoir une estimation des investissements dédiés à ces start-up de la finance. The Economist Intelligence Unit s’est penchée sur la question. Cette entité du célèbre journal économique a estimé à 25 milliards de dollars le montant des investissements en direction des FinTechs sur les 5 dernières années. McKinsey & Company, le cabinet de consultant, s’est également prêté au jeu. Il estime les investissements dans les FinTechs à 12,2 milliards de dollars en 2014. Ces montants peuvent paraître conséquents, notons tout de même que les FinTechs dans leur ensemble ne représentent que 2% du marché bancaire global. Devant ce dernier chiffre, on peut se demander la légitimité de toutes ces interrogations concernant les FinTechs. En réalité, c’est la croissance très rapide de ces nouvelles entreprises financières qui fascine puisqu’elles ont connu une croissance de 205% entre 2013 et 2014.
Les FinTechs ont également surpris par leur capacité à intégrer un champ très large des activités de la finance traditionnelle. En effet, les start-ups de la finance peuvent se targuer d’être présentes sur l’ensemble des segments financiers. Evidemment, il existe quelques angles morts tels que le financement de très grandes entreprises ou la gestion d’actifs pour grandes entreprises. Les FinTechs ont privilégié les segments les plus rentables de l’activité financière : le paiement, l’asset management pour particuliers, gestion de comptes pour particuliers et surtout le financement de particuliers.
Avec 43% des FinTechs se tournant vers les activités de financement, il y a de fortes raisons de croire que celles-ci ont bien l’intention de faire bouger les lignes de cet univers. Il n’y a qu’à se pencher sur le dynamisme du financement participatif français pour s’apercevoir que les FinTechs ont des velléités disruptives que les acteurs traditionnels de l’univers des financements ne devraient pas ignorer.
B. Quels changements dans l’univers des financements ?
Les FinTechs apportent de nouvelles solutions qui permettent d’améliorer l’accès au financement des entreprises. Ces solutions interviennent à différentes étapes du processus bancaire. La création de nouvelles méthodes de monitoring des performances des entreprises, de leurs ventes, ou de leur taux d’utilisation des facteurs de production, permettent de déceler plus rapidement les besoins de financement d’une entreprise. Une fois ce besoin détecté, avec des nouvelles technologies d’authentification de documents (AriadNext, Etherum, Eris), et de signature virtuelle de contrats, l’attribution du crédit nécessaire à la poursuite optimale de l’activité de l’entreprise n’est qu’une question d’heure quand il faut parfois compter plusieurs rendez-vous avec son conseiller bancaire. Les FinTechs ne renouvellent pas seulement l’accès aux financements en rendant le système plus fluide, elles le rendent également plus inclusif. En effet, les acteurs de la FinTechs, au premier rang les plateformes de crowdfunding (Crowdlending et CrowdEquity incluses), élargissent le spectre de l’accès aux financements. D’une part, les start-ups se voient offrir des alternatives aux Fonds de Capital-risque. D’autre part, ce sont les entrepreneurs particuliers en manque de fonds propres qui se voient offrir l’accès au crédit grâce aux financements en fonds propres. Enfin, grâce à une relative désintermédiation bancaire, des projets citoyens, sociaux, environnementaux sont directement mis en relation avec des épargnants désireux de placer leurs économies dans des projets ayant trait à ces causes. En reconnectant le financeur et le financé, les FinTechs s’inscrivent pleinement dans la démarche de Novafi. Devant la relative complexité de ces nouvelles solutions, Novafi souhaite donner toutes les clés d’analyse aux épargnants qu’ils fassent des choix éclairés en phase avec leurs convictions. Notre portail permet justement de choisir les thèmes auquel l’épargnant veut dédier son investissement. Ils peuvent être très variés : Environnement, accès au logement, Pays en Développement, PME, investissement régional. Les solutions d’investissement sont tout aussi variées :
- Energie Partagée (actions non cotées)
- Livret NEF
- Fonds d’investissement verts (Ecureuil bénéfice environnement)
- Plateformes de crowdfunding (Enerfip)
Si ces changements sont importants et constituent des avancées importantes dans l’univers des financements, il n’en reste pas moins que des éléments peuvent laisser croire qu’il ne sera pas évident pour les Fintechs de révolutionner en profondeur l’univers des financements.
II. Disruption : davantage de bouleversements que de révolution
A. Des acteurs traditionnels dans une position encore très avantageuse
Dans une large mesure, la particularité des FinTechs est une certaine capacité à court-circuiter les acteurs traditionnels de la finance dans leurs relations avec leurs clients. Toutefois, ces start-ups de la finance ne semblent aujourd’hui pas en mesure de révolutionner l’univers des financements dans son ensemble, tant la domination des acteurs traditionnels est encore prépondérante.
Les banques, acteurs majeurs de l’univers de financement, sont de tels mastodontes qu’il est difficile d’imaginer des petites start-ups, même nombreuses, les déstabiliser. CitiGroup, une des principales banques américaines, génère à elle seule 76,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2014. Cela représente plus de 6 fois les investissements mondiaux à destination des FinTechs la même année. Une telle taille permet à ces acteurs de jouir de plusieurs avantages. Le premier est qu’ils ont déjà accès à une immense majorité des clients du secteur. Cette clientèle présente aussi l’avantage d’être fidèle dans l’univers des financements. En France notamment, les banquiers de banques de détails sont les premiers interlocuteurs des entreprises et des entrepreneurs concernant le champ des financements. Il est donc particulièrement difficile pour de nouveaux entrants de passer outre cette relation souvent privilégiée entre les banques et leurs clients.
Les FinTechs sont souvent présentées comme ayant un avantage sur leurs rivaux traditionnels du fait qu’elles échappent en grande partie à une lourde régulation qui handicape les acteurs traditionnels de l’univers des financements. Cet argument est vrai tant que les FinTechs ne sont pas amenées à mobiliser des montants trop conséquents ou à gérer d’importants risques. En effet, aujourd’hui les Fintechs ne représentent qu’un échantillon marginale de l’univers des financements, elles ne sont pas à même de faire peser un risque systémique à cet environnement. Toutefois, dès qu’elles commenceront à atteindre une taille critique, il y a fort à parier que les régulations se pencheront sérieusement sur les activités des FinTechs. Dans ces conditions, ce sont bien les acteurs traditionnels qui présentent un avantage certain vis-à-vis des Fintechs. Ils sont effectivement habitués à gérer les problématiques de régulation tant sur le plan réglementaire que financier.
Dans ces conditions, la position encore amplement dominante, des acteurs traditionnels de l’univers permet à ceux-ci d’avoir une marge de manœuvre importante concernant le caractère disruptif de l’arrivée des FinTechs. Néanmoins, si le poids de la régulation à venir et leur puissance financière leur offre du temps, il faudra l’utiliser à bon escient pour ne pas connaître de sérieuses désillusions, comme Kodak en son temps.
B. Un mariage forcé ou inevitable
Les FinTechs et leurs dirigeants sont bien conscients du caractère disruptif de leur arrivée dans l’univers des financements. Ils n’ignorent pas pour autant la puissance titanesque de leurs concurrents. La réalité veut également, qu’il soit très difficile pour ces start-ups de ne pas prendre en considération ces acteurs dans leur modèle de développement.
De par leur statut de start-ups, les Fintechs sont nécessairement, à un moment donné, à la recherche de fonds afin de poursuivre leur développement. Or, en dehors des fonds de capital risque, les entités les plus à même de fournir ces fonds ne sont autres que les banques. Sachant cela, les start-ups de la finance ne peuvent exclure la possibilité de céder une partie de leur capital aux acteurs traditionnels de l’univers des financements en échange d’argent frai. D’un point de vue plus pragmatique, les FinTechs requièrent toujours de très importantes et nombreuses informations concernant les consommateurs. Elles sont encore détenues au sein des banques ou autres institutions financières de l’univers des financements. L’accès direct à de nombreux clients, à d’importants volumes pour les FinTechs est encore, dans une très large mesure du ressort des banques. En cela, les acteurs traditionnels de l’univers des financements ont un impact potentiellement décisif sur l’avenir à moyen/long terme des Fintechs. De ce fait, ces dernières sont contraintes d’envisager sérieusement la possibilité que leurs concurrents puissent un jour ou l’autre devenir leurs plus proches alliés.
Toutefois, il serait illusoire de ne pas envisager ce besoin de manière réciproque. Si les acteurs traditionnels présentent des arguments essentiels à la survie des FInTechs, les enjeux contemporains de l’univers des financements rendent l’expertise des FinTechs essentielles aux banques et autres sociétés financières. Avec plus de 85 millions de Millenials (personnes devenant adultes au 21ème siècle), les attentes de la clientèle bancaire évoluent très rapidement. Cette génération exige des offres plus personnalisées, plus intuitives, moins intermédiées et surtout plus transparente que les offres actuelles. Pour parvenir à présenter de telles offres, il est nécessaire de maîtriser parfaitement l’exploitation et l’analyse des données. Or ce sont les FinTechs qui se caractérise par une véritable maîtrise des data sciences. Dans un monde où 90% des données ont été créés ces deux dernières années, les acteurs traditionnels auront sans aucun doute besoin de ces compétences. Enfin, face à des coûts de coordination grandissant liés à leur taille, les banques seront dans l’obligation afin de maintenir une profitabilité élevée, et donc d’externaliser certaines tâches que les FinTechs réalisent mieux et à moindre coût.
L’engouement suscité par les FinTechs est légitime tant par le dynamisme dont elles ont fait preuve que par le champs très large des activités auxquelles elles s’attaquent. Ces start-ups de la finance, grâce à leurs compétences novatrices, peuvent se targuer d’un potentiel disruptif à même de faire réfléchir les acteurs traditionnels de l’univers des financements. Toutefois, elles s’attaquent à un marché où les acteurs majeurs sont dans une position dominante qu’il sera difficile de renverser. De cette perspective, il est peu probable que le secteur connaisse une véritable révolution. Il n’en reste pas moins que d’importants bouleversements dans cet univers des financements sont à prévoir. En effet, banques comme Fintechs s’aperçoivent qu’elles ne pourront poursuivre sereinement leur activité, sans se rapprocher les unes des autres. Il n’y a qu’à regarder les investissements des grandes banques internationales pour se rendre compte que Fintechs et banques sont destinées à évoluer côte à côte dans l’univers des financements. Goldman Sach soutient Motif Investing, quand BBVA dédie une infrastructure entière aux problématiques liées aux FinTechs. Facteur de bouleversement plus que de révolution, l’arrivée des FinTechs n’a pas fini de faire bouger les lignes de l’univers des financements. Reste aujourd’hui à savoir quels sont les acteurs traditionnels qui sauront s’adapter à ces bouleversements et ceux qui, trop sûrs de leurs forces, périront sous le poids de la destruction créatrice.