FRAGMENTS D'UN SENTIMENT

FRAGMENTS D'UN SENTIMENT

Interview

« Fragments d’un sentiment » est votre onzième ouvrage publié. A quelle nécessité d’écriture répond-il ?

Ce livre, comme souvent chez moi, s’inscrit dans la continuité d’un coup de sang. Je sortais d’un petit pamphlet consacré au président burlesque du pays. Je voulais retrouver la veine littéraire pure, me laver d’une médiocrité politique, brève parenthèse ironique dans mes écrits. C’est pourquoi la notion de style m’est apparue comme une bouffée d’oxygène.

« Fragments d’un sentiment » est un travail sur les mots, une sortie par le haut. Le livre ouvre une réflexion sur ce qui vaut la peine d’une admiration. Il s’enracine dans un questionnement. Qu’est-ce qu’un style ? Une manière d’être seul. J’aime éprouver la sensation de l’écriture, ressentir l’émotion d’un style, cette façon de monter dans sa chambre, d’un bond, et de s’enfermer à clé.

Et encore ?

Le style se trouve au terme d’un cheminement. Il s’acquiert au voisinage d’une vérité, il révèle une beauté. Il trouve une sonorité, reconnaît un visage, identifie une façon d’habiter une identité, de se regarder dans une phrase comme une image de soi.Et de cette perception intime du style, d’une manière d’être radicalement vraie, infalsifiable, incomparable, j’en suis venu à la solitude de la condition humaine. Avec le style, l’homme se civilise, échappe à la morose barbarie. Au prix d’une solitude et d’une idiosyncrasie qui définissent dans leurs contours une manière d’être, voire un maniérisme existentiel. L’enfant apprend la rêverie dans la solitude des après-midi. Cette solitude est une plénitude. Elle trace une vie jusqu’à la pourriture d’une chair.De cette solitude que j’assimile à un sentiment, je relate des instants personnels vécus et des moments imaginés que j’entremêle par consonnes et voyelles. Je frotte le sentiment de solitude à la sensation d’étrangeté. D’étrangeté au monde, à la stupéfaction, à l’effarement d’être. Ecrire est une tentative pour essayer des trucs à soi qui subliment une déréliction, un état solitaire d’uniforme abandon. A vrai dire, je ne sais jamais de quoi mes livres sont faits, ni même de quoi ils parlent. Je sais juste, ou j’ai l’illusion, qu’ils sont soigneusement taillés. Nicolas de Staël nous prévient au sujet de la peinture : « Moins on invente, mieux c’est ». Moi je dirais qu’un écrivain c’est quelqu’un de mal élevé : il ne parle que de lui.

Le livre attribue une place majeure, privilégiée, au théâtre. Pourquoi ?

Il y a l’écriture, bien sûr. Ses maléfices, ses sortilèges. Mais le théâtre la surplombe, en quelque sorte. La voix des voyelles en garantit l’éternité orale dans l’éphémère d’un temps insaisissable, dans le vol d’oiseau d’un seul ciel.

« Fragments d’un sentiment » évoque la magie, la sacralité du théâtre, le seul vrai métier d’homme, de l’homme du récit récité qui défie les silences du vain écrivain. Dans le jeu d’acteur, le style saute aux yeux, jaillit à la lumière comme une épiphanie, un éblouissement mémorable, un choc violent, fulgurant, qui s’imprime dans le sang. J’interroge les grands acteurs. Je détaille leur manière. Je me délecte d’un style qui magnifie les textes. J’observe les corps aussi, l’éthologie des silhouettes. J’admire la beauté du geste, le ballet des mouvements, la chorégraphie des postures. Flaubert voulait être un gugusse. La carrière du « Garçon » illustre une première vocation de bouffon. « Le gueuloir » témoigne de la seule et vraie passion de Gustave. Ecrivain n’est qu’un deuxième choix. Avec Pat, personnage du livre, nous avons erré dans ces parages-là. A la recherche d’une majesté. A la recherche d’un style.

La nostalgie colore les pages du livre d’une teinte automnale. Quel rôle lui accordez-vous ?

J’observe que le monde contemporain dénie à la nostalgie sa valeur positive de création. Je n’appartiens pas au cercle des contempteurs de la nostalgie. Au contraire, je me range au jugement d’artistes exemplaires comme Chopin ou Pasolini qui lui affectent une force particulière d’imagination. « La connaissance est dans la nostalgie ». Je me reconnais dans la phrase du poète italien.Il convient d’associer à cette réhabilitation de la nostalgie, sous l’angle d’un charme absolu, les brillantes pages que lui consacre le philosophe Vladimir Jankélévitch.

De quoi traitera votre prochain livre ?

Du paradis. Oui. J’y ai séjourné à plusieurs reprises. J’ai noté mes impressions au fil de secrètes randonnées au bord de la Méditerranée. L’Italie est un paradis solaire, à portée de sensation et de plaisirs exquis. Il court les rues, inonde les ruelles. L’Italie est un paradis unique en son genre. Je ne l’ai jamais perdu. Ce journal de voyage s’intitulera « La soie du soir ». C’est un livre de frivolités. C’est un livre sur la gaieté, la sensualité, l’insouciance de l’été. Souterrainement grave, en vérité. J’aimerais dire « mozartien ».Ce livre ultime ponctuera une vie. Le paradis ne souffre d’aucun rajout, d’aucune retouche. Ce sera l’heure de conclure. « J’ai fait mon rôle », disait Madame de Sévigné.

L’ouvrage est paru le 15 novembre 2023. Il est mis en vente chez l’éditeur, 5 Sens Editions, à l’adresse suivante : https://catalogue.5senseditions.ch/.../536-fragments-d-un...

Il est disponible sur toutes les plateformes dématérialisés sauf Amazon (Fnac, Decitre) ainsi que sur commande dans toutes les librairies : ISBN 978-2-88949-627-3

Il suffit aux librairies de contacter l’éditeur à l’adresse suivante : servicedistribution@5senseditions.ch

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