Quelque chose me suit

Quelque chose me suit

Il ne suffit pas qu’une chose soit arrivée pour qu’elle devienne un fait, c’est-à-dire un élément concret de notre vie. Il faut qu’elle s’inscrive dans une durée consciente, et qu’elle trouve une forme, une écriture, qui lui donne son énergie et sa nécessité.

Sans quoi, à peine née, elle retourne au néant ordinaire. Elle n’était rien et il n’en reste rien. Le temps l’a effacée en passant.

Les émotions qui peuvent naître d’un événement donné ne demandent qu’à se ressembler entre elles, et à se perdre dans la répétition. Même les plus singulières et les plus inattendues ont la saveur vague d’une journée ordinaire : toujours à refaire, toujours inutile. Et la plupart des émotions sont si impersonnelles que ça ne vaut pas la peine d’en garder le souvenir. Subsiste ce qui peut.

Parfois bien sûr, une crise, un drame, un grand bonheur, peuvent donner à l’instant présent un peu de substance. Mais les bouleversements sont rares. L’insignifiant est notre lot.

Dieu merci, il existe dans l’esprit une touche delete. On jette du lest. Ce qu’on supprime ne disparaît pas absolument, mais cesse d’avoir une force active. Quand le souvenir devient le souvenir d’un souvenir, il n’y a plus d’enjeu.

Tout ce qu’on jette, tout ce qu’on trie, du lourd butin des journées, aboutit à la légèreté d’un récit sans commencement ni fin véritable : la vie.

L’exploration de la mémoire, les greniers clairs de l’enfance et le sentiment de l’éternité, ne trompent pas.

Il y a quelque chose qui me suit, une sorte de roman ininterrompu, dont je ne me rends pas compte au jour le jour, mais qui me saute à la gorge, quand je ferme les yeux et que je remonte les pièces du puzzle.

La reconstitution d’un univers plus vrai que le vrai, au moyen de phrases qui s’enchaînent, est mon vrai métier.

Je suis engagé dans un labyrinthe d’écriture, dans lequel j’ai parfois peur de m’égarer, et j’ai pour m’éclairer les petites flammes d’émotions qui m’entraînent, non par le simple fait qu’elles jaillissent et qu’elles meurent, mais par le chemin qu’elles éclairent.

Ce que je vis, ce qui m’arrive, est un brouillon. Il faut saisir l’expression juste, la pliure indubitable, pour que le temps s’incarne enfin.

 

🎲 Patricia Bendris

L'imagination est le langage de l'âme et le partage des connaissances est la joie de la pensée💫

5 ans

"Tout ce qu’on jette, tout ce qu’on trie, du lourd butin des journées, aboutit à la légèreté d’un récit sans commencement ni fin véritable : la vie." Merci infiniment, je ne cesse jamais de vous le dire cher Luc mais votre écriture se reflète en moi comme des lucioles !

Colette Eynard

Consultante en gérontologie sociale ARCG

5 ans

"Pour que le temps s'incarne enfin" : la finalité de l'écriture ?

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets