François Hollande, la stratégie gagnante de la primaire
Il s'agit du billet lançant officiellement le site La Constitution décodée, que vous pouvez retrouver et commenter ici.
Cette tribune est parue dans Libération du 4 octobre 2016.
Si François Hollande décidait de se présenter à l'élection présidentielle, il aurait trois raisons de ne pas se soumettre à la primaire socialiste. C’est pourtant indispensable car il a autant de raisons stratégiques de s’y confronter.
Juridiquement, politiquement et pratiquement, un Président de la République sortant ne saurait se soumettre à des primaires.
Juridiquement, les primaires ont déjà eu lieu : la majorité actuelle a choisi son candidat en 2011 et le peuple a choisi son Président en 2012. Investi, il se plaçait de facto à la tête du Parti socialiste et des partis qui ont participé aux primaires citoyennes. Élu, il s’est élevé au-dessus de la mêlée politique, en demeurant soutenu par cette majorité, qui l’a fait candidat, puis Président.
Certes, les statuts dudit Parti prévoient que « le candidat à la présidence de la République est désigné au travers de Primaires citoyennes ouvertes ». Il en est de même aux États-Unis, d’où sont importées nos primaires : il est faux de dire que les Présidents américains sortants échappent aux primaires car ils sont, à l’instar de tout candidat, investis au terme de ce processus. En revanche, ils échappent (généralement) à une concurrence : leur légitimité partisane acquise une première fois, confirmée par leur légitimité présidentielle, leur permet de briguer un second mandat, comme l’autorise la Constitution.
Dans l’histoire récente, il y a deux exceptions notoires. D’abord, Gérald Ford, concurrencé lors des primaires républicaines de 1976 par Ronald Reagan. Mais il est vrai qu’il n’avait jamais été élu Président, succédant à Richard Nixon en 1974. Il remporta les primaires, mais perdit l’élection face à Jimmy Carter. Ce dernier, ensuite, quoiqu’élu Président, fut concurrencé lors des primaires démocrates de 1980 par Ted Kennedy. Également, il remporta les primaires mais perdit la présidentielle.
Politiquement, un Président sortant bénéficie ainsi d’une légitimité qui s’impose. Dès lors que le droit (et sa santé physique) le lui permet, il est le candidat légitime de son camp. Ce dernier sera jugé à l’aune du bilan du premier. Or qui de mieux placé que lui pour défendre son propre bilan ? De surcroît, c’est le seul instant où un Président, soi-disant politiquement irresponsable, connaît pleinement la seule responsabilité politique qui est la sienne : devant le peuple qui l’a élu. Soit il valide le mandat passé et confirme un Président satisfaisant, soit il le tient pour responsable et renvoie un Président insatisfaisant.
Pratiquement, enfin, il est délicat, pour un Président en exercice, de se confronter à de telles primaires. Pour une question de temps, d’abord : présider aux destinées d’un État n’est pas rien et occupe convenablement l’agenda. Surtout en période de crise économique. Surtout en période d’alerte terroriste. Surtout en période de difficultés politiques européennes et internationales. Et le cumul des trois amoindrit d’autant le temps à disposition. Pour une question de fonction, ensuite : plonger dans le débat de la campagne électorale n’est déjà pas aisé pour un Président en exercice placé au-dessus des contingences partisanes, mais au moins peut-il défendre la politique qu’il a conduite. À l’inverse, plonger dans le débat des primaires le confronte à son propre camp, qui l’a pourtant soutenu au cours de son mandat et dont la politique conduite est donc (censée) être la même.
Pourtant, François Hollande ne peut échapper aux primaires s’il souhaite être candidat, pour trois raisons stratégiques.
Il doit regagner en légitimité, d’abord. En effet, contesté en tant que Président, il a besoin d’être soutenu en tant que candidat. Les primaires lui offriront une légitimité que nul ne pourra alors lui contester, hormis le peuple, lors de l’élection. Si quelqu’un devait se risquer à la contester, il ne pourrait le faire qu’en étant lui-même candidat à l’élection présidentielle. Mais ce serait alors face à un candidat désigné au terme d’un processus démocratique, avec les risques politiques que cela comporte s’il est issu du « camp présidentiel ». À moins qu’il ne le fasse en étant candidat aux primaires, pour alors soutenir l’unique candidat investi.
Il a besoin de recréer une solidarité à gauche, ensuite. Tel est l’objectif de ces primaires : désigner le candidat de la gauche de gouvernement, que tous les autres participants et partis politiques s’engagent à soutenir. Ce n’est qu’ainsi que les éventuels dissidents pourront être ralliés au candidat. Ce n’est qu’ainsi que François Hollande, s’il est investi, pourra faire taire ceux qui, pour l’heure, le contestent. Ce n’est qu’ainsi que la gauche gouvernementale pourra être soudée et espérer gagner les élections.
Il lui faut occuper le terrain médiatique, enfin. Nul doute que les primaires de 2011, dont on parlait continuellement et presque exclusivement plus d’un an avant l’élection, ont largement contribué à la victoire de 2012. Nul doute que l’opposition actuelle a voulu saisir l’occasion de faire de même. Nul doute que la majorité ne veut pas se laisser prendre à son propre piège. Organiser des primaires permet ainsi à cette majorité de répondre aux coups qu’entend lui porter une opposition à sept voix.
Cette stratégie pourrait être suffisante pour conjurer le sort des Présidents américains sortants, confrontés à ce type de primaires.