Fusion Deutsche Bank-Commerzbank : "Un projet irresponsable pour la stabilité financière mondiale"

1) La fusion Deutsche Bank - Commerzbank est présentée comme une solution pour renforcer la solidité des 2 établissements malmenés depuis la crise de 2008, croyez-vous à cette thèse ?

Ce projet de mariage illustre un grave dysfonctionnement de gouvernance, au niveau des banques mais aussi de l’Etat allemand. Marier deux unijambistes n’a jamais créé un coureur marathonien… On a un peu trop vite oublié la fusion de Dresdner Bank et de Commerzbank qui n’a pas renforcé la solidité de Commerzbank, tout comme celle de Postbank avec Deutsche Bank qui n’a pas permis à la Deutsche de sortir de l’ornière après la crise de 2008. En revanche, ce projet de fusion entraînerait une casse sociale massive : plus de 30.000 emplois redondants détruits. Ce jeu de Meccano Junior est l’œuvre de deux Goldman Sachs boys, Paul Achleitner (président du conseil d’administration de la Deutsche) et Jörg Kukies (secrétaire d'Etat au ministère des Finances allemand). Les faits d’armes de M. Achleitner parlent d’eux-mêmes : il a notamment œuvré au premier rachat catastrophique de Dresdner par Allianz en 2001 et depuis sa nomination comme président de la Deutsche en 2012, il a présidé… au dévissage de 74% de son cours en bourse. De surcroît, les rumeurs vont bon train sur l’incompatibilité des systèmes informatiques de Deustche et Commerz, cause fréquente et coûteuse des dérapages des synergies attendues dans un rapprochement bancaire.

L’idée avancée de créer un champion national, une über-bank, ne serait que reculer pour mieux sauter. Or, nos amis allemands n’ont pas vraiment besoin d’une telle méga-banque pour financer leur Mittelstand, ces grosses PME exportatrices qu’on leur envie tant et qui n’ont pas attendu la Deutsche pour être très bien servies par les quelque 1.500 banques de proximité que sont les Sparkassen (caisses d’épargne) et les Volksbanken (banques populaires)… Quand Dexia a connu des déboires, on ne l’a heureusement pas fusionné avec Natixis également en difficulté : on a mis Dexia en liquidation ordonnée et Natixis a opéré à son redressement avec ses propres moyens. Peut-être conviendrait-il mieux de mettre Deustche en liquidation et de laisser Commerz poursuivre son redressement de son côté. J’espère que les autorités européennes vont mettre bon ordre à ce projet irresponsable pour la stabilité financière mondiale. Souvenons-nous que c’est la fusion d’ABN-Amro qui a plié deux grandes banques systémiques en 2008, RBS et Fortis. Je note à ce sujet qu’André Enria, le nouveau patron du Mécanisme Unique de Supervision au sein de la BCE, a très justement émis des réserves sur ce projet.

2) En quoi le risque systémique attaché à ces deux établissements paraît très important ?

Nous avons 30 méga-banques systémiques dans le monde, d’après la liste établie chaque année par le Conseil de Stabilité Financière, qui est une émanation du G20, autrement dit pas un groupuscule trotskiste. Ces banques tiennent leur Etat en otage. Dans ces 30 banques, 4 sont françaises et une est allemande, justement la Deustche Bank ! Fusionner Deutsche et Commerz, c’est engendrer un mammouth de la taille de BNP Paribas. Mais Deutsche est plus systémique que BNP à cause de la taille de ses produits dérivés qui atteignent 43 460 milliards d’euros en hors bilan : c’est 32 fois la taille de son bilan de 1 348 milliards d’euros, ou encore 13 fois le P.I.B. de l’Allemagne. Or, les crises bancaires systémiques se propagent via la liquidité et… les produits dérivés.

3) Plus généralement, quels sont les produits financiers qui, aujourd'hui, fragilisent le plus Deutsche Bank ?

La fragilité de la Deutsche vient principalement de la partie comptabilisée au bilan de ses produits dérivés. Habituellement, on comptabilise ces dérivés en valeur de marché, une méthodologie qu’on dénomme « niveaux 1 et 2 ». Quand on ne peut pas se référer à un prix de marché, on utilise une méthodologie d’évaluation à partir d’un modèle financier, grossièrement un tableur Excel, qu’on appelle « niveau 3 ». Vous comprendrez qu’il y a dans ce procédé des risques importants de moindre valeur. Les actifs de la Deutsche comptabilisés en « niveau 3 » s’élevaient à 24,6 milliards d’euros, soit 2% de son bilan ou encore 40% de ses fonds propres de 62 milliards d’euros fin 2018. La bourse ne s’y est pas trompée car elle ne valorise ces fonds propres qu’à hauteur de 15 milliards d’euros, soit le quart de leur valeur comptable.

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