GEOPOLITIQUE DU FLEUVE HELMAND

GEOPOLITIQUE DU FLEUVE HELMAND


Echange de tirs à la frontière irano-afghane, trois morts, une guerre de l’eau couve depuis que les taliban sont de retour à Kaboul. Le plus long fleuve afghan, l’Helmand, prend sa source dans les montagnes de l’Hindou Kouch et coule à travers l’Afghanistan jusqu’aux marais du Sistan iranien avant de se perdre dans les sables. Les lacs du Sistan formaient naguère l’une des plus importantes zones humides de la planète, avec leurs oiseaux, leurs roselières et leurs poissons qui soutenaient l’économie locale. Mais les talibans au pouvoir en 2001 ont coupé l’eau. Les lacs ont disparu, la ville iranienne de Zabol est devenue la proie de violentes tempêtes de sable et de poussière. L’histoire recommence.

Le gouvernement iranien presse les talibans de respecter l’accord passé en 1973 par le roi Zaher et le shah Pahlavi, qui garantissait en toute circonstance un débit de 22 mètres cubes seconde à la frontière. L’accord prévoit des mécanismes de règlements des différends que l’Iran réclame d’utiliser. Autrefois l’ Helmand pouvait même faire déborder les lacs iraniens en avril et mai lorsque la fonte des neiges quintuplait son débit, mais aujourd’hui 3 barrages, Kajaki, Grishk and Kamal Khan, ont été construits sur le fleuve et les Afghans veulent être servis en premier.

La vallée de l’Helmand a profité de l’aide internationale pendant l’intermède de la République afghane. Des réservoirs ont été créés, des pompes solaires puisent dans la nappe d’accompagnement du fleuve. La surface agricole a augmenté, poussant les fermiers sans terre dans les zones plus reculées où ils peuvent cultiver l’opium tandis que les surfaces arrosées s’essayent au blé, aux légumes, aux vergers, aux épices. La quasi-totalité de l’eau est ainsi utilisée pour l’irrigation, avec beaucoup de fuites et d’évaporation. La population a augmenté et les montagnes reçoivent moins de neige.

« Prenez au sérieux les droits à l’eau de l’Iran » avertit le président iranien en visite le 18 mai 2023 dans la région, s’attirant en réponse une vidéo menaçante d’un chef taliban promettant rien moins qu’une guerre de conquête contre l’Iran si le feu vert était donné. Plus mesuré le porte-parole du gouvernement afghan affirma que l’Afghanistan était «déterminé à remplir ses obligations » mais que les « déclarations inappropriées » faites par l’Iran pouvaient nuire aux liens entre les deux pays. Il allégua que la sécheresse interdisait le transfert d’eau. Réponse des Iraniens : « Laissez-nous inspecter le barrage de Kajaki, nous verrons s’il y a assez d’eau».

Que les talibans soient tentés de garder pour eux toute l’eau de l’Helmand n’est pas nouveau. La vallée est leur fief. En outre ils manquent de compétences pour gérer l’eau et ne disposent d’aucune donnée hydrologique sérieuse. Un accord de bon voisinage et un partage équitable de l’eau serait clairement dans l’intérêt commun des deux pays. Naguère il avait été question de troc, l’eau contre le pétrole. Mais aujourd’hui, ce qui est nouveau, c’est l’intérêt que la querelle éveille chez les adversaires de l’Iran. Fermer l’accès à l’eau, c’est attiser la colère des habitants de la province iranienne du Sistan-Baloutchistan, à majorité sunnite. C’est déstabiliser l’Iran. Les stratèges occidentaux appuieraient-ils le point de vue afghan ? Par un curieux retournement, les talibans deviendraient fréquentables.

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