Histoire d’horreur vécue le jour de l’Halloween

Question à 400 millions $ : la culture est-elle plus forte que l’argent ?

Après deux ans et demi d’attente je suis enfin convoqué pour une chirurgie sans grande gravité mais tout de même nécessaire. 

Nous sommes le 31 octobre 2024 il fait 26 degrés; une journée estivale.  Je me présente en avance à l’Hôpital du Haut Richelieu pour 11h le matin.  Je me prête à tout le processus d’admission, je revêts la jaquette bleue et à midi on m’indique que mon opération aura lieu à 15h.

Au cours des semaines précédentes j’ai fait toutes les préparations nécessaires : j’ai libéré mon agenda pour les six semaines de convalescence, préparé des repas, enrôlé mon entourage et je me suis conditionné mentalement.

À 14h50, à 10 minutes de l’heure prévue, je vois une préposée annoncer à deux personnes qu’elle a de bien mauvaises nouvelles pour eux : leur opération n’aura pas lieu aujourd’hui.  Je me dis « ah non pauvre eux, c’est inhumain de leur faire vivre ça ! »

Puis la préposée se tourne vers moi…pour m’annoncer la même chose.  « Je suis vraiment désolée nous avons eu des retards au bloc opératoire, nous ne pourrons donc pas vous opérer aujourd’hui. »

« Alors quand ? »

« Je ne sais pas, on va vous appeler… »

« Mais toute la préparation et les inconvénients et les coûts et les pertes financières ? »

« Vraiment désolée Monsieur. »

« Vais-je devoir refaire tous les examens préparatoires à l’opération ? »

« Ça ne devrait pas Monsieur… »

Je suis sonné et je tente de comprendre ce qui m’arrive.

Premier réflexe, je ventile ma frustration en leur prêtant de mauvaises intentions : « ils m’ont annulé pour aller passer l’Halloween avec leurs enfants » …me dis-je.

Puis quelques jours plus tard je fais un peu de recherche sur le sujet, histoire de regagner mes esprits, de comprendre ce qui se passe et de tenter de redevenir un peu plus objectif.

Surtout, je passe cette expérience par le filtre de ma spécialité : la culture organisationnelle.

Selon le journal Le Devoir du 13 janvier dernier un fonds de 400 millions a été prévu pour réduire le nombre d’annulations en bloc opératoire.  L’argent doit servir à payer le temps supplémentaire de préposés lors de retards, qui arrivent tout le temps.  12 000 opérations ont été annulées en fin de journée entre le 1er septembre 2022 et la fin de janvier 2023

Le Journal de Québec du 29 mars 2024 nous informe qu’une opération sur 10 est annulée chaque jour dans les hôpitaux du Québec.

Les causes ?

Urgences, chirurgies plus longues que prévu, personnel qui refuse de faire du temps supplémentaire, mauvaise préparation du patient.

Les 400 millions doivent servir à financer les solutions à ces causes.  Urgences? Il y en a tous les jours elles devraient donc être prévisibles statistiquement.  Chirurgies plus longues que prévu ?  Elles devraient aussi être prévisibles statistiquement.  Personnel qui refuse de faire du temps supplémentaire ?  Selon La Presse + du 4 novembre 2024, plus de 340 des 400 millions ne sont toujours pas utilisés.  Il semble que même l’argent ne motive pas le personnel à rester un peu plus tard pour effectuer les opérations prévues. 

J’avoue que cela vient soutenir ma théorie de l’Halloween par un beau 26 degrés.  Cependant nous ne sommes pas dans les chaussures du personnel soignant à qui l’on demande très ou trop souvent de rester plus tard au détriment de leur vie personnelle.

Ce qui m’amène à la culture.

C’est dans les moments de décisions difficiles que la culture d’une organisation se manifeste.

Parlons d’imputabilité. « Larousse : possibilité d’attribuer à un individu la responsabilité d’une infraction. »

Annuler une chirurgie à la dernière minute est une infraction.

Mais qui a donc pris cette décision ? Ça lui arrive combien de fois ? Quels dommages cela cause-t-il ?  Quelles conséquences la ou les personnes qui ont pris cette décision vont-elles subir ?

Réponse : aucune

Alors si personne n’a de conséquences, on annule, le patient reviendra, il n’a pas le choix.  Ah il peut aller au privé; ce sera 8 000 $ Monsieur Richard, j’ai vérifié.

Et la vie continue

Bienvenue à la culture d’absence d’imputabilité.  Il semble que même 400 millions ne peuvent changer ça.

Madame Biron a tout un mandat pour changer cette culture.