Homélie 3° Dimanche de l'Avent
Ce qui ne peut manquer de frapper, dans cet évangile où apparaît la figure du Précurseur, où apparaît celui qui est "envoyé par Dieu" pour "rendre témoignage à la Lumière" sans être lui-même la Lumière, c'est bien la sourde hostilité de ceux qui l'interrogent et, à travers ces derniers, des "pharisiens" eux-mêmes. Et nous aurions tort, me semble-t-il, de ne voir dans cet interrogatoire relaté par l'évangéliste Jean, qu'une scène somme toute anecdotique, qu'une espèce de figure de style destinée à mieux mettre en évidence et en valeur Celui qui doit venir et qui est la Lumière : le Christ. Cette scène n'est pas anecdotique : elle dévoile une hostilité foncière, en effet, à l'égard de la Lumière, quelque chose de noir et qui est à l'œuvre contre elle. Pire : quelque chose qui la devance et qui, la devançant, prétend l'empêcher, l'étouffer avant même qu'elle ne puisse briller dans le monde et pour le monde. Et contre cette force obscure, ténébreuse, malveillante, il semble même, à la considérer pour elle-même, que nous ne puissions lutter, nous qui prétendons suivre le Christ, Lumière du monde, à armes égales. "Lutter à armes égales", ce serait par exemple entrer en débat, "disputer" au sens de la disputatio, argument contre argument - au sens où "de la discussion jaillit la lumière", comme le dit le proverbe... Mais (et pardon de me montrer un peu complexe) il faut bien méditer ici que la Lumière ne peut jaillir que de la Lumière, qu'il faut pour "discuter", même lorsque l'on n'est pas a priori d'accord, s'entendre du moins sur un langage commun, ou, pour le dire en termes plus philosophiques, partager la même foi en les "lumières de la Raison", en un commun Logos. Même lorsque l'on n'est pas d'accord, l'échange d'idées, la controverse au sens noble, ne sont possibles que pour autant que, pour chaque contradicteur engagé dans la discussion, les mots ont un sens - pour autant que prévaut une certaine politesse de l'esprit au moyen de laquelle, pour un peu, on en viendrait presque à se donner tort à soi-même, à vouloir sauver l'opinion contraire à celle que l'on défend. C'est ainsi, et ainsi seulement, qu'en effet de la discussion peut jaillir la lumière, que la lumière peut jaillir de la lumière... Mais qu'en est-il lorsque, en lieu et place de cette "politesse de l'esprit", on se trouve confronté à une hostilité foncière à l'égard de la lumière comme telle - on se trouve confronté à l'opaque grossièreté du mal, ce mal qui, pour une raison peut-être plus obscure encore que lui-même, rejette en effet toute lumière, entend l'éteindre quand elle commence à poindre, entend, même, s'assurer par avance qu'elle ne brillera pas ? Alors les dés sont pipés, alors c'est "pile je perds, face tu gagnes". Pour ce mal radical, quel que soit le nom qu'on lui donne (et comme les noms qu'on peut lui donner sont légion !), la discussion est déjà une défaite, quelque chose qu'il faut éviter absolument. Pour ce mal radical, partout où s'annonce le Logos, le Verbe intelligent, il faut le faire taire, purement et simplement - l'idéal étant, à vrai dire, qu'il n'y ait même pas besoin de le faire taire : il faut tuer les prophètes, si possible avant même qu'ils n'aient eu le temps d'ouvrir la bouche, il faut anéantir a priori toute velléité d'expression libre, il faut réduire à néant jusqu'aux conditions de possibilité de celle-ci ! De là que le mal radical, sans être inintelligent lui-même (ô combien), déteste pourtant l'intelligence en quête du Vrai, déteste la liberté et ce qui rend libre - et vénère et encourage au contraire tout ce qui appesantit ou stérilise la pensée, tout ce qui rend idiot, tout ce qui est radotage de vieille fille, tout ce qui abrutit, tout ce qui est sottise et tout ce qui est mensonge. Partout où il règne, partout où il étend son empire, c'en est fait de l'intelligence, cette intelligence qu'il redoute par-dessus tout et qu'il entend, s'il ne peut l'éteindre tout à fait, ensevelir sous une chape de plomb. Il ne s'agit pas tant, pour cet ennemi du genre humain, de censurer les opinions qui ne lui plaisent pas, que d'empêcher que l'on puisse même se forger librement une opinion quelconque. Le Mal, chers amis, adore les vérités officielles et déteste les questions. Et le plus grave, le plus déroutant, le plus triste, est que jamais il ne manquera d'esclaves - tant il est à vrai dire facile d'abêtir les hommes et de leur faire aimer leur servitude. Jamais les "pharisiens" ne manqueront - ces pharisiens qui, auréolés de leurs titres et du sérieux attaché à ces titres, enfermés dans leur catéchisme et leurs petites certitudes religieuses, qui les dispensent de réfléchir, s'y entendent très bien à disqualifier toute réflexion, à diaboliser tout ce qui n'est pas comme eux (c'est-à-dire : tout ce qui est vivant et tout ce qui pense), à intenter des procès en sorcellerie ou des procès d'intention. N'oublions jamais que le Christ, lui qui est le Verbe fait chair, lui qui est expression pure et simple de Dieu son Père, fut condamné par ces gens-là, fut condamné par certaines autorités religieuses de son temps - au nom de Dieu ! Mesurons-nous bien toute la portée de ce fait historique, tous les abîmes de réflexion qu'il ne peut manquer d'ouvrir sous nos pieds ou sous nos sacristies ?
Certes : c'est une terrible chose que ce "mystère du mal", que cette haine contre la Lumière. Permettez que je vous livre donc, bien maladroitement sans doute, trois convictions. La première est que cette haine n'appartient en propre qu'au diable et à ses anges, qui, par jalousie pour l'homme, ce vulgaire "animal à deux pattes", comme le fait dire C.S. Lewis au démon qu'il met en scène dans son fameux écrit Technique du diable, se sont irrémédiablement révoltés contre Dieu. La deuxième est que le plus sûr allié de la haine radicale est ici-bas la bêtise - laquelle est l'apanage exclusif des hommes, de certains hommes, à qui il est si facile de faire croire que quelques récits manichéens ou quelques vérités définitives, et qui comme telles dispensent en effet de réfléchir, suffisent pour être rangé dans le "Camp du Bien". On notera au passage que ces esclaves du Malin, indépassable contempteur du genre humain, sont souvent tellement dupés par leur mauvais maître qu'ils en finissent, comme lui (ce qui doit bien le faire rire), par avoir en horreur tout ce qui est vraiment "humain" - la folie trans-humaniste en est un bel exemple. La troisième est enfin qu'il faut, surtout lorsque l'on prétend rendre témoignage à la Lumière, apprendre à regarder en face tout ce qui s'oppose à elle, afin de reconnaître, comme un bon médecin le ferait d'une maladie, les symptômes de la mauvaise Bêtise, l'idiosyncrasie de la Bêtise. Et parmi ces symptômes, il en est un qui ne fait jamais défaut aux esclaves du Mauvais : ceux-ci sont toujours d'inlassables accusateurs, d'autant plus redoutables et nuisibles que leur vue basse et leurs idées courtes les font se considérer eux-mêmes comme moralement supérieurs - supériorité morale qui d'ailleurs est immanquablement admise comme telle par le troupeau, et qui les dispense donc de prendre jamais le moindre risque dans leurs accusations. L'audace de la pensée, de la vraie pensée, celle qui donne des ailes, leur est étrangère, ce pourquoi, aussi, jamais aucun de ces personnages n'aura jamais la moindre idée originale de toute sa vie. Combien de fois ne me suis-je pas laissé dire, moi qui vous parle, "vous ne devriez pas parler comme vous le faites", ou "ce ne sont pas là des mots dignes d'un prêtre" - simplement parce que ces mots sont abrupts, à l'occasion, simplement parce que rendre témoignage à la Lumière suppose la vertu de lucidité, cette lucidité qui peut faire mal aux yeux, quand on choisit de les garder ouverts, cette lucidité qui est "la blessure la plus rapprochée du soleil", comme l'écrivit René Char, et qu'il est parfois si difficile de dire.
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Voici pour ces trois modestes convictions. Mais permettez pour finir que je vous en livre une quatrième. Il me semble, chers amis, que, lorsque des critiques nous sont formulées, lorsqu'en particulier, comme notre Seigneur et Maître, nous sommes attaqués au nom de Dieu, nous sommes qualifiés par nos accusateurs d'indignes de Lui, alors il nous faut songer au Christ aux outrages, ou au Christ comparaissant devant Pilate : Celui qui est la Lumière du monde, en ce moment crucial, Celui qui est le Verbe... se tait. Cependant, je vous le concède : nous ne sommes pas le Christ, et si nous n'avons pas comme Lui la force surhumaine de nous taire... alors qu'il en soit ainsi ! Du moins ne nous privons pas de bien parler. Nous avons beau savoir que "seul le silence est grand" et que "tout le reste est faiblesse", nous avons beau savoir que sous le soleil de Satan il faut souvent apprendre à se taire... assumons, du moins, de n'être pas à la hauteur du silence de notre Maître, et, aussi longtemps que notre conscience de chrétiens nous y obligera (et que le Dieu des bien-pensants ou des "rien-pensants" nous pardonne !), ayons peut-être cette toute dernière parole, qui contient toutes les paroles justes à venir : finalement, nous ne nous tairons pas !
Doctorante en Sciences religieuses, Sophrologue RNCP
1 ansMerci pour cette homélie dont je partage bien des aspects. Cependant j'ose espérer aussi la douceur, celle de l'eau qui ruisselle et apaise, celle qui réconforte et dans laquelle transparaît aussi la lumière...