Il faut inventer d'autres manières de faire la ville
Une interview à Paroles d'experts, n° 30, janvier 2015
Actuellement directeur de recherches au CNRS, Bertrand Lemoine a dirigé l’AIGP jusqu’en octobre 2013 et vient de publier «Les 101 mots du Grand Paris» (éditions Archibooks). C’est donc à la fois un théoricien de la capitale et un homme de terrain, qui nous livre sa vision d’un futur architectural. A la fois dans et hors les murs.
Le Grand Paris sera-t-il la solution aux problèmes parisiens ?
C’est d’abord une réalité, avant d’être un projet ! Paris a perdu près d’un tiers de ses habitants en moins d’un demi-siècle : il y a cent ans, on avait trois millions d’habitants en ville, 800 000 dans ce qu’on commençait à appeler la banlieue. Aujourd’hui, les proportions sont inversées, avec environ 2,2 millions d’habitants intra muros et quasiment 8 millions autour, dans l’unité urbaine, c’est-à-dire le territoire sur lequel la ville continue sans interruption. Environ 80% de ceux qui travaillent à Paris n’y habitent plus. Il est difficile de trouver de nouveaux endroits à investir en ville ; mais l’enjeu consiste à de ne pas étaler celle-ci hors de mesure. Le Grand Paris s’étend déjà sur une circonférence de 60 km, on arrive aux limites. Quand on considère l’aire urbaine, la métropole dépasse aujourd’hui l’Ile-de-France et rassemble plus de 12 millions d’habitants. Dans une telle métropole, on ne peut pas fonctionner comme avant, avec un hypercentre et une zone moins développée, émiettée autour...
Que pensez-vous des premières avancées réalisées ?
La loi sur le Grand Paris votée en 2010 prévoyait notamment de définir de nouvelles lignes de transport et de donner les moyens aux 1281 communes qui coexistent en Ile-de-France de se grouper pour définir des objectifs ensemble : les projets ont pas mal avancé sur ce volet. Par contre, le développement du logement reste problématique. L’ambition affichée de construire 70 000 logements neufs par an est loin d’être remplie : pour l’instant, on en est qu’à la moitié et on arrive à 5,5 millions de logements en Ile-de-France. Ce qui coince ? Le prix très élevé du foncier, bien sûr, mais aussi l’inadaptation des règles existantes à la transformation de la ville. Par exemple, tous les logements construits aujourd’hui doivent être accessibles aux handicapés, alors que 7 à 8% serait une proportion suffisante.
Comment voyez-vous l’avenir intra muros ?
L’enjeu aujourd’hui est autour de Paris, pas dans Paris, où il suffit juste de préserver l’équilibre haussmannien, qui est incroyablement adapté à la vie moderne. Pour construire sans mettre en péril cet équilibre, la marge de manœuvre est très faible. Il est difficile de libérer de la surface au sol, on a utilisé la plupart des friches disponibles, les entrepôts le long du périphérique, les Batignolles, etc. Un projet comme la tour Triangle est anachronique, digne des années 60 : à l’époque, on avait construit des tours à toutes les portes de Paris, pour marquer les entrées dans la ville. Aujourd’hui, ce n’est pas ce qui rendra la ville plus moderne ou plus attrayante. Et vouloir attirer 5000 emplois dans un arrondissement déjà engorgé est absurde. Que Dubaï fasse des tours pour se rendre visible, soit mais Paris n’a pas besoin de ça. Il serait plus intéressant de marquer symboliquement de nouveaux territoires : faire la Tour Triangle à Marne-la-Vallée, par exemple ! Et dans Paris, plutôt reconstruire la ville sur elle-même, notamment dans les lieux où elle est peu dense, grâce aux surélévations.
Cela peut-il suffire à répondre aux besoins en logements ?
La demande est si forte qu’elle sera difficile à satisfaire. Le problème de la construction pourrait être réduit par exemple en utilisant des modules préfabriqués comme en Allemagne. Pour pouvoir desserrer le parc et fluidifier le marché, il faudrait aussi accompagner les changements de mode de vie. Il y a des résistances politiques, des résistances des habitants qui n’ont pas envie de voir leur quartier se densifier. Pourtant, la densité fait peur à tort : plus un quartier est dense, plus il est cher ! L’île Saint-Louis a un COS vingt fois supérieur à celui d’une zone pavillonnaire, et cela n’enlève rien à sa qualité de vie. Il manque aujourd’hui une vision forte, portée politiquement, productrice d’une compréhension par l’ensemble des habitants. Il faut inventer de nouvelles manières de faire la ville. Et construire une vraie identité de métropole. Qu’on puisse dire : j’habite Paris-La Courneuve, ou Paris-Versailles, par exemple. On reste dans un système de pensée enfermé derrière la frontière symbolique du périf.
Vice President Market Strategy | Building Materials | Low CO2 strategy Key partnerships | Marketing & Sales Alignment | Business Development
9 ansJe partage Bertrand ta vision et je pense que ton expérience passée et les travaux préparatoires auxquels tu as participé comme Directeur Général de l'Atelier International du Grand Paris sont particulièrement intéressantes aujourd'hui