«Il y a une grande différence entre structurer le temps et le combler»
Extrait du témoignage de Hélène L’Heuillet, philosophe et psychanalyste, dans Libération - 27 mars 2020
Cette période de confinement est l’occasion de reconsidérer notre rapport au temps, en se rappelant certaines vérités d’ordinaire occultées par nos modes de vie consuméristes.
Extrait du témoignage de Hélène L’Heuillet, philosophe et psychanalyste, dans Libération - 27 mars 2020
Un enfant qui n’a pas appris à s’ennuyer s’ennuiera dans sa vie d’adulte, pourtant beaucoup plus longue. Il n’y a certes pas à se réjouir de l’ennui qui guette les enfants dont les parents télétravaillent. On n’a jamais à se réjouir de ce qui est odieux. Mais il faut se réjouir de ce que les parents ne s’en sentent pas coupables. Car si les enfants sont aujourd’hui privés de l’expérience de l’ennui, c’est parce que les parents se sentent obligés de les «occuper» tout le temps. Le confinement interdit la danse, les cours de guitare, le foot, et tout ce qui transforme les emplois du temps des enfants en agendas ministériels. Il y a une grande différence entre structurer le temps et le combler. Structurer son temps est fort utile dans la période de confinement que nous vivons. Ponctuer son temps n’est pas le remplir, mais au contraire laisser s’insinuer des intervalles de vide pendant lesquels on peut se retrouver soi-même. Au lieu de se scotcher à des impératifs aliénants ou à des écrans, ou se demande que faire de cette plage de temps qui nous est offerte. La question est déjà en soi salutaire ! La structure du temps est essentielle quand cohabitent dans un même espace parfois exigu plusieurs personnes qui réalisent à quel point un peu de solitude, un peu d’intimité, un peu de compagnie de soi-même sont vitaux. Le partage de l’espace est aussi un partage du temps. La période que nous vivons est pour chacune et chacun d’entre nous une épreuve et une chance de vérité. Quand le réel nous tombe dessus, les voiles se déchirent un peu. La vie peut cesser de se dérouler sur le mode automatique de l’accélération et de la hantise du retard dont nous nous contentons souvent en oubliant l’essentiel : le sentiment de vivre dans le temps.