Information et Politique ; le risque émotionnel
Sans vouloir prétendre à un niveau de responsabilité que je n’exerce pas, je souhaiterai partager quelques réflexions issues d’une expérience personnelle et de la lecture de grands historiens français et étrangers. La guerre en Ukraine suscite beaucoup de réactions et d’émotions, à la fois dans le public mais aussi, et c’est plus préoccupant, dans les milieux politiques.
Quelle que soit notre opinion sur cette guerre, permettez-moi de partager quelques pistes de réflexion :
Un pays, quel qu’il soit, n’a pas d’ami.
Un pays peut avoir des ennemis, conjoncturels ou plus héréditaires, et cela c’est effectivement plus facile à identifier.
Un pays a généralement des alliés, ce qui ne peut se confondre avec des amis. Avec des alliés, nous avons des intérêts communs sur lesquels nous nous entendons sur les objectifs et les moyens … tant que ces intérêts ne divergent pas. Ces points communs ne couvrent pas, le plus souvent, toute l’étendue des intérêts de chaque nation. Et, dans ce cas, chaque pays joue sa propre partition, fut-ce au détriment de son ou de ses partenaires, n’hésitant pas à les espionner, les tromper ou à les flouer.
Le rôle d’un (une) responsable politique national, du gouvernement aux parlementaires, est de conserver présent à l’esprit ces paradigmes. Avec cet éclairage, ces responsables doivent s’astreindre à l’exercice de la prise de recul sur tout évènement et se poser systématiquement quelques questions :
Cet évènement impacte-t-il mon pays ?
Si oui, de quelle manière et à quel degré de gravité, maintenant et plus tard ?
Si nous impliquons ou non notre pays dans cet évènement, quelles en seront les conséquences ? Pourrons-nous les assumer ?
Pourquoi tel partenaire / adversaire tient-il tant à impliquer notre nation ?
Quel sont ses intérêts, ses gains potentiels ? En regard, que gagnons nous … ou que perdons-nous ?
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Les “informations” que l’on nous procure, sont-elles fiables et quels intérêts servent-elles ?
A l’aune des réponses à ces questions, le (la) responsable politique aura une vision plus large et une appréciation froide de la situation. La voie dans laquelle il (elle) engagera le pays sera calculée sur un ratio gain / pertes ou avantages / inconvénients et non sur une charge émotionnelle précipitée véhiculée sur des réseaux sociaux.
Nous avons probablement présents à l’esprit quelques exemples de divergence d’intérêts entre alliés. Reprenons-en quelques uns à titre de rafraîchissement de mémoire :
En 1999, la mise en scène macabre de Racak au Kosovo provoque l’intervention de l’OTAN et le bombardement de la Serbie, sans mandat de l’ONU ni déclaration de guerre. Il sera avéré plus tard que ce massacre était faussement attribué aux Serbes. L’Europe s’est fissurée sur son côté balkanique, engendrant une méfiance préjudiciable qui perdure.
En 2002, la CIA produit un rapport “prouvant” que les troupes de Sadam Hussein font à nouveau mouvement vers le Sud, donc vers le Koweit. Jacques Chirac refuse de s’engager dans la seconde guerre du Golfe car les satellites militaires français prouvent que les images produites par les Américains sont falsifiées et qu’en fait, les troupes irakiennes se replient vers le Nord.
En 2013, Edward Snowden révèle que la NSA écoute 35 dirigeants de la planète dont les dirigeants allemands et français. En 2021, une autre révélation confirme les dires de Snowden et montre la participation du Danemark à cette opération.
La guerre d’Ukraine et celle de l’information qui l’accompagne méritent que nous, et nos responsables politiques nous posions ces questions. Que nous y répondions de manière lucide et impartiale avant de nous précipiter dans des réactions uniquement guidées par l’émotion du moment. Où sont nos intérêts dans cette affaire ? A qui tout cela profitera-t-il ? Qui en paiera le prix, surtout si ce conflit dérape et s’étend sur le sol européen ? Et si nous devons nous battre, est-ce que toutes les munitions que nous livrons complaisamment ne nous ferons pas défaut, etc. ?
Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui ne l’est pas ? La Russie comme l’Ukraine et leurs alliés défendent leurs intérêts. Chacun maquille la vérité pour la rendre plus apte à la servir. Il ne faut se laisser abuser ni par les uns, ni par les autres, mais soigneusement peser les avantages et les inconvénients et prendre les décisions, d’abord, en fonction de l’intérêt de notre nation en conservant à l’esprit les objectifs que devra fixer, en connaissance de cause, le pouvoir politique. N’oublions pas que le mensonge, que nous l’appelions « diversion », « deception » en anglais, « manœuvre » ou tout autre artifice sémantique, est partie intégrante de l’art de la guerre … et de la politique.
Franck Puget
Senior Analyst
2 ansMerci Franck pour cet éclairage pas inutile dans le contexte actuel...
DIRECTION - STRATEGIE - DEVELOPPEMENT - EFFICACITE COLLECTIVE PRESIDENT DE ADVENIAT SAS & ASSOCIE CHEZ SCYFCO SAS
2 ansMerci Frank Puget pour cette analyse très claire. Nos politiques étrangères souffrent de la temporalité des mandats politiques qui prive les nations de visions stratégiques de long terme. Nous n’en serions pas là si les accords de Minsk avaient été respectés par l’Occident.
« Traitez les gens comme s'ils étaient ce qu’ils devraient être, et vous les aiderez ainsi à devenir ce qu'ils peuvent être. » GOETHE. Donnez du sens à votre évolution et à votre transition professionnelles.
2 ansAutre question : comment et avec quels objectifs sont défendus les intérêts d'un pays, le nôtre en l’occurrence ?