Innovation: ce silence qui peut tuer ou sauver votre entreprise.(Partie2)
4. Les dévastateurs : Larry Downes & Paul Nunes. Dans l'ouvrage Big Bang Disruption dont voici un résumé "Strategy in the age of Devastating Innovation" les deux hommes (respectivement Project Director à Georgetown et Managing Director of thought leadership chez Accenture Research) développent une théorie :"L’innovation dévastatrice» ils décrivent cela comme un événement dramatique pour les entreprises déjà établies sur un marché. Cette innovation combinatoire, qui laisse la place à plus d’imagination et de créativité en particulier aux Geek, Makers et Start-up, défont en quelques mois des industries entières. Le principe du « Do It yourself » incarne un mouvement qui rentre en compétition avec les systèmes de développements des entreprises établies.
Cette théorie se développe en quatre temps et chaque temps porte un nom qui correspond à une période du "Big Bang" de l’univers.
1. La singularité (The singularity) : période où les « game-changers » apparaissent. Ce sont des visionnaires de l’industrie qui décryptent le futur bien mieux que d’autres. Ils introduisent leurs concepts relevant de leurs cœurs de métier, sur le marché, en choisissant le moment idéal pour s’implanter dans un nouvel écosystème. Les solutions innovantes sont parfois expérimentales, échouent lamentablement ou demeurent invisibles auprès des acteurs établis, mais elles constituent cependant des facteurs de disruption pour le futur à court et moyen terme. «la société Markerbot un leader de l’impression 3D, qui a lancé une maison à prix bas imprimé en 3D. La marque AirBnB, visionnaire dans la location immobilière, ou le site de covoiturage BlaBlaCar».
2. Le Big Bang (The big bang) : période lors de laquelle tout s’accélère, les réussites comme les défaites. Les entreprises établies peuvent se retrouver avec un produit obsolète du jour au lendemain, suite à l’arrivée d’un nouveau produit plus performant technologiquement et moins couteux. Ce qui a pour effet de créer une demande très importante de la part des clients, et pousse les entreprises à repenser toute leur architecture commerciale. Les nouveaux perturbateurs sacrifieront tout y compris leurs bénéfices en les investissant de nouveau pour gagner l’ensemble du marché. Même les perturbateurs du digital peuvent se retrouver confrontés à cette situation et devoir accélérer leurs innovations. Twitter est un bon exemple avec plus de 200 millions d’utilisateurs cinq ans après son lancement, il cherche à faire évoluer son architecture technique avec plus 1000 ingénieurs.
3. La fracture (The Big Crunch) : période où l’ensemble de l’entreprise doit anticiper la saturation du marché avec la création de nouvelles solutions innovantes, et prévoir le changement de comportement des consommateurs. Pendant cette période les « game-changer » peuvent être à leur tour victimes d’un big bang d’un nouvel entrant sur le marché, l’idéal durant cette période serait que les entreprises aient le courage de quitter le marché même s’ils elles ont une position de leader, pour se lancer dans la conception d’un nouveau produit.
4. Entropie (Entropy) : période où les produits qui restent sur le marché sont fortement dévalués et vendus à prix cassés. Quelques consommateurs nostalgiques subsistent encore sur un marché en rétrécissement constant.
(figure 1 : les 4 étapes schématisées de la théorie du "Big Bang" Disruption).
Avec cette théorie, Larry Downes et Paul Nunes présentent l’innovation comme un élément dévastateur, de la même façon que Schumpeter décrivait des cycles économiques destructeurs. Pour eux l’innovation peut faire disparaitre une marque ou l’un de ses produits en quelques mois. Pour exemple Apple avec son iPhone et son écran tactile a fait disparaître les Smartphones des marques Nokia et BlackBerry en moins de deux ans. Il en est de même avec Google Maps qui a permis à chacun de nous d'utiliser son téléphone comme GPS pour se déplacer gratuitement en voiture. Les marques TomTom, Garmin et Magellan acteurs historiques sur ce type de solutions ont assisté à l’effondrement de leurs marchés avec ce nouvel entrant de façon complétement inattendue. Selon Larry Downes et Paul Nunes, ces innovations dévastatrices sont à l’origine de systèmes d’open source, d’hackathon et autre principe participatif comme le crowdfunding qui aident fortement les processus de développement de transformation et de conception. Ce qui peut nous amener à nous interroger sur le rôle des divisions Recherche et Développement des entreprises dans le futur. Ne devront-elles pas se repenser et collaborer avec les « makers » qui jouent un rôle majeur dans la création et le développement d’innovations.
Nous pouvons aussi néanmoins nous questionner sur la capacité des entreprises à développer plusieurs schémas économiques simultanément, à investir dans leurs cœurs de métiers tout en étant rentables. A faire face aux innovations dévastatrices tout en étant créatif pour se réinventer. Le plus bel exemple pour illustrer cette alternative est la firme Nintendo qui mène cette stratégie payante qui lui permet d’innover sur son marché très concurrentiel des consoles de jeux de façon permanente depuis 1982. Nintendo cherche constamment à anticiper l’arrivée sur son marché d’un nouveau produit plus performant et moins cher que le sien. Elle s’applique a elle même la stratégie du «Big Crunch», elle se «disrupte» elle-même avant qu’un nouvel arrivant le fasse.
(figure 2 : capacité de la Firme Nintendo à se réinventer sur son propre marché).
5. Le diffuseur, Everett M. Rogers (1931-2004)
Ce sociologue américain à une approche de l’innovation très différente de Schumpeter. Il introduit sa vision de l’innovation à travers des courbes statistiques qui permettent de calculer le temps que mettront les innovations à se diffuser. Il va appeler cela « La courbe de diffusion de l'innovation » (figure3). Elle reste aujourd’hui une référence, pour étudier les phénomènes d’adoption de nouveautés par les consommateurs. Dans son ouvrage "Diffussion of innovations" il développe le principe de segmentation client, en fonction de la phase d’adoption d’un nouveau produit. L’intérêt est de différencier les personnes plus ouvertes à l’innovation que d’autres. Ce qui permet à l’entreprise de favoriser l’accélération de la croissance d’un marché (passer d’un marché de niche à un marché de masse). Il décrit aussi les échecs d’adoption de nouveautés par les consommateurs. Pour exemple, la généralisation du clavier de machine-à-écrire qui optimise la saisie de l’anglais proposé par Auguste Dvorak et william Dealey (1) en 1930, a échoué du fait du refus des gens d’adopter celui-ci pour conserver le modèle Azerty. Cet exemple illustre la théorie de la dépendance « au sentier », qui démontre le poids que les décisions ou habitudes de consommation peuvent avoir dans la proportion à adopter ou non de nouveaux produits.
La courbe de diffusion permet de segmenter les consommateurs en 5 typologies, avec comme critère l’intérêt et leur rapidité à adopter une nouveauté sur le marché.
(figure 3 : la courbe de diffusion de l'innovation selon Everett Roger)
Les 5 typologies de consommateurs :
1. Les Innovateurs : indéniablement ils sont les plus sensibles à l’innovation, ce consommateur fera la queue devant un Apple Store pour avoir le dernier téléphone de la marque. Ils n’ont pas besoin d’attendre les avis consommateurs pour consommer le produit. Ils sont généralement acquis à la marque jusqu’au jour où ils seront déçus par un produit. Les « Millennials » notamment la segmentation High-Tech, font partie de cette typologie. Ces innovateurs représentent en général seulement 2,5% de la population.
2. Les Premiers Adeptes : les « early adpoters » sont généralement des consommateurs qui sont sensibles à la nouveauté. Ils consomment rapidement un nouveau produit et donnent leurs avis sur celui-ci. Ils représentent statistiquement 13,5% de la population.
3. La Majorité Précoce : ce sont les consommateurs considérés comme les suiveurs, ou pour certains, comme les plus réfléchis. Ils consomment uniquement après avoir eu les premiers retours d’expériences sur un nouveau produit. Ils représentent statistiquement 34% de la population.
4. La Majorité Tardive : ils sont généralement ceux qui consomment un nouveau produit après une période de test sur le marché, ils souhaitent la preuve de la performance du produit. Ils représentent en 34% de la population.
5. Les Retardataires : ils sont les derniers à accepter l’innovation, ce sont les consommateurs les plus rationnels. Ils n’achètent un produit que quand il est devenu un produit de consommation commun. Ils représentent 16% de la population.
En 1991 un nouvel élément est intégré par Geoffrey Moore Il ajoute la notion du «Le gouffre» dans la courbe de diffusion de l’innovation. Ce marqueur se situe entre Les Premiers Adeptes et La Majorité Précoce. Il permet de dire si l’innovation qui est proposée sur le marché est une réussite ou non, pour cela elle doit dépasser le niveau d’utilisation des premiers adeptes pour sortir de son marché de niche et devenir un produit mass market. En revanche si le produit proposé ne dépasse pas le niveau des innovateurs et des premiers adaptes alors il peut être considéré comme un échec.
(Figure 4 : Cycle de vie et de pénétration de Geoffrey Moore et Everett Rogers)
L’innovation est un enjeu majeur pour les entreprises : c’est un des facteurs clés de croissance, de compétitivité, de richesse, et d’emploi. Lorsqu’elle est portée par des entrepreneurs visionnaires, elle donne naissance à une nouvelle génération d’entreprises « 4.0 » telles que les GAFA et NATU, qui disruptent les marchés existants grâce et à travers le digital. Les entreprises ont désormais intégré l’importance et la nécessité d’innover pour rester compétitives. Mais le poids des procédures ne simplifie pas la tâche, surtout dans les ETI et les grandes entreprises, où les projets mettent plus de temps à aboutir.
(1)August Dvorak avec son beau-frère William Dealay, sont connues pour avoir créé en 1932, la disposition de clavier Dvorak américaine. Dvorak souhaite qu'elle remplace l’archaïque disposition de clavier QWERTY inventée par Sholes en 1873 pour la première machine à écrire.
Source : Accenture Disruption Strategy Age devastating Innovation (Larry Downes & Paul Nunes). les cahiers de l'innovation sur la théorie de la diffusion des innovations (Everett M. Rogers).
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