Intelligence artificielle et transformations du marché du travail : une opportunité plutôt qu’une menace
Aujourd'hui 15 janvier 2025, LaPresse a publié un article intitulé « L’intelligence artificielle menace 810 000 emplois au Québec ». Cet article, se basant sur une étude récente de l’Institut du Québec, met en lumière les répercussions possibles de l’automatisation et de l’IA sur la main-d’œuvre québécoise. Le titre est évocateur et suscite légitimement une vive réaction : la peur de voir disparaître des emplois au profit de machines plus performantes. Pourtant, et c’est la réflexion que je souhaite proposer ici, nous pouvons et devons adopter une autre lecture de cette évolution, ce que l'étude en question propose également (mais ça doit générer moins de clics que la menace potentielle de l'IA). Non pas celle d’une vague destructrice condamnant inéluctablement des centaines de milliers de travailleurs, mais plutôt celle d’une transformation profonde du marché du travail, riche en opportunités, nécessitant à la fois un accompagnement humain, une vision stratégique et, surtout, des technologies modernes et performantes.
En tant que Vice-président, responsable du développement des affaires chez Talsom, une firme spécialisée dans la transformation numérique depuis plus de 15 ans, j’ai la chance d’observer quotidiennement les défis et les possibilités que l’IA apporte à nos entreprises clientes. Au fil de nos projets et mandats, nous constatons qu’il ne s’agit pas tant de « menacer » des emplois que d'améliorer la productivité, d'embrasser le changement pour un futur pérenne, de réorienter les missions des organisations, en créant de nouveaux postes, de nouvelles expertises et de nouveaux modèles d’affaires. Les emplois existants évoluent, et certains se transforment parfois radicalement, mais c’est précisément cela la nature des grandes innovations : elles nous poussent à repenser la façon dont nous créons et livrons de la valeur.
Un constat partagé : la transformation est en marche
L’étude de l’Institut du Québec souligne à juste titre que l’automatisation et l’IA peuvent avoir des effets considérables sur l’économie et le marché de l’emploi. Toutefois, ce qu’il importe de retenir, c’est que l’IA fait partie d’une longue lignée d’innovations de rupture, au même titre que l’électricité ou qu’Internet à leur époque. Or, l’expérience historique nous montre que ces transformations technologiques entraînent toujours des bouleversements importants. Certains secteurs déclinent, tandis que d’autres apparaissent. Des métiers disparaissent, et de nouveaux métiers émergent.
L’accélération technologique actuelle, portée par l’IA, n’échappe pas à cette règle. Mais la différence réside dans la vitesse à laquelle ces bouleversements surviennent. Les entreprises et les travailleurs sont confrontés à un rythme de changement inédit. Plus que jamais, il est essentiel de s’adapter rapidement, d’identifier les besoins de formation, de s’outiller pour gérer ces bouleversements et d’innover dans la manière de déployer l’IA.
La valeur au cœur de la transformation
Chez Talsom, depuis 15 ans, nous accompagnons des organisations de toutes tailles et de tous secteurs dans leurs projets de transformation numérique. Ce que nous remarquons, c’est que l’IA et l’automatisation suscitent un engouement fulgurant. Les directions et les équipes veulent mettre la main sur des solutions capables d’augmenter leur productivité et de les rendre plus compétitives. Qu’il s’agisse d’optimiser la chaîne d’approvisionnement, d’améliorer le service client grâce à des systèmes de recommandation intelligents ou encore de faciliter l’analyse des données massives, l’IA se présente comme un levier stratégique majeur pour la plupart des entreprises que nous côtoyons.
Cependant, très souvent, lorsqu’on parle de gains de productivité, on craint que ces gains se fassent au détriment des travailleurs, en remplaçant les emplois humains par des robots ou des algorithmes. Or, nos clients font état d’une réalité bien différente : il ne s’agit pas de supprimer des postes, mais plutôt de délester les employés de tâches répétitives et à faible valeur ajoutée, pour leur permettre de se concentrer davantage sur les activités à forte valeur humaine, comme la résolution de problèmes complexes, la relation client ou l’innovation produit.
La presse a souvent tendance à utiliser des titres alarmistes : « L’IA menace 810 000 emplois ». Mais, à la lecture de l’étude de l’Institut du Québec, on constate que les emplois qui pourraient disparaître sont précisément ceux qui reposent sur des tâches automatisables. Parallèlement, l’étude met en évidence la création de nouveaux postes et la transformation des rôles existants. Il ne s’agit pas simplement d’annoncer la disparition de métiers, mais plutôt de souligner à quel point le marché du travail connaîtra des mutations majeures.
Ces mutations, pour être menées avec succès, doivent être anticipées. Il faut repenser la formation, adapter les cursus professionnels et investir massivement dans la formation continue. L’évolution des compétences est un élément central que l’étude et Talsom constatent : dans ce nouveau contexte, la montée en compétences et la gestion du changement ne sont plus un « plus », mais bien une nécessité vitale pour la pérennité des entreprises et l’employabilité des travailleurs.
S’attaquer en urgence à la dette technologique
L’IA n’est pas une technologie qu’on implémente du jour au lendemain, comme on installerait un logiciel bureautique. Au contraire, pour tirer pleinement profit de l’IA, il faut veiller à ce que les fondations numériques de l’entreprise soient solides. Trop d’entreprises, même de grande envergure, traînent un lourd passif de systèmes obsolètes, de bases de données mal structurées, de processus manuels non documentés. Cette « dette technologique » freine considérablement l’adoption réussie de l’IA.
Dans notre pratique de consultation, nous voyons à quel point les enjeux de données sont cruciaux. L’IA, pour être pertinente, nécessite des données de qualité. Des silos de données mal reliés, des processus de collecte lacunaires et un manque de standardisation limitent la puissance des algorithmes et ne permettent pas de générer la valeur escomptée.
C’est pourquoi, avant même de se lancer dans la conception ou l’implémentation d’une solution IA, nous encourageons nos clients à faire un état des lieux de leur dette technologique et à élaborer une stratégie visant à la réduire ou à la résorber. Cette étape cruciale garantit non seulement une meilleure performance des projets IA, mais elle permet aussi de diminuer les risques de dépassements de coûts et de délais.
Le rôle clé du développement des compétences
La deuxième priorité, soulignée par l’Institut du Québec et par l’expérience terrain de Talsom, concerne la formation des équipes et la gestion du changement. Les organisations qui réussissent leur virage IA sont celles qui prennent le temps d’investir dans le développement de nouvelles compétences.
Il ne s’agit pas seulement de recruter des data scientists ou des ingénieurs spécialisés, même si leur rôle est évidemment central. Il faut aussi veiller à ce que les équipes opérationnelles soient sensibilisées aux usages de l’IA, aux enjeux éthiques et légaux, et qu’elles comprennent l’impact concret de l’IA sur leurs métiers. L’adhésion des employés et des gestionnaires est essentielle pour que la technologie ne soit pas perçue comme une menace, mais plutôt comme un outil au service de leur performance et de leur épanouissement professionnel.
Chez Talsom, nos 15 ans d’expertise en transformation numérique nous ont appris l’importance d’un accompagnement global : la technologie, oui, mais aussi l’humain (et l'environnement, mais c'est un autre sujet que je pourrai traiter un autre tantôt). On a beau disposer des meilleurs algorithmes, s’ils ne sont pas adoptés par les équipes et intégrés dans les processus de l’organisation, les bénéfices restent limités.
Au cours des dernières années, nous avons pu constater que les projets d’IA les plus aboutis sont ceux qui associent une vision claire de la valeur recherchée, une préparation technologique adéquate et un plan de gestion du changement bien pensé. On peut citer l’exemple de projets d’automatisation dans la comptabilité, où l’IA soulage les équipes de tâches répétitives, tout en améliorant la précision des analyses. Les comptables peuvent alors consacrer davantage de temps à des activités de conseil stratégique, une valeur ajoutée réelle pour leurs clients internes et externes.
De même, dans le secteur manufacturier, l’IA permet d’optimiser les chaînes de production, de prévoir les pannes, de réduire le gaspillage. Les opérateurs ne disparaissent pas : leur rôle s’élargit, ils deviennent des surveillants et des ajusteurs de lignes de production intelligentes, capables d’anticiper les problèmes et de suggérer des pistes d’amélioration.
Dans ces exemples, l’objectif n’est pas de remplacer l’humain, mais de le libérer des tâches rébarbatives, d’accroître la productivité et de générer une plus grande compétitivité. À l’échelle du Québec, ce gain de compétitivité est nécessaire pour faire face à la concurrence internationale et soutenir la croissance économique de la province.
Les chiffres avancés par l’étude de l’Institut du Québec peuvent impressionner : on parle de centaines de milliers d’emplois potentiellement affectés. Mais rappelons-nous que ce genre de prospective a pour but de stimuler la réflexion et la préparation, plutôt que de prédire un cataclysme inévitable. Dans un sens, il s’agit d’une bonne nouvelle : la transformation à venir est d’envergure, ce qui offre une occasion unique de repenser nos manières de travailler, de former et de collaborer.
Le Québec a le potentiel de devenir un leader de l’innovation. Nous disposons de centres de recherche performants, d’un écosystème dynamique en IA et de nombreuses PME et grandes entreprises prêtes à embrasser ces changements. Pour concrétiser ce potentiel, il est impératif de continuer à travailler main dans la main avec les gouvernements, les organismes de formation, les universités et les entreprises.
Il serait illusoire de croire qu’il suffit de miser sur la technologie pour réussir ce virage. La gestion du changement est un pilier incontournable. Cela signifie construire une vision stratégique, la communiquer, former et accompagner les employés, instaurer une culture d’innovation et d’expérimentation, et valoriser la collaboration et la transparence. Chez Talsom, nous avons vu de nombreux projets IA échouer parce que la dimension humaine avait été négligée. À l’inverse, nous avons participé à de belles réussites dans lesquelles les équipes s’étaient approprié la technologie, participant activement à la définition des cas d’usage et à l’implémentation des solutions. Cette approche collaborative permet de lever les résistances et de susciter l’enthousiasme, condition sine qua non pour réaliser la promesse de l’IA.
Avec 15 ans d’expertise et de « cicatrices dans le dos » (comme j'aime le dire quand je rencontre mes clients ou mes prospects) issues de projets livrés aux quatre coins du Québec et ailleurs (notamment en France... et oui, nous avons un bureau à Paris !), Talsom est aux premières loges pour témoigner des défis, mais aussi du formidable potentiel de l’IA. Nous voyons à quel point les dirigeants d’entreprise sont conscients du virage qui se profile, et à quel point ils cherchent des partenaires de confiance pour les accompagner. Notre travail consiste à proposer un cadre méthodologique clair, articulé autour de la réduction de la dette technologique, de la définition de cas d’affaires pertinents et de la mise en place d’un plan de développement des compétences. Cette approche intégrée, combinée à une gestion rigoureuse du changement, fait souvent la différence entre un simple effet d’annonce et un projet d’IA qui génère des retombées concrètes et pérennes.
Choisir de façonner l’avenir
Au lieu de céder au catastrophisme, choisissons de regarder l’avenir avec réalisme et détermination. L’intelligence artificielle est une opportunité pour le Québec d’accroître sa compétitivité, d’offrir des emplois de meilleure qualité et de stimuler l’innovation. Certes, elle appelle des ajustements en profondeur dans la formation, l’organisation du travail et la culture d’entreprise. Mais ces efforts sont non seulement nécessaires, ils sont également riches de promesses.
Lorsque l’électricité est apparue, de nombreux métiers liés aux bougies et aux lampes à huile ont disparu. Mais d’autres sont apparus, soutenus par une nouvelle industrie énergétique qui a façonné un progrès immense. De la même manière, l’arrivée d’Internet a transformé nos façons de communiquer et de travailler, faisant émerger un écosystème numérique florissant. Aujourd’hui, l’IA joue ce rôle de technologie fondamentale : elle nous force à réinventer nos entreprises et nos métiers, pour le meilleur, si nous savons y investir et l’apprivoiser. Pour aller plus loin dans cette réflexion, je vous invite à télécharger notre publication annuelle : le Radar Technologique.
En tant qu’acteur de la transformation numérique depuis plus d’une décennie, Talsom s’engage à accompagner les organisations québécoises dans cette révolution. S’attaquer en urgence à la dette technologique, miser sur le développement des compétences et la gestion du changement : voilà la clé de voûte de chaque succès en IA. Plutôt que de craindre une vague destructrice, soyons prêts à surfer sur cette opportunité pour bâtir un Québec encore plus innovant, dynamique et prospère.
Vice-président chez Talsom | Chroniqueur invité (TV, podcast et presse écrite) | Auteur (parution en mars 2025)
1 sem.Et ce matin dans mon fil de presse, en France...
Optimiste des algorithmes & Directeur des Opérations chez ABB
1 sem.Tes posts sont toujours très intéressants, Stéphane. Merci de prendre le temps de les produire et de partager tes réflexions. Je suis tout à fait d’accord avec ton analyse. Ayant été aux premières loges depuis plusieurs années comme sponsor de projets d’automatisation, mon expérience reflète la même réalité : les heures sauvées n’ont jamais mené à des coupures de postes. Les définitions de tâches ont certes évolué, mais une coupure directe suite à l’implantation de tels projets briserait définitivement le lien de confiance avec les employés, qui sont pourtant au cœur de la mise en place et de la pérennisation de ces systèmes.
Expert ClickUp et consultant en évolution numérique chez Polynectar. Je fais le lien entre vos façons de travailler et les outils de gestion dans votre PME.
1 sem.Un des biais je crois, c'est de considérer chaque personne impliquée (emploi perdu VS emploi créé) comme pouvant «s'auto-remplacer». Dans les entreprises non-technos, plusieurs se valorisent par le travail manuel et leur capacité à réparer au pif, ce qui a bien fonctionné durant 30 ans). Ces personnes ne se trouvent aucune compétence numérique ni aucun talent pour se transformer. Donc oui, il y a de grandes opportunités pour les personnes qui ont le désir et un minimum de capacité numérique, mais aussi de nombreux laissés sur la banc de touche qui ne se voient aucune issue.
Quand la technologie rencontre la créativité -> Innovation
1 sem.Ne disait-on pas la même chose, toute proportion gardée, de l'arrivée du tracteur à l'époque ?
Je décrypte les possibilités et les enjeux de l'IA pour l'enseignement. Analyse des bonnes pratiques et des facteurs de réussite pour l'innovation pédagogique.
1 sem.Juste la photo est lourde de sens et reflète toute l'incompréhension qui gravite autour des IAG