Interposition de SCI, déficits fonciers et abus de droit. A propos de CE, 9e et 10e ch., 8 févr. 2019, n° 407641, Ruggieri.

Cette publication est extraite de la chronique relative aux modes de détention du patrimoine pour la revue Ingénierie patrimoniale (Ed. JFA, n°1 - 2019, avr. 2019) à laquelle l'auteur participe.

Un propriétaire cède sa résidence secondaire à une SCI fiscalement translucide constituée quelques années auparavant, par ailleurs propriétaire d’un important patrimoine immobilier, et dont celui-ci est associé avec son épouse et ses enfants à concurrence de la totalité du capital social. Peu de temps après l’acquisition, des dépenses de réparation et d’amélioration sont engagées dans la maison. La société n’ayant en principe pas à comprendre dans ses recettes brutes la valeur locative des locaux mis à la disposition de ses associés par application de l’article 15, II du code général des impôts, elle n’a, en contrepartie, pas vocation à déduire les charges afférentes au logement.

L’histoire aurait pu s’arrêter là si la société n’avait pas de surcroît conclu un bail de location avec ses associés occupant le logement moyennant le versement d’un loyer et constaté un déficit foncier que ces derniers ont porté en déduction de leur revenu global.

La suite était prévisible puisque loin d’être convaincue par le montage, l’administration fiscale met en œuvre la procédure d’abus de droit et adresse au contribuable une proposition de rectification visant à faire abstraction des actes ayant concouru à l’apparition de ces déficits. Il en résulte un calcul des revenus fonciers de la SCI écartant les recettes encaissées au titre du bail ainsi que les charges correspondant aux travaux effectués.

Le Tribunal administratif de Toulouse et la Cour administrative d’appel de Bordeaux dans son sillage, ont confirmé l’existence d’un abus de droit.

Pour être caractérisé, l’abus de droit doit, comme l’illustre la décision commentée, répondre à deux critères cumulatifs. Le premier critère, qualifié d’objectif, suppose d’établir que le contribuable a fait une application littérale d’un texte à l’encontre des objectifs poursuivis par ses auteurs (1), le second critère reposant quant à lui sur l’analyse subjective de la volonté du contribuable suspecté d’avoir poursuivi un but exclusivement fiscal (2)

1/ Sur le critère objectif

La première question visait à savoir si les actes qui ont participé au montage incriminé avaient été guidés par la recherche d’une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs. Renvoyant au critère objectif de l’abus de droit contenu à l’article L. 64 du LPF, cette vérification implique que le juge identifie parmi les actes soumis à son appréciation, ceux dont la conclusion aurait permis de contourner l’article 15, II du CGI dont il est ici question. C’est notamment éclairé par la lecture des travaux préparatoires de l’article 11 de la loi du 23 décembre 1964 dont sont issues les dispositions de l’article 15, II du CGI que la Conseil d’État a, en l’espèce, effectué ce travail. Comme il le relève, ce texte était guidé par la volonté de simplifier le régime fiscal des propriétaires occupants. En dispensant ces derniers d’avoir à déclarer une valeur locative, cette disposition visait à les préserver de toutes velléités pouvant les conduire à sous-évaluer le loyer fictif ou à surévaluer les charges. De ce point de vue, la création de la SCI et la vente à son profit de l’immeuble mis ensuite gratuitement à la disposition de ses associés ne sont pas des actes qui, à eux seuls, permettent de contrer l’article 15, II du CGI pour cette simple raison que le champ d’application de ce texte embrasse cette hypothèse[1]. Si le montage en était resté là rien n’aurait donc pu être reproché au contribuable qui n’aurait, somme toute, fait précisément qu’agir en conformité avec l’objectif fixé par les auteurs de ce texte.

C’est la conclusion d’un bail entre la société et ses associés qui, en ouvrant la brèche dans laquelle ces derniers ont cru pouvoir s’engouffrer, était de nature à contrarier cet objectif. Il reste que, la conclusion de cet acte, pour nécessaire qu’elle ait été au montage ayant abouti à la constatation de déficits fonciers, n’est pas suffisante pour précipiter le sort du contribuable. Doit s’y ajouter un critère subjectif dont l’existence peut prospérer à partir de l’analyse de la finalité de l’opération. Conçue pour éviter une sous-évaluation des recettes et une surévaluation des charges, la règle édictée par l’article 15, II aurait dû inciter le contribuable, soucieux de démontrer que l’opération répondait à une logique économique, à redoubler de prudence au stade de la conception du montage.

2/ Sur le critère subjectif

Sur le plan de l’analyse de la finalité du montage, tout ne semblait pourtant pas perdu d’avance pour les contribuables. Et l’on peut même estimer que certains éléments semblaient plaider en leur faveur. En effet, la société existait depuis sept ans à la date de l’acquisition de l’immeuble et était de surcroît propriétaire d’un important patrimoine générant d’autres revenus. Ces indices donnaient à tout le moins à penser que sa constitution n’avait pas été envisagée en vue de permettre à ses associés de frauder à la loi. L’administration fiscale aurait très certainement trouvé matière à renforcer sa position si la société avait au contraire été constituée peu de temps avant l’acquisition ou pour les besoins de cette seule acquisition[2]. Il s’agit en effet d’éléments traditionnellement pris en considération par la jurisprudence pour caractériser l’abus de droit[3]. Pour le dire autrement, s’il est certain que le contexte dans lequel s’inscrivent la constitution et le fonctionnement de la société dans le montage peut constituer un indice d’abus de droit, l’absence d’éléments permettant de conclure à la volonté de concevoir la SCI comme un maillon de la chaîne d’un montage frauduleux semble à elle seule impuissante à repousser ce spectre. Il n’y a du reste là rien que de très logique puisque, comme nous l’avons rappelé, la création de la SCI et la vente à son profit de l’immeuble mis gratuitement à la disposition de ses associés ne permettent pas de contrer l’article 15, II du CGI[4].

C’est au stade de la conclusion du bail que le montage paraît là encore nettement plus contestable, et c’est bien vers cet acte que convergent en premier lieu tous les regards. Certes, le prix de vente avait été payé, un loyer avait été déterminé par la convention et avait également été effectivement payé par les associés. Rien ne permettait donc à l’administration fiscale – qui l’a bien compris - de s’orienter vers la première branche de l’abus de droit sanctionnant les montages fictifs[5]. Mais bien plus que l’exécution des convention conclues avec la SCI, c’est l’économie globale de l’opération qui est ici en cause. L’analyse peut à ce stade conduire à constater que même si la réalité de la SCI n’est pas en cause, l’interposition de cette société s’est réalisée dans des conditions quelque peu différentes de celles auxquelles aurait abouti la mise à disposition de l’un de ses actifs au profit d’un tiers à celle-ci. Cela peut se comprendre dans la mesure où étant, avec leurs enfants, les seuls associés de la SCI, et concentrant ainsi entre leurs mains la totalité des pouvoirs sur celle-ci, ces contribuables n’étaient pas tenus de conclure un bail pour s’assurer la jouissance de leur résidence secondaire. On peut dès lors comprendre qu’ils étaient assez logiquement peu enclins à se montrer aussi exigeants que dans l’hypothèse où il aurait fallu louer le bien à un tiers. Or cette maîtrise du bien via la SCI dont ils sont les seuls associés avec leurs enfants constitue l’un des éléments permettant de suspecter une fraude à la loi. De là à continuer à se comporter comme s’ils avaient conservé la propriété de leur résidence secondaire, il n’y a en effet qu’un pas dont le montage porte en l’espèce la trace. Ainsi, loin d’avoir été déterminé à partir de la valeur locative de l’immeuble, le loyer a été aligné sur le montant des échéances du prêt contracté lors de son acquisition par la SCI. Le règlement des travaux a en outre été assuré non pas au moyen de fonds dont disposait la SCI, que ce soit par la voie d’un emprunt ou de l’utilisation de ses capitaux propres, mais au moyen d’apports en comptes courants d’associés, alors même que certaines de ces dépenses relevaient de dépenses locatives ; ce à quoi s’ajoute enfin que l’amélioration de l’immeuble n’a été suivie d’aucune revalorisation des loyers. Placée dans la balance comparant les avantages économiques de l’opération à ses avantages fiscaux, la faible rentabilité assurée à la SCI ne pesait pas lourd face à l’économie d’impôts obtenue au moyen de la comptabilisation de substantiels déficits fonciers. La personnalité juridique de la société ne peut dès lors être appréhendée que comme un moyen de pratiquer des déficits.

L’ŒIL DE LA PRATIQUE

C’est assez logiquement que les juges ont déduit que le montage était guidé par un but exclusivement fiscal. Doit-on pour autant en conclure que ce type de montage est de facto condamné ? L’analyse de cette décision, ainsi que de celles qui l’ont précédée, nous amène à penser qu’il est tout à fait possible de repousser le spectre de l’abus de droit à condition que le contribuable prenne le soin d’éviter chaque indice révélateur d’une fraude à la loi. Nous n’y reviendrons pas, sauf à préciser qu’il est notamment nécessaire de s’assurer que le bail est conclu dans les conditions du marché en sollicitant le cas échéant une expertise. Le loyer doit être revalorisé dès lors que le bien fait l’objet d’améliorations, et le coût de ces améliorations doit être ventilé de sorte à faire supporter par le locataire la partie relative à ces travaux qui correspond à des dépenses locatives. Il va enfin de soi que ces travaux ne sauraient être financés, comme en l’espèce, au moyen de comptes courants d’associés. C’est au prix de ces quelques précautions de bon sens que le montage pourra être appréhendé comme ayant été conçu avant tout dans l’intérêt social de la SCI.

V. STREIFF

[1] CE, 7 juill. 1982, n° 30975. - CE, 27 oct. 1999, n° 172940.

[2] Le Comité de l’abus de droit a ainsi eu l’occasion d’appréhender comme un indice participant du caractère abusif d’un montage le fait qu’une SCI ait « acquis l’immeuble, qui constituait le seul élément de son patrimoine immobilier » (CADF/AC n° 6/2017, 22 sept. 2017, aff. n° 2017-01).

[3] CE, 6 juin 1984, n° 38037. - CE, 4 nov. 1988, n° 62221 : Dr. fisc. 1988, comm. 1034, concl. T. Le Rov.

[4] CE, 7 juill. 1982, n° 30975. - CE, 27 oct. 1999, n° 172940.

[5] CAA Lyon, 26 juin 2018, n° 16LY03155 : « L'administration peut écarter sur le fondement des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales un acte qui, présenté comme un bail d'habitation, constitue en réalité la mise à disposition à titre gratuit d'un logement à un tiers et revêt dès lors un caractère fictif ».

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