Inverser le regard : les débuts coloniaux au Niger, vus par les colonisés
Photo tire du livreInverser le regard : les débuts coloniaux au Niger, vus par les colonisés

Inverser le regard : les débuts coloniaux au Niger, vus par les colonisés

Camille Lefebvre, Des pays au crépuscule. Le moment de l’occupation coloniale (Sahara-Sahel), Fayard, « L’épreuve de l’histoire », 352 p., 24 €, 2021.

Camille Lefèbvre est historienne, directrice de recherche au CNRS. Elle a notamment publié Frontières de sable, frontières de papier. Histoire de territoires et de frontières, du jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger (xixe-xxe siècles), Publications de la Sorbonne, 2015.

publié le 9 mai 2021 

« Au cœur du Sahara, des soldats français mènent depuis 2013 des opérations armées dans le désert à partir des bases de Niamey ou de Gao ». Dès les premières lignes d’un livre qui porte sur le moment de l’occupation coloniale par la France de cette même région, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, l’historienne Camille Lefèbre rappelle cette actualité. Grace à l’exploitation d’une documentation très variée, notamment en arabe et haoussa, l’autrice cherche à comprendre la séquence peu étudiée de l’installation de la domination coloniale. Nous renvoyons à l’introduction et au premier chapitre du livre, disponibles en ligne, à un entretien audio avec Camille Lefèbvre, publié par Chemins d’histoire, à un numéro de l’émission de France Inter, Le vif de l’histoire, ainsi qu’à une recension dans Libération.

https://cheminsdhistoire.fr/emission73/

L’invitée : Camille Lefebvre, directrice de recherche au CNRS auprès de l’Institut des mondes africains (IMAf), autrice de Des pays au crépuscule. Le moment de l’occupation coloniale (Sahara-Sahel), Fayard, 2021.

Le canevas de l’émission

Une enquête sur les débuts de l’occupation coloniale, une enquête sur un crépuscule (p. 11), un moment précis de l’occupation coloniale, tel qu’il s’est déroulé entre 1898 et 1906, au cœur de deux villes qui se trouvent aujourd’hui au Niger : Agadez (Sahara) et Zinder (Sahel). Comment moins de 80 militaires français et 600 tirailleurs ont-ils réussi à prendre le contrôle de ces deux cités de 15 à 20 000 habitants contrôlant un espace important : tel est l’objet du livre. Il ne s’agit pas simplement d’une histoire de « conquête » ou de résistance mais il s’agit d’une « histoire de la profondeur des mondes sociaux en présence, qui tente de retisser les fils épars et fragmentés des mondes enchevêtrés par la colonisation » (p. 14).

Pratiques historiennes. Une attention aux mots. Ne pas reprendre les mots de l’administration coloniale sans distance (« conquête », « soumission », « pacification », etc.). Reconstruire des vocabulaires opératoires (occupation, domination, guerres, combats, habitants, populations), loin des stéréotypes (ethnies, tribus) et d’une altérité essentialisée. Une attention aux liens entre savoir et domination et à la fabrication des catégories et des savoirs coloniaux, un nouvel horizon méthodologique ouvert par une historiographie pétrie de géographie et d’anthropologie. Une attention aux temporalités. Considérer le moment colonial au regard du passé (pour les habitants d’Agadez et de Zinder, pour les officiers français) en s’affranchissant (si possible) d’un regard téléologique. Une attention à la documentation et à sa provenance. Variété des discours et des langues (Ousman Kane)(haoussa, tamasheq, kanouri, arabe… et français). Ampleur et variété des discours coloniaux… qu’il est important de contrebalancer : mettre au jour la « bibliothèque africaine » oubliée. Textes en arabe ou en ajami (peul, haoussa, kanouri avec des caractères arabes). Les correspondances (162 lettres utilisées, elles concernent les régions d’Agadez et de Zinder), entre des militaires français et des correspondants africains ; version arabe conservée pour 94 d’entre elles. Médiation de traduction et de mise à l’écrit. Côté français, les opérations de traduction sont réalisées par Moïse Landeroin (1867-1962). Une documentation complexe à manipuler et à dater. Une attention aux images (dessins, photographies). Présentation de la photographie mise à l’honneur sur la première de couverture : « Cavaliers du sultan de Zinder », une photographie issue du fonds Gouraud du Ministère des affaires étrangères, une photographie également présentée à Zinder et à Niamey en 2018-2019 (exposition dont Camille Lefebvre était la cocomissaire).

Cavaliers du sultan de Damagaram (Zinder)

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Le Sahara et le Sahel à la fin du XIXe siècle, un paysage politique bouleversé : quelques explications. Des « dynamiques conflictuelles fortes » et une géopolitique modifiée qui conduisent les Européens à abandonner pour un tes ces régions considérées comme inaccessibles. Entités géographiques et acteurs. Zinder et Agadez font partie de la zone d’influence française, sur le papier depuis 1890. Zinder et le Damagaram : l’expédition de Gabriel Marius Cazemajou et son assassinat en mai 1898. La mission Voulet-Chanoine, à partir de janvier 1899 (contexte de l’Affaire Dreyfus), une marche et des exactions (les tirailleurs finalement se retournent contre leurs chefs, tués en juillet 1899). « Longtemps considérée comme le symbole de la violence coloniale de la France en Afrique, cette mission est en fait symptomatique des ambiguïtés des débuts de la colonisation ». L’occupation de Zinder à partir de juillet 1899. Sortir de la téléologie : pendant un an et demi, les intentions des autorités françaises ne sont pas clairement déterminées, une période d’entre-deux. Faiblesse militaire, des hommes surtout tournés vers l’est. L’organisation de la domination commence véritablement à partir de 1900 (création par le gouverneur général de l’Afrique occidentale française d’un troisième territoire militaire entre le Tchad et le Niger ayant pour chef-lieu Zinder ; en 1904, la ville devient un simple poste au sein du Territoire militaire du Niger nouvellement créé et dont le chef-lieu est désormais Niamey). Selon quelles modalités et avec quels discours ? Fabriquer la légitimité de la domination par les discours. Zinder 1906, histoires de ce qui est présenté comme un complot aux multiples ramifications. Les événements et les acteurs ; comment sortir d’une lecture coloniale des événements, les enjeux sociaux à l’œuvre.

Les acteurs de cette histoire. Le rôle de figures tierces dans le basculement du rapport de force. A Agadez et dans l’Aïr, la figure de Mili Menzou. Quelle place pour les femmes ?

Un livre pour penser le présent.

Compléments et liens utiles

Quelques noms d’historiens cités au cours de l’émission : Djibo Mallam Hamani (voir ses œuvres publiées aux éditions L’Harmattan), Hélène Blais (liste de publicationsdisponibles sur le site de l’Ecole normale supérieure), Isabelle Surun (voir cet entretienavec Sihem Bella sur le site de l’Association des professeurs d’histoire-géographie), Isabelle Grangaud et M’hamed Oualdi (on peut lire cet article à quatre mains paru en 2016 dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine) ;

Les premières pages de Des pays au crépuscule, accessibles en ligne ;

Le livre tiré de la thèse de Camille Lefebvre, publié aux éditions de la Sorbonne, sous le titre Frontières de sable, frontières de papier, disponible sur la toile ;

Un entretien de Camille Lefebvre avec Grégory Fléchet, autour de l’exposition « Zinder 1900 », texte publié, en 2019, par le Journal du CNRS ;

Une présentation des trésors photographiques du fonds Gouraud.



https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-vif-de-l-histoire/l-arrivee-des-francais-dans-le-sahel-4230493

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