Invisible mais meurtrières : Les guerres ignorées par les médias mondiaux
Aujourd’hui, il est indéniable que l’Ukraine et Gaza occupent une place prépondérante dans les médias. Depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février 2022 et l’escalade du conflit à Gaza le 7 octobre 2023, ces deux régions sont devenues les épicentres de l’attention mondiale. Mais alors que ces conflits dominent les gros titres, d’autres guerres et zones de conflit continuent de faire rage dans un silence presque total.
Prenons l’exemple du Soudan, plongé dans une guerre civile depuis le 15 avril 2023. Un conflit brutal qui a provoqué la mort de milliers de personnes et le déplacement de millions d’autres, mais dont la couverture médiatique semble bien modeste. Pourquoi ce conflit est-il relégué au second plan ? Est-ce parce qu’il est considéré comme une « guerre interne » et donc moins pertinente pour l’opinion publique internationale ?
Ce phénomène d’invisibilisation ne s’arrête pas au Soudan. D’autres conflits, qu'ils soient au Yémen, en République démocratique du Congo, ou en Éthiopie, font régulièrement l’objet d’une couverture initiale, souvent lors de leur éclatement, avant de tomber dans l’oubli. Combien de fois entendons-nous parler de ces crises dans les bulletins d’information aujourd’hui ? Loin d’être un hasard, ce silence résulte de choix éditoriaux minutieusement pesés.
Une sélection médiatique influencée par l’audience
Selon Benoît Bourgine, professeur de théologie à l’UCLouvain, interrogé par Décryptages, cette focalisation sur certains conflits résulte en partie de décisions éditoriales. Les rédactions doivent faire des choix sur les informations à traiter, un processus inévitable face à la masse d’événements mondiaux.
Patrick Balemba, chercheur chez Justice et Paix, ajoute une dimension économique à ces choix. Il souligne que certains conflits sont jugés « plus attractifs » ou « plus vendeurs » que d’autres. Dans un paysage médiatique où l’audience est roi, il devient crucial de capturer et de maintenir l’attention du public. Ainsi, les médias privilégient les guerres qui résonnent le plus auprès de leur audience, que ce soit pour des raisons géographiques, culturelles, ou symboliques. Par exemple, la guerre en Ukraine, située aux portes de l’Europe, est perçue comme une menace directe, renforçant ainsi son poids dans les couvertures médiatiques.
Le poids symbolique est également un facteur déterminant. Bourgine évoque la fameuse maxime « no Jews, no news » pour illustrer cette réalité. La guerre à Gaza, opposant juifs et musulmans, a une forte charge symbolique qui la rend « vendable ». En revanche, des événements comme le massacre du camp de Yarmouk en 2015, où des milliers de Palestiniens ont été tués, ont reçu une attention médiatique bien moindre.
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Entre choix et contraintes : Les défis du journalisme de guerre
Cependant, tous les choix éditoriaux ne sont pas purement volontaires. Le manque d’accès à certaines zones de conflit constitue un obstacle majeur. Lorsque les journalistes ne sont pas les bienvenus ou que leur sécurité est en jeu, il devient extrêmement difficile de fournir des informations fiables. Cette situation crée un véritable défi pour les rédactions, qui doivent jongler entre la véracité de l’information et la rapidité de sa diffusion.
Balemba et Bourgine proposent une solution : engager des correspondants locaux, capables de fournir des informations de première main. Mais cette approche se heurte à une autre contrainte, celle du temps. Dans un monde où l'information doit être instantanée, prendre le temps de vérifier et recouper les informations de plusieurs sources est devenu un luxe. Ainsi, certaines informations n’arrivent tout simplement jamais aux oreilles du public.
L’appel au courage et à l’intelligence : une réflexion sur la paix
Patrick Balemba, qui a participé à ces discussions avec Armelle et Benoît, conclut avec une réflexion qui mérite une attention particulière : « Faire la paix demande un grand courage; c’est, il me semble, plus intelligent que faire la guerre, un choix plus facile et moins mature. » Cette affirmation met en lumière une vérité souvent négligée dans les débats sur les conflits mondiaux. La guerre, bien qu'exigeant un certain type de détermination, est souvent perçue comme une solution rapide, bien que destructrice. En revanche, la paix nécessite un engagement profond, une capacité à surmonter les différends par le dialogue, et une volonté de compromis – des qualités qui requièrent un véritable courage.
Balemba exprime également sa joie d'avoir participé à ce décryptage aux côtés d’Armelle et de Benoît, soulignant l’importance de poursuivre ces discussions. Pour lui, le dialogue et la réflexion collective sont essentiels pour dénouer les conflits et promouvoir une culture de la paix. Ces échanges doivent continuer, car ils offrent une perspective nécessaire pour comprendre les défis de notre époque et la manière dont nous, en tant que société, pouvons mieux répondre aux crises qui secouent le monde.
En conclusion, la manière dont les conflits mondiaux sont couverts par les médias est le fruit d’une combinaison complexe de choix éditoriaux, de considérations économiques et de contraintes pratiques. Cette situation soulève des questions cruciales sur notre compréhension du monde et les biais qui façonnent cette compréhension. Alors que certains conflits sont projetés sous les feux des projecteurs, d'autres restent dans l'ombre, oubliés par l’histoire immédiate, mais dont les victimes continuent de souffrir en silence. Plus encore, l'appel à la paix lancé par Balemba nous invite à repenser nos priorités collectives et à valoriser les efforts pour la réconciliation plutôt que la confrontation.