J’ai mal à mon Olympique de Marseille. Et je suis très inquiète car certains principes de gestion d’un club sportif sont carrément passés à la trappe.

Mardi 14 Mai. France Football titre « Droit dans le mur »… J’y lis l’interview de Jean-Henri Eyraud (p. 15). J’y découvre non sans étonnement que « le football reste une activité basée sur de l’humain, donc difficile à programmer de façon précise ». Il y mentionne même Lilles (LOSC), regardez dit-il en substance, une année ils sont au bord du gouffre et l’année suivante sur le podium. Mais quelle est l’activité sur terre qui ne serait pas fondée sur l’humain, fût-elle industrielle ?

Un club de football est une entreprise comme les autres. La différence est que son offre de valeur est duale : résultats sportifs (le pourquoi) et spectacle (la manière). On ne peut dissocier les deux. Ceci mis à part – j’y reviendrai – un club est une entreprise comme les autres. Cela signifie que l’amateurisme y est interdit, et en particulier, cela signifie que de ne pas connaître les arcanes de son activité ni les spécificités de son marché, ni la complexité de ses écosystèmes, doit amener à refuser le poste ou avoir l’intelligence de bien s’entourer. Ce que vous appelez « activité humaine » pour justifier vos difficultés est bien autre chose. Vous êtes un chef d’entreprise qui n’a pas compris où il a mis les pieds. Vous rebondirez j’en suis certaines, mais pas sans une piqûre d’humilité… Pour – peut-être --vous aider, je vous propose trois axes de réflexion stratégique.

L’alignement ADNique. Lorsque j’accompagne un repreneur, la première étape de notre exploration est de comprendre l’histoire de l’entreprise. C’est elle en effet qui révèle l’ADN de l’entreprise, et donc à la fois son offre de valeur et sa culture profonde (pas son blabla). Si vous aviez fait ce travail avec curiosité à défaut d’intelligence ‘business’, vous vous seriez demandé pourquoi Didier Deschamps a laissé une trace si négative alors qu’il a ramené un trophée, et pourquoi Bielsa a laissé une trace si positive alors qu’il n’a rien gagné à part être champion d’automne. C’est une question d’ADN. La recherche de résonnance ADNique entre son marché et son offre de valeur est un principe de Business 101. Or votre premier marché est celui des supporters, qu’on le veuille ou non. A Marseille, l’ADN du supporter est porté sur la manière plus que le résultat brut. Ils veulent du spectacle footballistique, ils veulent voir des joueurs qui mouillent le maillot avec la manière. Votre erreur originelle n’est pas tant d’avoir annoncé un ‘champion project’ (les journalistes ne voient que cela malheureusement) mais d’avoir mis l’accent sur le résultat plutôt que la manière. Le danger ? L’ensemble des autres leviers économiques d’un club repose sur sa capacité à remplir son stade et satisfaire ses supporters. Pour certains clubs cela peut signifier une course au résultat, pour d’autre cela signifie une performance ‘artistique’. C’est le cas pour les supporters marseillais !

Vous devez chercher à aligner ces quatre ADN suivant : celui de son entraineur, celui de l’effectif, celui du club, et celui du territoire. Voyez-vous, l’humain est loin d’être un frein à la performance du club : il est la source de son enrichissement !

La structure du club. Voyons Monsieur Eyraud, depuis quand un patron d’entreprise donne-t-il les clés des Ressources Humaines au Directeur de la production ? Vous savez bien que cela ne se fait pas, ne serait-ce que pour éviter les situations de « juge et partie »…

Un club est une entreprise comme les autres dès lors qu’il s’agit d’organisation. Les quatre fonctions de Président, DG, directeur sportif et entraineur correspondent à des points de vue (au sens littéral) et à des périmètres de responsabilités qu’il convient de ne pas amalgamer :

  • Le président est responsable de la performance ‘adaptative’ (tout le monde sait perdre de l’argent !) du club. On espère qu’il en a la vision ADNique.
  • Le DG gère le quotidien hors sportif du club
  • Le directeur sportif gère en direct les aspects RH (recrutement, intelligence footballistique, pertinence de l’effectif, ADN de l’effectif, etc.), et supervise le patron de la performance sportive (suivi individuel, monitoring des blessures, etc.)
  • L’entraineur produit le résultat sportif et le spectacle

Structurer une organisation pour la performance signifie une chose et une seule : chacun à sa place et chacun responsable de son poste. Mouillez-vous Monsieur Eyraud, prenez vos responsabilités et imposez les leurs à ceux qui vous entourent !

Ceux qui vous entourent ?

Les compétences. Ouch ! Personnellement, je pense que donner les clés du camion à son entraineur, clés assorties d’une rallonge sans préjuger des résultats de fin de saison, ça s’appelle très vulgairement « refiler la patate chaude à quelqu’un» ! Ou votre entraineur vous a manipulé et fait croire qu’il savait faire, ou vous aviez peur de ne pas savoir faire, ou les deux !

C’est là où l’humain entre vraiment en ligne de compte. Que dis-je ? Pas l’humain, l’ego ! Lorsqu’il s’agit de s’entourer de collaborateurs solides et engagés, il est préférable de se méfier des egos, du manque de caractère (souvent l’un révèle l’autre) ou de l’arrogance. Il en va de votre propre équipe comme pour celle qui opère sur le rectangle vert : sa performance dépend du pourquoi vous recrutez ses membres ! Avec quelle feuille de route ? Aves quel niveau d’exigence ? Selon quels modalités de coopération ? Vous êtes le DRH de votre CODIR ! Sauf à adopter ce principe simple, vous risquez de vous prendre les pieds dans le tapis. Honnêtement, pourquoi croyez-vous que le LOSC nous ait tant enchanté cette année ?

En résumé

  • L’alignement ADNique du joueur au territoire doit guider la réflexion du président que vous êtes.
  • Une organisation saine doit répondre aux exigences du chef d’entreprise que vous êtes
  • La peur ne doit pas être un critère de choix de collaborateur pour l’homme que vous êtes

Bref, je ne vous souhaite qu’une chose pour la saison suivante si vous êtes encore là : Que la passion du football vous prennent aux tripes et vous amène à découvrir toutes les merveilles que ce sport peut offrir à un dirigeant …légitime…


Chantal Gensse, PhD

Discoverer of an 'organic' algorithm that provides an alternative way of tackling social & economic growth. Founder L-QHIN, Co-founderMap & Match.

5 ans

Amanuel Abate

Merci Chantal et bravo pour cet éclairage avisé. Il est grand temps que les dirigeants de club professionnalisent leur management en s'entourant de vrais experts des dynamiques systémiques

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