J'ai rencontré Saint Ex, j'ai soif.

Les bibliothèques rouvrent leurs portes, vous n'êtes pas à l'abris d'une rencontre. Souvenirs, souvenirs...

En ce mois de juillet 2019, me voici flânant dans cette réserve qu’est la bibliothèque municipale. Instant de quête, instinct du vieux limier recherchant son trésor. Les rayons toujours aussi bien fournis, illuminent ma quête du livre inconnu. Les auteurs au garde-à- vous, bien en ligne, les uns après les autres, l’ordre alphabétique unique règle du zoo faisant loi. Ici, quelques premiers de la classe mis en avant, tel l’ouvrier russe du mois. Là, des couvertures plus ou moins colorées, sortant du lot. Je voyage entre les époques, entre les courants, entre les idéologies, entre les morts, entre les vivants. Et puis il y a les autres, les uniques, les inclassables.

Je le vois, je m’arrête net. Je l’observe. Il m’observe. Je le vois. Il m’appelle. Je l’entends. Je le prends. Voilà, trop tard, je suis attrapé. Je suis là, l’ouvrage dans les mains, découvrant cette image abstraite, cette couverture qui me donne envie d’aller plus loin. Je suis là, je suis piégé. Je suis attrapé. Je ne peux résister, ce nom me parle, il nous parle à tous. J’étais venu chercher des textes, plutôt épistolaires, travaillant sur un roman dans le style. Ce n’est pas ce que je suis venu chercher, mais c’est ce que je préfère dans cette réserve, cette proportion à repartir avec des ouvrages dont on a jamais entendu parlé, où tout simplement se faire attraper comme dans un piège, un collet, une cage.

Mon piège sera Saint Ex, l’unique le seul. J’aurais certainement plus mal tomber, mais l’attaque, je l’ignorais encore, aura des conséquences bien plus profondes. Bien sûr comme nous tous, j’ai lu dans mon enfance le texte du Petit Prince, bien sûr. J’ai admiré ces aquarelles naïves, mais tellement universelles, que c’est aujourd’hui un des dix livres les plus tirés au monde. Je le sais, mais de Saint Ex, je ne connais rien d’autre. Je tourne les pages, je lis, je bois. Je bois, mais plus je bois, plus j’ai soif. Je suis piégé. Cet ouvrage, rentré chez moi je me l’enfile, d’une traite. J’ai fini. J’ai soif. Il m’en faut encore, je veux comprendre, je veux apprendre. Je retourne au zoo. Pas d’autres ouvrages disponibles. Je me tourne alors vers un libraire. Là, un nouvel ouvrage, une nouvelle soif, de l’ivresse. La tête me tourne, je ne suis pas rassasié. J’avale les mots, j’avale les pages. Le texte résonne au plus profond de moi. Je suis attrapé. Je suis cuit. Il me parle Saint Ex. Il est là. Il s’exprime clairement malgré ses images superbes, sa poésie, sa bienveillance. Je suis attrapé, j’y retourne.

Cette fois-ci nous sommes à la fin du mois de Juillet, une foire aux vieux livres. Je ne peux louper cela. Je cherche, je vole de stand en stand, rien. Tout, mais pas de Saint Ex. Je vole toujours, je n’abandonne pas, je sais que je vais trouver. Un autre stand, une autre enquête, une autre quête. Je passe les obstacles, les fabuleux Jules Vernes, je les laisse derrière moi, je vais trouver, je le sais. Au détour d’une table, il me saute aux yeux. Je n’en avais encore jamais vu. J’ai immédiatement compris à qui j’avais affaire. Je suis glacé. Je regarde autour de moi, vous voyez comme moi ? Personne, je n’ose même pas affronter le vendeur. Je fuis. Je n’en ais pas l’habitude, mais je fuis. Je le laisse derrière moi. Cette couverture orange, ces lettres formées à l’enclume, son année d’édition française qui fait entendre les bottes. Je ne suis pas prêt. Je dois encore grandir pour affronter cela. Mein Kampf, restera sur la table, je reprends ma quête.

Un tourbillon de rien, dans un verre de tout. De tout, de 1500 à nos jours. Cette braderie me laissera un souvenir impérissable. Le pire et le meilleur de l’homme. Le livre est une arme je ne dois pas l’oublier. Un nouveau stand, des planches animalières anciennes, gravures peintes, ancêtre de l’image. Je parle avec le vendeur, j’apprends, je découvre, je bois, je bois. La beauté et l’exception de ces planches, leurs âges, tout cela a un prix. Bien trop élevé pour ma bourse. Je passe mon tour. Je reprends la piste. Il me reste quelques stands, je ne m’avoue pas vaincu. Tout à coup, à peu près vers l’avant dernière table, je les vois. Ils sont là devant moi, une triplette. Je lance mes boules, fait un carreau, marque le point. Je fais part au vendeur mon étonnement. Cela fait trois heures que je cherche, vous êtes le premier à en avoir. C’est très recherché me dit-il, je les vends tout de suite. Je ne discute pas le prix, Courrier Sud 1953, Vol De Nuit 1950, Pilote De Guerre 1947, sont dans mon escarcelle. Je suis heureux. J’ai soif…

Benoît LE VOURC'H

Ecrivain. Parolier. Professeur de mécanique. Multipass Podcast LE REEL DE L'IMAGINAIRE Ausha, Spotify, PodMust

4 ans

Souvenirs de l'été 2019

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