Je suis féministe.

Je suis féministe. Je suis noire. Je suis Kémite. Je suis Africaine. Je suis Musulmane. Qui peut m’empêcher d’être tout cela ? Personne ! Depuis quelques jours, je lis des échanges concernant le féminisme qui ne serait pas « Africain ». Le panafricanisme, la négritude, le seraient-ils davantage ? Mariama Ba disait, « si être féministe c’est défendre l’intérêt des femmes, alors je suis féministe. » On peut l’interpréter comme on veut.

En réalité, la question qui se pose tournerait autour du concept de féminisme. Chacun d’entre nous peut lui donner une acception à travers son propre paradigme. 

La féministe, kémite, musulmane, africaine que je suis, travaille pour un humanisme dans nos sociétés culturellement différentes. Je ne m’oppose à aucun homme encore moins à l’Occident, je lutte pour que l’Africaine courageuse à l’image de Nanny (esclave du Ghana transportée en Jamaïque au XVIIe siècle), des femmes de Nder, des Amazones du Dahomey, d’Aline Sitoé Diatta, de Pokou, d’Amina, reine de Zazzau, pour ne citer que celles-là, retrouve son histoire. Le débat sur la non africanité du féminisme me pose problème à plusieurs égards. Rappelons que cette notion découle naturellement de la plume d’un arrière-petit-fils d’esclave à l’instar d’Alexandre Dumas, fils comme c’est le cas avec le Panafricanisme avec Anténor Firmin, William Dubois, Edward Blyden, tous descendants d’esclaves. Nos sociétés africaines de cultures hétéroclites ont été matriarcales jusqu’à l’arrivée des explorateurs et esclavagistes. Sauf que ces « seigneurs » ont pris de notre continent, de dignes femmes -très souvent vendues par leur propres hommes- en échange d’armes, d’alcools, de miroirs… (situation bien résumée par Ceddo de Sembène Ousmane) qu’ils ont ensuite, réduit en objets sexuels. De ces rapports forcés, sont issus des métis du monde qui ont largement contribué à la construction de l’Europe, l’Amérique, l’Asie, les Caraïbes et l’Afrique, berceau de l’humanité. Dois-je me sentir plus Africaine que ceux-là parce que je suis restée dans ce continent pour plusieurs raisons, parce que j’ai un passeport africain, parce que je peux m’exprimer en Wolof, en Swahili, en Ewé et peut-être un peu en Pulaar ? Non, je ne pense pas !  Toutefois, nos trajectoires de vies nous empêchent d’avoir les mêmes objets de luttes et préoccupations. Je ne peux pas être en Afrique et m’indigner du racisme sur les noirs. Et encore posons la question à Sadia Mosbah, Tunisienne noire ou encore à toutes ces noires de la Mauritanie, de la Lybie …, elles nous diront qu’être noire dans un continent qualifié de noir peut être un boulet que l’on traine. 

Chères sœurs, que l’on se considère comme féministe ou non, d’afro-féministe, d’afri-féministe, là n’est pas la question primordiale. Mon interrogation première est de savoir si je dois plus m’indigner pour une « Africaine » violée, violentée parce qu’elle est femme que pour la « Suédoise » traitée de la même manière pour la même raison ? Je dis que non. Je m’indigne tout simplement puisque le mal ne vient pas des hommes mais plutôt de la conscience de nos sociétés

Je me mortifierai plus par contre si un être subissait ce sort parce qu’elle est femme, noire et Afro. 

Chères sœurs, chers frères, chacun choisit son combat ou son « non-combat » en réalité le fondamental est de se sentir libre : libre d’être féministe, libre d’être panafricaniste, libre d’être croyante, libre de mettre le voile, libre d’être humaniste dans le respect des codes sociétaux. Il y a autant de féminismes qu’il y a de cultures et de libertés. Je ne prône pas le féminisme de Coco Chanel, traduit par sa mythique phrase : « Ne débarrassez pas la table à moins que les hommes ne se lèvent pour le faire » n’empêche, je respecte sa liberté d’expression et d’action.

L’Afrique doit se battre pour se re-construire mais le combat, à mon humble avis, n’est pas contre l’Occident mais plutôt celui d’un éveil collectif afin de s’aimer aussi bien que l’Occidental aime son prochain, au point de le considérer comme son autre. 

Je me bats pour que les filles aillent à l’école même si c’est encore l’école française. Je me bats à la suite des grandes dames de Yewwu Yewwi pour que les femmes retrouvent leurs terres et les chemins de l’indignation. Je me bats pour que cette société dans laquelle je vis et qui m’a permis d’être celle que je suis, redonne à la femme sa digne place de « Jom Suudo », présente au même titre que les hommes lors de la déclaration de la Charte de Kurukan Fuga. 

Oui je suis féministe et je le clame haut et fort.


NAN, Féministe, Kémite, Cheikh Antaiste, Noire, Musulmane, libre de ses choix.


Serge RABIER

Senior research officer chez AFD - Agence Française de Développement

4 ans

Beau texte ! Seule petite inflexion: comme le disait Francoise Héritier les sociétés matriarcales n’ont jamais existé. Tout au plus les épisodes rares dans le temps et l’espace de femmes mises en avant comme alibi, symboles et faire valoir d’hommes qui n’ont jamais jamais renoncé à leurs pouvoirs et privilèges au fond.

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