J’entreprends, tu entreprends, nous effectuons. #entrepreneuriat #effectuation
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J’entreprends, tu entreprends, nous effectuons. #entrepreneuriat #effectuation

Aujourd’hui, l’entreprise de Gérard lance un programme d’intrapreneuriat. Ah devenir entrepreneur… Gérard en a tellement rêvé sans jamais oser franchir le pas. Il se dit que c’est peut-être le moment de tenter l’aventure. Après tout, l’intrapreneuriat c’est un peu comme monter son entreprise mais sans démissionner, ni convaincre son banquier ?! Surtout qu’en ce moment, Gérard se pose beaucoup de questions sur le sens à donner à son travail au quotidien. Il a besoin de se sentir utile et de réaliser des choses concrètes. Du coup, il se voit déjà traversant l’atlantique pour s’immerger dans la Silicon Valley…

En donnant ainsi la possibilité à ses collaborateurs d’entreprendre, l’entreprise de Gérard permet de stimuler l’innovation en interne de manière plus ouverte que ne le fait traditionnellement la Recherche & le Développement. A une époque où la compétitivité d'une entreprise et ses conditions de survie dépendent en grande partie de sa capacité à innover, la démarche d'intrapreneuriat est de plus en plus plébiscitée et utilisée au sein des organisations. Aussi, dans un monde devenu trop complexe pour qu’un seul type de compétence dans l’entreprise détienne la solution, l’innovation devient l’affaire de tous. Cela peut aussi bien impliquer un juriste qu’un commercial, un profil jeune qu’un senior. Car finalement, qui mieux que les salariés de l’entreprise pour révéler les attentes des clients et porter les projets ?

 La vraie motivation, c’est d’abord l’envie.

 D’ailleurs, depuis que l’appel à projets a été lancé dans son entreprise, Gérard veut mettre toutes les chances de son côté. Il gère sa vie en mode startup. Sa famille est devenue sa « team » : 4 personnes nourries exclusivement à base de pizzas. Gérard a même affiché les 12 principes du manifeste agile sur la porte du frigo, histoire que les enfants restent focus sur les targets du livrable nommé « tâches ménagères ». Non vraiment, depuis qu’il est challenging, Gérard sent bien qu’il a franchi un nouveau milestone dans son leadership. Il a même convaincu son boulanger d’être plus disruptif dans ses viennoiseries pour produire le « Wahou Effect » indispensable face aux new comers du quartier. Gérard est devenu tellement open minded que l’autre matin, la nana de la compta l’a vu arriver en skate au bureau !!!

Mais Gérard sait que ce type de programme reste sélectif. Si l’appel à projet est ouvert à tous, il y aura très peu d’élus au final qui se verront accorder un financement et un accompagnement pour se consacrer exclusivement à leur idée. D’après ce que lui a raconté son collègue Antoine, les porteurs de projets sélectionnés par le jury seront ensuite intégrés dans un incubateur interne isolé du reste de l’activité principale de l’entreprise. Pendant 6 mois, les projets seront développés selon les méthodes de gestion agiles : un concept fort en matière d’innovation et de transformation digitale mais qu’il est difficile de faire cohabiter avec le reste des processus traditionnels de l’entreprise.

Du coup, Gérard l’a bien compris, pour faire partie de ce petit groupe d’initiés… tout repose désormais sur son projet !

Seulement voilà, après plusieurs semaines de travail acharné sans compter ses heures, Gérard est sur le point d’abandonner. Il a beau chercher l’idée géniale, il ne la trouve pas. Il a mis toute son énergie à travailler sur un projet de grenouillère dépoussiérante façon swiffer pour les 6 – 10 mois. Une façon de faire du 2 en 1 à l’âge où les enfants se déplacent à quatre pattes et se faufilent dans des endroits que même l’aspirateur ne peut atteindre. Malheureusement, sa collègue Martine lui a dit qu’il n’avait aucune chance :

Martine -  «T’as aucune chance Gérard. Y’a pas assez de technologie dans ta proposition.»

Et si Martine avait raison ? Le problème, c’est que Gérard n’a plus le temps de faire marche arrière. Du coup l’autre matin, quand le directeur de l’innovation l’a invité à venir avec son pitch aux Matinales de l’Inno organisées chaque 1er jeudi du mois, Gérard était tellement désemparé qu’en guise de pitch, il est venu avec un paquet de brioches Pasquier du même nom sous le bras… celles avec de merveilleuses pépites de chocolat à l’intérieur… Non décidément, Gérard ne se sent plus l’âme d’un entrepreneur.

Et c’est bien là où Gérard se trompe ! Entreprendre, ce n’est pas seulement l’affaire d’une idée géniale comme peut nous laisser croire le mythe de l’entrepreneur visionnaire à la réussite fulgurante. C’est ce que la chercheuse Saras Sarasvathy a démontré en se penchant sur la manière de penser et d'agir des entrepreneurs.

Cette théorie donne un tout autre regard sur ce qu'entreprendre signifie.

Dans cette approche entrepreneuriale, que Sarasvathy a appelé « effectuation » [1], c'est généralement l'individu qui est à l'origine du projet et non une grande idée. Ainsi, entreprendre reste avant tout une aventure sociale entre un individu, qui cherche dans un premier temps à répondre à une intuition ou une interrogation et son réseau, qui lui apportera ensuite les ressources complémentaires pour faire émerger son projet entrepreneurial. On pourrait sur ce point citer en exemple Ikéa, qui s’est créée en 1943 autour du concept de l’épicerie, à l’époque bien éloigné de celui du meuble à monter soi-même qui a fait plus tard la force de son modèle. Ou encore évoquer le cas de l’entreprise Hewlett-Packard, créée sans véritable idée de départ mais dont le facteur déclenchant fut l’envie de deux jeunes ingénieurs de partager des valeurs communes.

Ainsi, la raison du succès réside bien moins dans le but fixé que dans le projet sous-jacent à l’initiative managériale.

Et vu sous cet angle, Gérard a tout d’un entrepreneur : il a cette capacité à tisser des liens entre différentes idées et différentes disciplines. Il rend naturellement poreux les silos de l’entreprise car pour lui tout se relie, s’associe voire se confronte pour se réorganiser dans un ensemble cohérent et parfois même surprenant ! De fait, Gérard n’a qu’un seul mot d’ordre « l’Action ». Il avance et ajuste en chemin, mettant en mouvement des personnes qui, sans lui, resteraient isolées. Du coup, son énergie est communicative et on se surprend à y croire avec lui car finalement… le risque à essayer n’est pas si grand.

Bien plus qu’une boîte à idées reliée à un programme dédié, le terrain d’expression de l’effectuation est plus vaste et se propage au sein de l’organisation à l’image de Gérard qui, par sa façon pragmatique d’aborder les sujets, diffuse autour de lui de nouvelles manières de concevoir les projets et transforme progressivement les codes existants.

En ce sens, les principes d’action liés à l’effectuation lorsqu’ils sont conscientisés, peuvent devenir de formidables outils de leadership compatibles avec le reste du fonctionnement de l’entreprise. C'est ce que Philippe Silberzahn appelle la logique d'addition [2] « Face à une situation, vous pouvez décider d'essayer de développer une vision (approche classique de la stratégie), ou vous pouvez décider de partir des ressources à votre disposition et de co-créer vos objectifs avec votre écosystème (approche effectuale) ».

Aujourd’hui Gérard est reboosté !

Il ne fait peut-être pas partie du programme d’intrapreneuriat de son entreprise mais il a suffisamment de recul pour réaliser que lui aussi, à sa manière, il fait bouger les lignes. Comprendre cela lui a permis de redonner du sens à son action ! Et qui sait… peut-être trouvera-t-il l’idée géniale chemin faisant ? A présent, Gérard ne jure plus que par l’effectuation. D’ailleurs à la maison, on est passé de la « Pizza team » de Jeff Bezos à « On compose avec les restes du frigo » un des cinq principes de l’effectuation [3]. Les enfants font un peu la gueule.

Fin.

[1] Les informations concernant l'approche effectuale de Saras Sarasvathy sont issues du livre de Philippe Silberzahn - Effectuation, Les principes de l'entrepreneuriat pour tous. édition Pearson. 2014.

[2] « L’effectuation ou l’approche additive » - Contrepoints.org. 2019

[3] Principe 1er de l’effectuation « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », c’est à dire faire avec ce que l’on a maintenant plutôt que d’imaginer ce que l’on pourrait faire si on avait autre chose.

Olivier Marchand 💚

Responsable RSE & Senior Manager Numérique Responsable. Né en 329,8 PPM.

5 ans

Chouette que tu poursuives ton exploration des travaux de Philippe Silberzahn sur l'effectuation !

Fabienne Lhermet

Design Management Salons Grand Voyageur chez CRMServices

5 ans

Bravo!

Pauline Kesler

Passionnée par l’humain/l’innovation/la création de lien et le dvlpt personnel

5 ans

Merci pour cette découverte de l’effectuation. Stress dégonflé et plus de légèreté pour amorcer l’action. #effectuation #entreprenariat

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