J'espère que tout va toujours bien ou presque

J'espère que tout va toujours bien ou presque

Ça n'a pas tardé. Il fallait bien que ça arrive. J'ai reçu un mail d'un contact professionnel, appelons le partenaire, qui commençait ainsi :

Je n'ose pas te demander si tu vas bien 😅

Voyons les choses du côté positif, mon contact n'ose juste pas me demander.

"Je n'ose espérer que tu ailles bien" aurait signifié que ma fin est proche ou aurait démontré l'affection que mon partenaire me porte.

Blague à part, cette anecdote est intéressante pour introduire quelques nouveaux aspects de la sociabilité numérique.

Audience imaginaire

J'ai déjà abordé la notion d'extimité que j'ai introduite comme carburant d'une communauté d'intérêt. Mais cette extériorisation de certains aspects qui relèvent de l'intime n'est pas qu'une monnaie d'échange ou un signe de reconnaissance entre membres. C'est de là que vient toute l'ambiguïté de la communication en ligne, car si on échange avec des personnes, on s'adresse aussi à tout le monde, autant que l'on se parle à soi.

Voilà ce qui m'est arrivé : J'ai publié mon premier billet pour qui voudrait bien le lire, autrement dit une audience imaginaire (autrefois en raison de la sérendipité sur les moteurs de recherche, aujourd'hui à cause du déterminisme algorithmique). Je l'ai aussi écrit pour moi afin d'organiser des idées, des pensées, et des connaissances dans un corpus plus ou moins formalisé. En l'écrivant, idem pour le second et pour celui que vous êtes entrain de lire, j'ai à l'esprit des apprenants potentiels pour qui je dois construire une séquence sur la communication en ligne. Or, il s'avère que ce que j'ai écrit me revient en boomerang de la part d'une personne à qui le message n'était pas particulièrement destiné.

C'est de là que vient le vieil adage qui veut que lorsque quelqu'un publie un contenu sur le Web il ne lui appartient plus. Ce message a tellement infusé qu'il est devenu le bouillon de la prévention des dangers d'Internet. Avec cependant 2 renoncements majeurs : la créativité et la liberté d'expression !

Liens forts et liens faibles

Mon aventure épistolaire permet d'aborder un autre point capital. Parmi les individus qui constituent notre audience, il y a deux types de liens :

  • Les liens forts, c'est-à-dire des personnes qui soit nous sont proches, soit avec qui nous interagissons souvent.
  • Les liens faibles, c'est-à-dire des personnes qui nous suivent ou des personnes avec qui nous sommes réciproquement connectés (cela dépend des fonctionnalités du réseau social dans lequel la scène se passe), mais avec qui nous échangeons peu voire pas du tout ; tout au plus un like, un j'aime, un retweet ou un partage de temps en temps, etc.

Là, il y a une autre adage qui dit qu'il ne faut pas négliger la force des liens faibles. Par exemple, si vous cherchez un job ou voulez vendre votre voiture, le premier cercle (celui des liens forts) a peu chance de vous apporter satisfaction. En effet, les personnes qui vous connaissent savent que vous êtes à la recherche d'un emploi et elles vous transmettrons une annonce qui vous correspond dès qu'elles en croiseront une. De même, vous proposerez spontanément votre rutilant bolide à un contact dont vous savez que la vieille guimbarde vient lâcher son dernier soupir. En revanche, les personnes du deuxième cercle (les liens faibles) vont pouvoir propulser votre annonce dans des cercles qui vous sont a priori inaccessibles.

Cependant, cette médaille a aussi son revers. Lorsque vous vous chamaillez avec quelqu'un de votre premier cercle au sujet de l'expression "chocolatine" ou "pain au chocolat". Ou lorsque suite à un effondrement contextuel votre empathie est mise à rude épreuve. Ou lorsque vous vous embrouillez avec quelqu'un de votre second cercle sur un sujet politique (les personnes d'un premier cercle partagent généralement les mêmes opinions ou s'efforcent de montrer leur connivance). Dans ces situations, c'est souvent quelqu'un du troisième cercle qui va venir mettre son grain de sel et ainsi rameuter d'autres parfaits inconnus qui vont rajouter le leur, si bien que la situation va dégénérer en shitstrom ou en flamming war. La différence entre les deux tient de l'intentionnalité des protagonistes. Le flamming (on parle aussi de raid) provient plutôt de groupes constitués ou même organisés (par exemple, ceux qui prétendent que les pains au chocolat s'appellent chocolatine) ; la shitstorm provient plutôt d'individus isolés qui participent au même bazar.

A noter que pour ces situations certains parlent de cyberharcèlement. Amha, le harcèlement en ligne dépend de tellement de facteurs (âge et personnalité des protagonistes ; situation et contexte ; capacité de faire face aux attaques, etc.) que l'appellation générique "cyberharcèlement", employée à tout bout de champ, empêche la compréhension de problématiques singulières, au profit d'une conception moralisante qui n'aspire qu'à la régulation ou à la criminalisation.

Le lire-écrire

Fût un temps, lorsque nous regorgions encore d'enthousiasme par rapport à l'avènement du Web 2.0., il était fréquent d'entendre parler de Lire-écrire pour qualifier les échanges épistolaires à ciel ouvert. Les échanges entre un auteur et un lecteur qui devenait auteur à son tour lors de sa réponse, autorisait davantage de libertés aux écrivants digitaux (avec les doigts sur un clavier). Les internautes de jadis savaient qu'ils s'adressaient à une audience imaginaire. Ils évoluaient dans une espèce d'improvisation littéraire à grande échelle. Et qui dit improvisation littéraire dit essais de style, dit débats passionnés, dit correspondances enflammées et donc forcément quelques loupés...

Eternal September

L'expression "Eternal September" ou "Septembre éternel" est un terme d'argot Usenet pour désigner une période qui a commencé vers 1993 lorsque les FAI ont commencé à offrir l'accès Usenet à de nombreux nouveaux utilisateurs.

Les premiers internautes ont rapidement été confrontés aux difficultés de la communication en ligne, et ont dû trouver des parades. Par exemple, en créant sur les forums des salons dédiés à la déconne, afin de ne pas parasiter le flux des échanges sérieux.

Ils ont aussi élaboré la netiquette, c'est-à-dire un ensemble de règles informelles qui définit les règles de conduite et de politesse recommandées. Il ne s'agissait pas de règle pour l'amour des règles, mais de définir collectivement les us et coutumes de ces nouveaux espaces en construction.

Au bout d'un moment, les pionniers se sont retrouvés submergés par les nouveaux arrivants, appelons les des colons. Ils étaient trop nombreux et arrivaient de manière désordonnée, tant est si bien qu'il est devenu impossible d'acculturer les nouveaux.

Aujourd'hui sur les plateformes, les règles d'utilisation sont rédigées dans un jargon contractuel et juridique indigeste. Les individus pris individuellement, au-delà des premiers et seconds cercles, ne sont liés entre eux que par CGU interposées. Aussi, il n'y a pas de rapport affectif à l'espace que nous habitons. Nous utilisions des services a priori gratuit, qui se financent sur notre visionnage de publicités dont on se fiche (ce qui est le cas depuis toujours sur le Web) et du business des données personnelles (considérer les choses ainsi enlève de son charme à l'expérience utilisateur).

Pour ceux que le sujet intéresse, il existe un article pour aborder ce sujet en éducation aux médias en utilisant Discord.

Lionel Rauch

Conseiller Numérique France Services / ROI MORVAN COMMUNAUTÉ

1 ans

J'aimerais trouver le temps d'écrire mes propres épisodes de cette "presque" saga ... mais je dois avouer que bien souvent après une journée de boulot je préfère me poser dehors et regarder mes chats s’ébattre dans la nature ...

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