Jocelyne Bellemare, grâce humaine et surnaturelle
Nous sommes tentés de prêter à ces présences une personnalité. Leur froideur apparente s'ordonnance avec une approche sensuelle du visage, des yeux et des lèvres en particulier, qui dévoilent les indices d’un caractère. Les crânes rasés confèrent une force animale et presque robotique, à la fois tribale et cybernétique. Ces individualités singulières à l’essence humaine et surnaturelle ont une force émotionnelle qui confronte le familier et l’inconnu, avec grâce et incarnation. Si le réalisme anatomique s’appuie sur des proportions équilibrées, l’artiste souhaite privilégier l’émotion à la restitution exacte de la figure et de son identité.
« Même si mes personnages représentent plutôt la femme, j'aime leur donner un côté androgyne, exprimant ainsi l'émotion à l’état pur. »
L’artiste élabore d’abord un fond abstrait texturé à l’aide de ses doigts, guidés par son intuition. Puis, devant une apparente volonté d’effacement, l’expression d’une figure transparaît et devient accessible. Elle naît souvent selon le processus de paréidolie, inspiré par des formes qui se dégagent. Le portrait est dès-lors esquissé à l’aide du graphite ou du pastel, toujours avec ses doigts, pour être ensuite peaufiné avec la technique du glacis à l’huile. Quelques fragments de cristaux, métal ou autres artéfacts urbains animent parfois la surface.
La question du temps se pose devant les travaux de Jocelyne Bellemare. Si l’artiste juxtapose les références, son intention picturale se veut anachronique. « Mon travail ne cherche pas à se situer mais plutôt à pointer vers l’espace et l'infini pour questionner les liens intimes qu’entretiennent la conscience et le temps. »
La peintre fait surgir la conscience d’un présent, des images spectrales qui sortent des souterrains d’un passé pour les projeter vers une suite à venir. Ces strates temporelles révèlent en substance des espaces parallèles qui s’assemblent et se juxtaposent. C’est une proposition entre l’immuable et l’éphémère. L’évocation du caractère transitoire est renforcée par un travail de construction et de déconstruction de la figure comme du fond. Le fond travaillé de façon diffuse laisse apparaître une gestuelle récurrente qui évoque le cycle, l’union ; celle du terrestre et du divin. C’est le cycle de la vie, du commencement à l’achèvement, de l’accomplissement au prélude.
« Ma démarche se veut un tremplin vers l’insondable et mon processus d’imbrication entre le figuratif-abstrait s’inscrit dans cette recherche cyclique de l’inconnu. »
Déposées dans l’espace-temps de leur apparition, les figures de Jocelyne Bellemare deviennent énigmatiques et nous laissent libres de circuler d’une réalité à une autre, d’une temporalité à une autre pour tenter de les comprendre. Sous cette évidente présence-absence, un continuum de sensations transparaît pour le plus grand plaisir de nos pupilles.