Journée mondiale pour le climat : pousser la cohérence
C’est la journée mondiale pour le climat. Encore une de ces « journées » décrétées par on ne sait qui, plus utiles aux tendances Twitter qu’autre chose. Je voulais néanmoins en profiter pour vous livrer quelques éléments de mon expérience personnelle. Je les espère utiles pour quiconque éprouve une angoisse latente sur ce sujet.
Cela doit faire 8 ans que je dédie une bonne partie de mes journées à l’étude du changement climatique, de ses conséquences, de comment l’atténuer et de comment s’y adapter.
J’ai commencé en autodidacte, en ingurgitant frénétiquement conférences, lectures, modèles climatiques et documentation diverse. Quelques années plus tard, j’en ai fait mon métier. Pour l’Armée, pour des entreprises, des médias… je fais de la « prospective climatique ».
Honnêtement, travailler sur le climat n’est pas toujours facile. À chaque lecture de rapport, c’est le même pincement au creux de l’estomac. Je ne suis pas sûr qu’on s’y habitue, au contraire même. Puisque la lucidité vient avec l’expérience, chaque mauvaise nouvelle fait plutôt l’effet d’un coup supplémentaire sur des bleus existants. C’est d’autant plus vrai que le reste existe aussi. Entre la crise économique, la disparition progressive de nos libertés publiques… l’urgence climatique n’est plus qu’une urgence parmi d’autres.
Dans l’Histoire, les sociétés qui ont périclité pour des raisons environnementales ont un point commun : les élites gouvernantes y ont toujours été particulièrement déconnectées. Incapables de prendre les bonnes décisions à temps, car incapables d’anticiper : les inégalités extrêmes font vivre ces élites dans une bulle, éloignées des plus vulnérables. Or ce sont toujours les plus vulnérables qui subissent en premier les chocs, environnementaux a fortiori.
Pour l’Armée, ma principale mission consistait à comprendre comment le climat influe sur des problématiques sécuritaires. Je retiens surtout que si le changement climatique aggrave des tensions, ces dernières sont toujours initiées, directement et indirectement, par le politique. La bonne gouvernance est de loin la variable la plus importante sur la vulnérabilité des pays que nous étudions.
J’en tire deux conclusions personnelles : l’espoir de limiter la casse passe par la politique. C’est une bonne nouvelle quelque part, car la politique dépend de nous. L’engagement est donc non seulement logique, mais urgent. Cette urgence – deuxième conclusion – impose concrètement l’efficacité électorale.
L’efficacité électorale, c’est faire triompher un projet de rupture radicale avec le monde du carbone, substrat physique du monde des inégalités, donc du monde de la souffrance sociale et de la tentation autoritaire (même s’il est possible d’alimenter une dictature avec des panneaux solaires). Il y a là un paradoxe : il faut tout changer pour que la réalité physique sur laquelle nous faisons civilisation ne change pas trop. Un changement radical peut donc être conservateur, quelque part. Ce changement est la condition de notre sécurité la plus élémentaire. Je ne m’épanouirai pas, a fortiori dans l’amour des miens, dans un monde insécurisé par le changement climatique.
Mon parcours d’engagement politique m’a amené à côtoyer des gens formidables. J’observe que les déclics qui les ont poussés à l’engagement sont très différents. Le climat offre pour moi une opportunité unique : on peut toucher n’importe quelle corde sensible, des plus « altruistes » aux plus « individualistes », des plus « progressistes » aux plus « conservateurs », pourvu qu’on présente bien les choses. Voilà qui est stimulant.
C’est notamment cette démonstration que j’ai voulu porter dans mon livre « Géomimétisme, réguler le changement climatique grâce à la nature ». J’essaye d’y démontrer que sur le plan de la résilience économique, de l’emploi, de la bonne santé… des solutions basées sur la nature pour capter massivement du CO2 - et mises en œuvre par une puissance publique volontaire - ne présentent que des intérêts, quelques soient les intérêts (ou presque).
Je n’ai cependant jamais pensé qu’un livre se suffisait à lui-même. Il faut pousser la cohérence. 2022 approche à grands pas et n’augure pas – en l’état – de perspective de victoire pour un programme de reconstruction écologique. Je sais que c’est un énième motif de tracas pour beaucoup. Face à cette multitude de problèmes, difficile de ne pas fuir dans le déni et d’affronter la réalité frontalement. Mais la réalité - et c’est le mot de la fin - porte aussi un formidable motif d’espérance (et c’est ce qui m’empêche de craquer) : pour la première fois dans l’histoire moderne de notre pays, une masse critique de jeunes gens (et moins jeunes) engagés et compétents, issus de réseaux très différents, partagent cette même exigence de victoire, cette même responsabilité morale. Plus que cela, ils sont en réseau, et sont mêmes amis. Le jour viendra où cette réalité, fruit d’un travail de réseau opiniâtre, imposera d’elle-même sa voie.
C’est à eux que je dédicace ce texte. Pour combattre la dureté des faits, il n’y a que la sérénité que confère le sentiment de ne pas être seul. La journée du climat, c’est la journée de ceux qui se battent pour le climat, ensemble.Jou