Julia De Funès "Développement (im)personnel"​ - Début ou fin du métier de coach ?

Julia De Funès "Développement (im)personnel" - Début ou fin du métier de coach ?

Lettre ouverte

Julia,

avant tout je dois vous remercier.

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Il y a enfin une discussion digne de ce nom autour de notre métier, il y a enfin polémique. Car vous nous en avez jugé digne. Il y a alors suffisamment de coaches en entreprise pour qu’on les remarque, il y a suffisamment de budget investi pour qu’on se demande s’il y a ROI.

Je sais ça vous fait hérisser les poils dans la nuque. Soyez assurée que je ne veux pas vous offenser avec des citations sorties de nul part. Mais celle-ci s’impose :

« Toute vérité franchit trois étapes. D’abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant été une évidence. » Arthur Schopenhauer

Avec les publications des derniers mois*, il me semble que le coaching a été adoubé au deuxième niveau de cette échelle.

Même si je comprends mes collègues coaches qui se mettent en rogne face à la critique, je trouve dans l’ensemble, c’est une très bonne chose. Le discours va changer ! On n’essayera plus un coaching « pour voir ». On aura des attentes. Et dans cette dynamique, le métier et les coaches vont changer.

Il faut le reconnaître, certaines de vos réclamations sont justifiées. Il y en a même encore d’autres. Sur trois, j’aimerais repondre :

  • Il y a beaucoup trop des formations au coaching qui n’en méritent pas le nom. (Même si la durée et la certification ne sont pas un critère d’évaluation viable à mon sens. )
  • Trop souvent les objectifs d’un coaching restent dans le flou et ne peuvent pas être validé à la fin.
  • Il y a une bulle économique autour de la profession qui va probablement éclater à un moment.

Je vais y revenir en détail, mais avant, j’aimerais poser une autre question. Pourquoi, malgré toutes ces difficultés, le coaching a pu s’installer en entreprise comme une prestation prestigieuse ? Pourquoi le coaching a pu attirer des personnes de tout niveau social et s’établir à coté des professions réputées comme la formation et la psychanalyse ? À quel besoin répond cette prestation ?

Michel Foucault avait commencé à répondre à cette question dans « La volonté de savoir » : « Nous sommes après tout, la seule civilisation où des préposés reçoivent rétribution pour écouter chacun faire confidence de son sexe. »

Aujourd’hui on ne se contente plus du sexe, on a envie d’étaler tout. L’Homme se découvre un intérieur dont il ignore la majeure partie. Il en comprend l’importance, car cette intériorité semble le diriger.

Mais d’où vient cette sensibilité ? Comme pour le sexe, cet intérêt se développe dans la mise en place des pratiques de répression et de contrôle. L’authenticité dont vous êtes experte, Julia, se construit toujours face à quelque chose, un contexte jusqu’à là souvent répressif.

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Notre civilisation a poussé la maîtrise de soi bien au de là des pulsations sexuelles. Certainement, trouve-t-on des successeurs de Michel pour en tracer l’histoire.

Ce qui nous intéresse ici, ce sont les besoins qui en émergent. Plus rien nous concernant nous est naturel, tout semble sujet de perfection et d’optimisation. C’est ici le berceau du coaching.

Bon nombre de ses acteurs s’inscrivent dans cette dynamique et bien qu’on peut douter de leur efficacité, ils poussent cette pratique à son apogée. Et je vous remercie pour la description claire de tous les effets que cette pratique produit. En même temps, nous avons perdu notre insouciance, je le crains fort, à jamais. On va donc devoir retrousser nos manches et en faire quelque chose. Et pour cela des regards comme le vôtre sont utile :

Avant toute chose l’im-personnalisation d’une démarche en apparence complètement personnel. Je ne reviendrais pas sur l’ensemble de vos arguments - pour les connaître, lisez le livre !

Mais celle-là, je veux bien m’y attarder un peu, si vous permettez. Car l’im-personnalisation se prête à une analyse supplémentaire, moins visible de l’extérieur, mais déterminant pour votre constat.

Le coaching doit se plier, comme toute activité, aux règles du marché. Promouvoir sa prestation, trouver des clients, fixer le prix en fonction de la demande.

Moi personnellement, je reçois par semaine environ deux mails ou invitations sur des réseaux sociaux des personnes me promettant un marketing pour coaches. La plupart d’entre eux ne me font même pas une proposition détaillée. Ils semblent qu’ils trouvent leurs clients coaches par la simple annonce de leur profession. Les quelques-uns que j’ai rencontrés m’ont tous fait le même discours : pour trouver des clients, faut faire peur au prospect, faut lui promettre quelque chose de concret, faut lui montrer les étapes de la démarche.

Vous remarquez quelque chose ? C’est le format de tous ces livres du développement personnel dont vous parlez dans votre ouvrage. Le coaching n’échappe pas au modèle omniprésent d’un marketing qui met nos besoins et envies les plus nobles sous la tutelle de nos pulsions les plus bas - la peur et le besoin de sécurité et de contrôle qui en résulte. Quelle quadrature du cercle d’attirer des gens avec leurs instincts les plus bas pour ensuite leur vendre de les élever.

Beaucoup de coaches ont compris cette farce et se refusent à ce genre de publicité. Actuellement, il n’y a pas des vraies alternatives à ce mécanisme de « pêcher » les clients si ce n’est le lien personnel, la connexion humaine. Mais cela ne fait pas vivre et ce n’est pas une base pour une entreprise. C’est une des raisons pourquoi la majeure partie des coaches souhaitant se mettre à leur compte, échouent.

Si on prend un peu plus de hauteur, on constate l’ironie de la situation. Le marché se produit exactement les coaches qu’il sait intégrer et qui confirment son mode de fonctionnement. Ainsi, il s’empêche de changer.

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Sauf que ce mode de fonctionnement ne produit pas ce que nous cherchons tous de manière désespérément : le bonheur, l’épanouissement, l’authenticité, de la cohérence, de la connexion, l’auto-accomplissement.

Les coaches eux-mêmes sont les premiers à les réclamer. Il est vrai, comme vous le dites, que nous sommes souvent issue du monde de l’entreprise et qu’on y a constaté un manque, une incompatibilité. Appelez cela si vous voulez un échec. Pour ma part, j’étais directrice de projet et j’ai fait récupérer des millions d’Euros en résultat à l’entreprise. Ce qui n’a pas empêché que je me suis retrouvé peu après isolée dans mon bureau - mis au placard. Je n’ai rien compris, mes chefs non plus d’ailleurs. Je n’avais simplement plus ma place. Il m’a fallu du temps pour comprendre que je devrais malgré tout retourner en entreprise - car c’est quand même le lieu où on crée aujourd’hui de la valeur, qu’on produit, qu’on fait progresser les gens.

J’y retourne parce que j’ai identifié ces états internes, le bonheur et tout le reste, comme un véritable levier de performance et de progrès. Et je souhaite soutenir des dirigeants, managers et collaborateurs dans une telle démarche.

Et avec cela, on a identifié le deuxième groupe de coaches, habités par une mission, le cœur sur la main, empli de bienveillance, envie de donner. Ce sont eux qui sont avant tout blessé par votre critique, car en aucun cas, ils ont l’intention de nuire, de bâcler une intervention, de profiter des autres. (Car le premier groupe des coaches à succès, bien commercialisé, se fiche pas mal de vos propos, ils continuent à gagner de l’argent, vous ne réussissez pas à abîmer leur notoriété.)

Mais c’est vrai, au sein de ce deuxième groupe, il y a des personnes mal formés. Et parfois, ils ne font pas le lien avec les besoins de l’entreprise et ratent le contrat. Ils peuvent se trouver dans toute sorte de situation paradoxe empêchant le succès de leur mission. Mais ils ont le mérite d’avoir compris que le style de progrès que nos entreprises ne cesse de poursuivre, mènent dans une impasse.

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Malheureusement, ce sont aussi ces coaches-là qui sont à l’origine de la bulle qui se forme autour de la profession des coaches. On a déjà parlé des marqueteurs qui tente de vendre leur prestation. Il y a aussi des écoles de coaching et des séminaires pour parfaire sa pratique. Ils sont parfois animés par des coaches qui eux même n’ont pas réussi à se construire une clientèle et qui se rabattent sur le besoin des coaches de se former et se parfaire. Il y a donc des coaches qui forment des coaches dans tout genre d’activité et de pratique sans pour autant eux-mêmes pratiquer. Mais cela ne suffit pas, tout le monde veut profiter de la soif du savoir des coaches : les psychologues et thérapeutes, les sociologues, les neuro-scientifiques, les universités. Pour eux, il est urgent de nous former pour accomplir notre mission. Voient-ils en nous un véritable levier du changement ? Où sont ils hypocrites ? En tout cas, actuellement, on fait plus de business avec les coaches qu’eux, ils en font. Ce que j’appelle la bulle. Il est urgent que le métier trouve une activité équilibrée et avant tout tournée vers nos clients.

Notre métier est le premier à travailler sur le potentiel à priori de l’humanité, pas sur ses erreurs et fautes, ni sur ses maladies et handicaps.

Face à cette ambition, se dressent des défis : Comment éviter qu’on exploite ce potentiel ? Comment inventer de nouveau modes de communication pour promouvoir notre activité ? Comment valoriser et protéger notre savoir et savoir faire ? Tous ça, c'est des questions importantes et urgentes que nous - les coaches - devons nous poser.

Merci de nous avoir dressé le miroir dans lequel se reflètent aussi les observations de nos clients et partenaires. Car s’il y a une chose qu’un coach sait faire, c’est de faire des contraintes exprimés une opportunité. Nous avions eu besoin de ce regard critique.

Peut-être, aura-t-on l’occasion d’en parler un jour de vive voix ? Peut-être vous serez tentées de réaliser votre propre coaching ? Ce sera un vrai plaisir de vous accompagner et de vous laisser découvrir ce qu’un coaching peut faire pour une philosophe.


Amicalement la vôtre,

Anne Koch


* voir aussi « Happycratie » d’Edgar Cabanas et Eva Illouz et « Réussir sa vie » d’Yves Cusset




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