Jupiter mis K.-O par un gilet fluo
La séquence sociale de la fin de l’année dernière, à défaut d’avoir lancé notre pays dans une dynamique positive ou vers des avancées sociales dont la portée serait historique, nous aura au moins rappelé une évidence que tout bon dirigeant ne devrait jamais négliger : le changement est essentiellement une affaire de symboles. Et que savoir les comprendre et les maîtriser est une compétence fondamentale dans l’art délicat de l’exercice du pouvoir.
Le président jupitérien face à l’automobiliste en détresse : voilà donc l’improbable combat symbolique dans lequel le 9ème président de la Ve république a perdu une bonne partie de sa crédibilité sur le ring géant de la France du 20 heures, alors qu’il n’en était pourtant qu’au premier round des réformes annoncées dans sa campagne électorale. Si beaucoup d’observateurs ont commenté les dimensions économiques, sociales, culturelles et financières du conflit, peu se sont attachés à comprendre ce qui est pourtant au cœur même du mouvement : mais pourquoi et comment des gilets de sécurité fluo en acrylique qu’une horde a choisis comme emblèmes peuvent-ils faire vaciller la volonté de réforme du dieu des dieux et protecteur de la cité, l’intouchable Jupiter ?
La puissance symbolique du gilet jaune est une bonne piqûre de rappel pour les patrons qui useraient et abuseraient des slides et autres démonstrations rationnelles du bien fondé de leurs projets ou ambitions : un bon symbole mobilisera toujours plus et mieux que tous les discours et toutes les lois réunis. Par sa portée émotionnelle, le gilet jaune rassemble tous les attributs et caractéristiques d’un symbole universel : il est peu cher, se trouve traditionnellement enfermé dans la boite à gant ou sous le siège de toutes les voitures (qui sont les biens de consommation les plus représentatifs des écarts de niveaux de vie dans nos sociétés modernes), a été imposé par des réglementations européennes simultanément à la crise financière des subprimes, doit être utilisé pour être vu en cas d’accident ou lorsque l’on se trouve en grave danger, ou dit autrement, lorsque l’on risque d’être écrasé. Avant de devenir un signe actif de protestation, le gilet jaune était déjà le symbole passif de la vulnérabilité et de l’isolement, de l’enfermement et de la peur, face à la technologie, la vitesse, les lois et les décrets.
Ce qui donne au gilet jaune sa nature symbolique, ce sont les paradoxes qu’il recouvre : il cache et dépersonnalise autant qu’il rend visible, gomme les différences de ceux qui le portent autant qu’il fait apparaître celles des « ennemis » qui ne le portent pas, et fait rentrer dans des catégories paresseuses des réalités trop complexes : riches contre pauvres, puissants contre dominés, capitale contre province, mondialisation contre terroir. A lui seul, il fait le storytelling du déclassement et de la frustration, il rassemble dans ses fils fluo l’énergie désespérée de toutes les colères contemporaines face aux changements trop rapides et souvent inaccessibles de nos sociétés.
Peut-on résister à la puissance évocatrice du symbole ? Les mesures politiques (notamment celles qu’on appelle à tort « symboliques » pour expliquer qu’elles n’ont en fait pas de sens ou d’impact) ne peuvent à elles seules contrecarrer sa force de rassemblement. Au 19e siècle, Victor Hugo prétendait que « le plus excellent symbole du peuple, c'est le pavé. On marche dessus jusqu'à ce qu'il vous tombe sur la tête ». Au 21e, c’est le plus basique des innombrables objets de consommation qu’on nous impose qui est devenu le symbole d’un peuple perdu, qui a renoncé à comprendre le tourbillon de changements qu’on le force à observer contre son gré et dont les fruits, que ce soit en matière de bien-être, de technologie, d’éducation, de santé, lui échappent en grande partie.
PhD - DG MERCY SHIPS France - Consule AH NORVÈGE en AURA
5 ansC’est le Rhum de Guadeloupe qui t’a inspiré de la sorte ? Génial !! Bravo
Retraité, surbooké, heureux de l'être
5 ansBelle analyse
Expert en déploiement et management chez Urbanicus
5 ansTrès bel article et belle analyse du symbole. Bravo!
Président
5 ansJe crois que ça gratte quand tu mets rien dessous !
Directeur de projet
5 ansMarcel, 4 ans : "Papa les gilets jaunes ils enlèvent leur gilet pour dormir ?" Papa : heu, je sais pas bien... J'imagine qu'ils l’enlèvent le soir en rentrant à la maison... Erwan, une idée pour répondre à Marcel ?