Jusqu'à quel point veut-on réellement être plus performants ?
Vouloir une chose c'est bien, agir pour que ce qu'on veut se produise c'est un autre chose...Dans ma culture d'origine, les mots savoir ("ilm") et travail ("amal") ont la même origine, comme pour insister sur le principe que tout savoir n'a de valeur véritable que s'il a une utilité par sa mise en application...D'ailleurs, une science inutile est mal vue de là où je viens...
À notre époque, toutes les organisations disent vouloir être plus performantes. C'est bien, mais est ce que ces mêmes organisations agissent pour se donner des chances véritables d'être plus performantes ? pas si sûr...
En effet, que ce soit au niveau d'un individu que d'une organisation professionnelle, on peut résumer la quête de la performance en un nécessaire effort pour : 1) prendre conscience de ce qui nous empêche présentement d'être plus performants 2) agir et prendre les moyens pour dépasser ces obstacles
Or, et ceci est vrai encore une fois tant pour un individu que pour toute une organisation d'individus, souvent on n'a même pas encore conscience de ce qui nous empêche d'être plus performants ! Combien de personnes connaissez vous qui souffrent de certains problèmes sans même pas être conscientes qu'elles ont un problème ! la prise de conscience qu'il y a un problème est le point de départ inévitable de toute réelle démarche d'amélioration. Ainsi la fameuse citation de Socrate "tout ce que je sais c'est que je ne sais pas" signifie que le chemin vers plus de connaissance commence avec la reconnaissance qu'on ne sait pas..."Alif Lam Mim"...
En contexte de grandes organisations professionnelles, il arrive aussi que les principaux obstacles à la performance ne soient même pas clairement identifiés, encore moins nommés en tant que tels ! Non pas méconnaissance de ces enjeux, mais par mauvaise connaissance de ces enjeux, je m'explique ! il y a des enjeux qu'on entend tellement dire qu'ils sont trop gros pour être adressés, qu'on finit par croire qu'on ne peut pas les adresser et par penser qu'il ne faut pas les adresser, les excluant ainsi de notre grille de lecture et nous privant de nous donner toute réelle chance de les adresser un jour et donc d'avancer réellement...j'ai remarqué au Québec par exemple, qu'on va reconnaître ce type d'enjeux lorsque les gens vont vous dire que "c'est politique" ! Comme s'ils vous disaient il ne faut pas aller là dedans ! Mais expliquez moi comment voudriez vous soigner une personne malade si elle vous disait de ne pas investiguer là où justement comme professionnel de la santé mettons vous estimez que peut se trouver la raison de sa maladie ?
Avec ma relative expérience professionnelle, je ne prétends pas avoir la réponse à ce qui bloque l'accès véritable à la performance dans telle ou telle organisation, mais j'ai au moins quelques pistes pour quelques types d'organisations...Par exemple, dans le milieu universitaire au Québec. Si la performance passe surtout par la qualité des enseignants alors tout ce qui bloquerait l'accès à cette qualité d'enseignement bloquerait aussi l'accès à la performance de nos universités. Or, ce que j'ai découvert (en voulant enseigner moi même) c'est que pour enseigner à l'université, on doit être soit un professeur titulaire, soit, et c'était mon cas, un professionnel qui vient enseigner à partir de sa perspective professionnelle. Or pour ces derniers (on les appelle "chargés de cours"), la façon dont on les recrute et qu'on leur attribue des matières à enseigner se fait à partir de l'ancienneté des personnes déjà chargées de cours. autrement dit, si vous avez déjà enseigné une matière, vous aurez quasi systématiquement la priorité pour continuer à l'enseigner, quand bien même il y ait quelqu'un qui pourrait l'enseigner mieux. Le processus de recrutement et d'attribution des cours est ainsi contre performant parce qu'il privilégie par ses règles l'ancienneté à la compétence, or la première ne garantit pas la seconde ! Mais, si on soulève la question, on va vous répondre probablement que "c'est politique", que ça a toujours été comme ça, que ça peut pas changer, etc...autrement dit, on vous demande d'exclure cette piste d'amélioration de votre champ d'investigation et donc de vous rabattre sur les autres leviers pour améliorer la performance sauf que, désolé, mais il y a une limite à ce qu'on peut obtenir comme amélioration si on s'interdit de s'attaquer aux réels enjeux...
Il y a d'autres types d'organisations où ce principe de donner préséance avant tout à l'ancienneté se retrouve sous une forme ou une autre. Ça peut être par exemple d'interdire l'accès à un poste de cadre supérieur à qui ne serait pas déjà cadre supérieur...ou encore, d'ouvrir des concours de recrutement uniquement à l'interne...je comprends qu'il y a des raisons à ce genre de pratiques car comme me disait mon père "si les choses sont ce qu'elles sont c'est qu'il y a de bonnes raisons !". Sauf que je rajouterais que ces raisons peuvent tout à fait être bonnes pour certaines parties prenantes qui effectivement y trouveraient leur compte, mais est ce qu'elles sont bonnes pour la performance de nos organisations ? et pour la qualité de l'enseignement qu'on va offrir à travers la performance de nos universités par exemple ?
C'est là où on comprend que comme l'enseigne les disciplines de la gestion de projet, dans toute démarche de changement (projet), il y a plusieurs parties prenantes qui ont plusieurs intérêts et qui ne vont pas nécessairement dans le même sens, pas nécessairement dans le sens d'offrir une meilleure performance comme organisation...Lorsqu'il s'agit d'une organisation de service public ou qui offre un service d'intérêt général comme l'éducation, la santé ou la justice, de s'assurer comme autorité législative et exécutive (gouvernement) de mettre des mécanismes empêchant une partie prenante qui voudrait faire valoir ses intérêts propres de pouvoir le faire. Sinon, il est malheureusement difficile à notre époque de s'en remettre au seul bon vouloir des individus et des parties prenantes elles mêmes. Sinon, c'est qu'on tolère que ce soit celui qui crie le plus fort ou celui qui a le plus de pouvoir qui dicte les règles du jeu même si on doit tous d'une façon ou d'une autre en payer le prix...
Donc, jusqu'à quel point veut on réellement être plus performants, je nous pose à nous tous la question !
Anass TLEMCANI, Ottawa, 21 juillet 2017