Juste de quoi s'armer intellectuellement
Alors que j'entame la marche hier, je piétine accidentellement un exemplaire du journal Fakir. Je le ramasse et le lis. A l'intérieur, on y trouve une citation des Misérables de Victor Hugo (qui lui-même a d'ailleurs vécu une dissolution lors de son mandat de sénateur) : "Tenter, braver, persister, persévérer, s'être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu'elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voilà l'exemple dont les peuples ont besoin et la lumière qui les électrise."
Mais comment y parvenir avec une cervelle depuis si longtemps rincée par les rebondissements médiatiques, vidée par l'angoisse climatique et polluée par tant de propos politiques parasites ? Il faut emprunter un de ses bons mots au principal responsable et s'en servir, à notre compte, contre lui et contre ceux qu'il veut inviter dans nos vies pour un séjour à durée indéterminée : le réarmement - intellectuel, celui-ci.
Fort heureusement, malgré une concentration croissante des grands médias et, du reste, la "bollorisation" des idées qu'ils véhiculent, il subsiste encore en France une belle diversité de vaisseaux contestataires trop souvent raillés ou invisibilisés. Ceux dans lesquels il nous faut pourtant embarquer pour s'armer des arguments sociologiques, historiques et politiques pour combattre la "déferlante" que les autres nous vendent. Aussi, sans prétention, j'ai eu à cœur d'y voguer modestement ces derniers temps pour ne pas regretter de me retrouver désarmer le funeste moment venu. Si tant est qu'il vienne !
L'histoire comme armure
L'histoire d'abord, rappelée directement à nous par le choix des mots "Front populaire". Simple marketing d'appareillage pour certains, mot d'ordre inévitable pour d'autres, force est de constater à l'écoute de divers historiens que le moment qui l'a suscité à tout d'une consternante bis repetita.
Chez Libé (mais aussi sur la chaîne YouTube Au Poste), Johann Chapoutot est revenu sur les difficultés qu'a rencontré le premier "Front" pour s'unir et, une fois victorieux, pour se maintenir à flot face à l'alliance muette entre libéraux et conservateurs.
L'anthropologue Jean-François Bayart, pour Alter Eco, pousse même la comparaison jusqu'à l'Allemagne des années 1930, au sein de laquelle des dominants calculateurs se sont laissés séduire par Hitler, pensant le maîtriser et ainsi se débarrasser de leurs opposants, avant de le sous-estimer - lui aussi - du haut de leur piédestal.
Et, quoique moins récent, je ne conseillerais jamais assez de prendre le temps - même dans l'urgence dans laquelle on nous a mis - d'écouter les portraits de l'éminent Philippe Collin sur France Inter (avant qu'il ne pâtisse à son tour du détricotage de la Maison). Et en particulier celui sur Léon Blum bien sûr, mais aussi sur Pétain, pour se rendre compte dans le détail de ce à quoi une France d'extrême-droite peut ressembler.
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Le présent comme épée
La société, ensuite, car regarder en arrière finit souvent par éviter d'aborder le péril du temps présent.
Fait rare, un reportage dépasse le million de vues sur la chaîne YouTube d'Arte. Il s'agit d'un portrait, juste et sans jugement ni fioriture mais non moins inquiétant, de quatre jeunes Français abonnés à la propreté superficielle et aux paroles démagogiques de Jordan Bardella et du RN. Car pour affronter les idées des autres (en tout cas, de ceux qui ne sont pas - encore - là pour nuire) et, qui sait, les leur faire abandonner, il faut d'abord les écouter et les regarder en face. De surcroît, dans un monde médiatique où les citoyens d'une même nation semblent connecter à des réalités différentes.
Mais, évidemment, en contre-champ, il faut aussi voir ce qui, dans le rétroviseur, nous a amené jusqu'ici. A savoir, celui qui nous y a conduit (ou, du moins, qui a préféré accélérer le train en marche plutôt que de le freiner). Dans la poursuite de leur série de reportages sur Emmanuel Macron, la chaîne YouTube OFF Investigation est revenu sur le véritable visage - conservateur, autoritaire voire royaliste - de celui qui briguait la fin des clivages. A laquelle doit s'ajouter l'édito puissant de Denis Robert de Blast sur la "darmanisation" de la politique dominante et de la société qu'elle a engendrée.
Et un bouclier pour faire barrage
Enfin, il faut bien sûr s'équiper politiquement pour se prémunir des volées furieuses. Et pour cela, il y a encore des poids-lourds comme Mediapart sur lesquels on peut compter, à commencer par leur dossier (en accès libre !) sur les mots, les votes et les idées du RN mais aussi sur la discussion fédératrice entre différents acteurs prônant la justice démocratique et sociale (politiciens, associations, militants, etc) qu'il a accueilli.
Néanmoins, sans s'y vouer corps et âme (et comme l'appellent de leurs vœux eux-mêmes les membres de ce nouveau Front populaire), il faut garder le regard et notre intellect désormais affutés pour continuer, même après l'éventuelle victoire, d'en demander toujours plus et toujours mieux. Pour que l'Ombre ne regagne jamais notre Comté à nous - si vous me permettez cette référence. Ou bien, si elle s'y retrouve de nouveau, qu'elle ne soit plus jamais la bienvenue.
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Source Photo : Frédéric Joignot