kaw-kaw(villageois) : potentiel boy town
« Je t’écris cette missive pour te faire part de mes nouvelles et te demander l’état de ta santé et celui de la famille. Quant à moi, Dieu merci… » Ainsi se dessinait l’entête des lettres adressées à la famille restée au village et dont nos habituelles plumes abécédaires en assuraient la fréquence et la teneur. Ce style figé, entretenu par de jeunes élèves citadins à peine instruits, donnait forme aux dépêches d’hommes et de femmes venus du royaume d’enfance de nos parents.
Débarquant dans l’espace branché des cités, le campagnard encore naïf et débonnaire s’établissait, faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Son ardente volonté de réussite et de soutien familial le précipitait dans les tensions urbaines, agitations et superficialités des villes, creusets d’aliénation.
Quant à nous, deuxième génération d’exodés ruraux, nous formions le bataillon de transmission des confidences et promesses des lendemains meilleurs des nouveaux venus. Confidents et intermédiaires, nous étions ainsi mis au courant de tout jusqu’aux veaux prometteurs, aux vaches laitières et au guérisseur ensorceleur. Il s’agit là de banalités parfois dévalorisantes aux yeux des émancipés de Soumbédioune, fief des stars de théâtre, chroniqueurs à leurs temps perdus.
Il arrive que Mademba, le bledard, soit confronté, à la nécessité d’affirmation et de séduction. Aspirant citadin, il amuse parfois la galerie des foyers hébergeurs et des espaces branchés des villes. Il s’ensuit très vite que le sentiment de s’être renié l’accable et le martyrise. Le confort de l’anonymat des zones urbaines le retient néanmoins dans la précarité loin du Sénégal des profondeurs, encore dans le moule des convenances et des traditions chastes. De toute façon, le retour au village, sans fortune et sans qualification, n’est même plus envisageable.
Non encore rodé aux habitudes malicieuses en ville, son manque d’assurance et sa légèreté le distinguent et le poursuivent dans ce décor hostile. Interprétés à tort comme de l’ineptie, ses écarts de conduite trahissent ses efforts répétés d’intégration à l’ordre des espèces urbaines. Le plus souvent, il parvient stoïquement à combiner besoin d’adaptation et devoir de conservation. Dans certains rares cas, il bascule dans le spiral infernal des découvertes et des satisfactions de désirs et d’appétits nouveaux.
La ville-araignée séduit, attire et ligote dans le piège du toujours possible, toujours plus loin. Conditionné par les besoins de survie, l’exodé rural, motivé en grande partie par un dénuement odieux des campagnes, est exposé en permanence à d’innombrables tentations, artifices des villes, appels au reniement de soi. Désillusionné, il est susceptible de s’abandonner au tumulte sauvage des capitales carnassières.
C’est à croire que goujat, avec méthodes, manières et manies des cavernes, ce n’est pas homme de brousse, c’est homme de ville.
Birame Waltako Ndiaye