L'âme de la création
« Je photographie et orthographie des objets. Je fais ça par nécessité économique et anthropologique. Orthographier, photographier, cartographier. C’est en faisant qu’on apprend avoir à faire quelque chose. Je recrée des objets abandonnés. Je recrée des lieux, des mains, des regards, des pensées, des angles de vue, des regrets et rejets, des attirances et des attentes. Je recrée des désirs et des délires. Les gens ne savent pas ce que font les objets dans leur vie. On sent qu’on est attiré parfois dans des directions parfois devenues imprenables et peut-être même impensables. Beaucoup ne parviennent pas à penser à ce qu’ils font et défont. Je photographie pour garder la mémoire des choses. Je trouve ces choses en cheminant et reculant. On pourrait dire que je dessine quelques choses. Tout élan évoque et révoque un dessein. Je n’avance pas particulièrement dans une direction donnée. Créer ça n’est pas concevoir une chose qui n’existerait pas encore. On donne à l’objet un regard, une tenue et une teneur, une ombre et une couleur, une existence et une préexistence. On se dote de quelque chose qui n’a ni lieu ni habitacle. Parler, c’est avancer dans le noir des mots. Créer, c’est errer dans la blancheur impénétrable d’une existence mise sous scellée. Je repars volontiers à l’assaut d’un projet déréalisé. Le jour où je ne repartirai plus, je serai mort. Beaucoup sont morts de n’être jamais repartis. Partir est une chose, repartir en est une autre. On repart toujours d’un point abandonné. La dureté d’un parcours est là. On peut regretter cette dureté mais on est tenu de faire avec si on veut progresser dans la direction qui s’impose. L’âme de la création c’est avant tout voyager dans les tréfonds de l’existence. Personne n’est jamais allé là. Nous sommes les seuls à pouvoir y aller. De cette manière. De cette façon. Dans la rudesse des jours devenus des nuits. On va toujours trop loin. On recule et puis on recommence. On admet avoir pêché ou prêché dans la hâte et l’empressement. On revient au point précédent et ça repart. La couture c’est un peu ça. Coudre et recoudre quelque chose (une étoffe) qui échappe à la vigilance de la conscience. Se rendre compte que c’est ça qui est fait. » ©PN
L22.2 Patrick Nicolas 2022 L’âme de la création lettre revue collection français https://www.ebay.fr/itm/334598420639
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"I photograph and spell objects. I do this out of economic and anthropological necessity. Spelling, photographing, mapping. It is by doing that we learn to have to do something. I recreate abandoned objects. I recreate places, hands, looks, thoughts, angles of view, regrets and rejections, attractions and expectations. I recreate desires and delusions. People don't know what objects are doing in their lives. We feel that we are sometimes drawn in directions that have sometimes become impregnable and perhaps even unthinkable. Many fail to think about what they are doing and undoing. I photograph to keep the memory of things. I find these things as I walk and step back. You could say that I draw a few things. Every impetus evokes and revokes a purpose. I'm not going in any particular direction. Creating that is not designing something that does not yet exist. We give the object a look, an outfit and a content, a shadow and a color, an existence and a pre-existence. We equip ourselves with something that has neither a place nor a place to live. To speak is to advance in the darkness of words. To create is to wander in the impenetrable whiteness of a sealed existence. I gladly go back to attacking an unrealized project. The day I won't leave again, I'll be dead. Many died from never having left. Leaving is one thing, leaving is another. We always start from an abandoned point. The hardness of a course is there. We may regret this harshness but we have to deal with it if we want to progress in the direction that is needed. The soul of creation is above all to travel to the depths of existence. No one has ever been there. We are the only ones who can go there. In this way. In this way. In the harshness of days turned into nights. We always go too far. We go back and then we start again. One admits having fished or preached in haste and eagerness. We return to the previous point and it starts again. Sewing is a bit like that. Sewing and re-sewing something (a fabric) that escapes the vigilance of consciousness. Realize that this is what is done." ©PN
L22.2 Patrick Nicolas 2022 L’âme de la création lettre revue collection français https://www.ebay.fr/itm/334598420639