L’école de demain, une école inclusive ? Renverser la reproduction sociale et enrayer les inégalités scolaires.
“L’école échoue à renverser la reproduction sociale en France. Elle ne doit pas être en dehors de la société, mais l’école de toute la société. La méritocratie est une fiction dangereuse à déconstruire, car c 'est un mythe qui fait croire à ceux qui ratent que c'est par manque de mérite.” - Tony Bernard, Directeur Général de l’Impact Tank
Lorsque l’on sait qu’il faut six générations pour gravir l’échelle sociale et sortir de la pauvreté dans les quartiers populaires, que les enfants d’ouvrier représentent seulement 10% des étudiants à l’université et 7% dans les classes préparatoires, penser une école inclusive, juste et égalitaire, frôle presque l’utopie. L'actualité de septembre renforce ce triste constat : à l’image d’un malheureux rituel, la rentrée scolaire a été marquée par un manque d’enseignants - plus de 3.000 instituteurs et institutrices manquent à l’appel, sans oublier le fait que ce début d’année a eu lieu sous une ministre démissionnaire.
Comment repenser le système éducatif, impulser des politiques publiques concrètes et implémenter sur le long terme des solutions innovantes en matière d’éducation avec une telle instabilité et des failles profondes ?
Anne Genetet, nouvelle ministre de l'Education Nationale, doit donner le cap et faire de l’égalité des chances au cœur du système scolaire sa priorité. En effet, il en va de notre cohésion sociale et du sort des générations futures. La promesse républicaine doit être tenue et garantir un accès à l’éducation pour toutes et tous : l’Ecole doit être partout et pour tous, sans laisser aucun élève de côté, quel que soit son lieu de vie, son origine sociale ou ethnique. Pour autant, lorsqu’un enfant de Seine-Saint-Denis perd en moyenne un an de cours sur l’ensemble de sa scolarité en raison des absences d’enseignants non remplacées et que 25% des élèves les plus défavorisés ont quatre fois plus de chances de faire partie des plus mauvais élèves ; il est impensable d’affirmer que tout le monde est logé à la même enseigne. De surcroît, loin d’être assignées uniquement aux élèves, de nombreuses difficultés sont également vécues par les professeurs.
Bien heureusement, plusieurs initiatives existent et apportent un souffle nouveau dans le milieu scolaire, pour renforcer l’accompagnement des enseignants et pallier ces inégalités. Des actions souvent impulsées par une fédération d’acteurs - académiques, pouvoirs publics, entreprises et associations - qui, ensemble, façonnent et expérimentent des solutions innovantes pour reconsidérer le statu quo. Afin d’approfondir la question, nous avons eu la chance de recueillir les points de vue de deux experts en la matière : Tony Bernard, directeur général de l’Impact Tank, premier think tank européen dédié à la valorisation et la mise à l'échelle d'innovations sociales à impact positif et Jocelyn Rigault, Délégué Général de l’association Le Choix de l'école qui depuis 2015, accompagne et forme de jeunes diplômés et actifs souhaitant se reconvertir vers l’enseignement dans les quartiers prioritaires.
Des inégalités structurelles et enracinées, les freins du déterminisme social
Embrasser le métier d’enseignant, c’est faire face à une réalité : en France, 98% des enfants des milieux les plus favorisés ont le niveau requis en français, contre 76% des enfants de milieux modestes ou défavorisés. Ces disparités germent dès la petite enfance, se poursuivent et se creusent au collège puis au lycée puisque ces derniers représentent 33% des élèves de filières professionnelles contre 6% de ceux venant de milieux favorisés. Chaque année, ces études font état d’un malheureux constat : la France est un des pays de l’OCDE où l’origine sociale détermine le plus fortement les performances scolaires des élèves. Impossible de prendre cela pour acquis.
“C’est le résultat d’une école française très élitiste qui ne permet pas à tous les élèves de s’épanouir, mais qui sélectionne les meilleurs” analyse le Directeur Général de l’Impact Tank. Déterminisme social, autocensure, sentiment d’un plafond de verre, manque de confiance en soi sont d’autant de mécanismes qui freinent l’épanouissement d’une partie de notre jeunesse et sa projection dans l’avenir. C’est incontestable, il existe une réelle corrélation entre l'ambition scolaire et la CSP des parents aux dépens de tous ceux qui invoquent le concept de méritocratie, “une fiction dangereuse” pour reprendre les mots de Tony Bernard. En effet, cette croyance fait peser sur les individus la responsabilité de leur échec sans jamais remettre en question les inégalités inhérentes au système scolaire.
Ces inégalités se répercutent évidemment sur les professeurs et sur leurs conditions de travail. Si le manque d’attractivité du métier est une problématique nationale (en dix ans, le nombre de départs volontaires dans l'enseignement a été multiplié par quatre), les enseignants en réseau d’éducation prioritaires sont en première ligne. Jocelyn Rigault analyse trois obstacles fondamentaux rencontrés par les enseignants en REP et REP+ :
“En premier lieu les difficultés économiques des élèves handicapent le quotidien. Situations familiales compliquées, précarité, faibles revenus, conditions de logement, chômage : tous ces facteurs affectent à la fois la concentration et la motivation des jeunes, ainsi que leur accès à des ressources éducatives de qualité.”
Un autre enjeu pour les professeurs, celui de la diversité culturelle et parfois, la barrière de la langue. Comment donner cours en incluant tous les élèves quand certains d’entre eux, allophones, n’ont pas pour français leur langue maternelle ? Enfin, inutile de nier l’épuisement et le sentiment d’impuissance de l’enseignant, liés à la forte pression de devoir constamment s'adapter aux réalités des élèves, à travers une gestion de classe souvent hétérogène. Et pour preuve: “Le turnover en éducation prioritaire est beaucoup plus important que dans les autres territoires : environ un tiers des enseignants de ces zones ont moins de cinq années d'ancienneté”, pour reprendre les mots du Directeur du Choix de l'École.
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Pour contrebalancer, des témoignages réconfortent et nous rappellent à quel point le métier peut-être une vocation, source d’épanouissement et susceptible de changer la donne :
“Je crois en la capacité d’un enseignant à avoir un réel impact sur la vie de ses élèves. Bien évidemment l’école ne se substitue pas à la famille et ne peut gommer l’ensemble des inégalités mais elle peut toutefois participer à les réduire.” Ces mots sont ceux d’Antoine, professeur de lettres modernes accompagné par le Choix de l'École.
Ce n’est plus à prouver, les actions de l’association portent bel et bien ses fruits, puisque depuis le début du programme 89% des enseignants bénéficiaires se projettent durablement dans le métier à l'issue des 2 ans. Changer le regard sur la profession, former et accompagner : l'association répond aux grands enjeux qui pèsent sur le métier d’enseignant et la crise d’attractivité qui en résulte. Pour autant, les associations ne peuvent faire cavalier seul. C’est pourquoi Tony Bernard à la profonde conviction de “regrouper” les acteurs du changement. Il souligne la nécessité absolue de “créer du lien entre le monde professionnel, l'entreprise, l'école, le monde associatif”. Ainsi, les dynamiques collectives sont-elles le point de bascule pour enrayer les inégalités scolaires ?
Des recommandations et solutions innovantes au service de l’éducation : fédérer les acteurs
Si pour Jocelyn Rigault, L'École se doit d’être un “laboratoire d’innovation sociale”, nos deux experts recommandent de construire et développer des innovations pédagogiques à implémenter de manière pérenne afin de viser une école émancipatrice pour une société inclusive juste et durable. Pour ne donner qu’un exemple, le modèle français devrait continuer de se perfectionner sur l’évaluation des élèves en visant une évaluation plus juste et bienveillante basée sur le progrès individuel. Ces nouvelles pratiques ne peuvent voir le jour sans une alliance éducative entre l’école, les parents d’élèves, les collectivités territoriales et les associations. C’est incontestable : lorsqu’il s’agit d’éducation, chacun doit faire son devoir.
Les entreprises, elles aussi, doivent favoriser l’égalité des chances à l’école, avant même l’étape cruciale de l'insertion professionnelle, rappelle Tony Bernard. Inciter le mécénat de compétences et l’engagement des collaborateurs à travers le mentorat ou l’accompagnement personnalisé peut littéralement changer la donne. Élu Grande cause nationale 2023, le mentorat est une formidable aventure humaine et un combat de chaque instant pour lutter contre les déterminismes sociaux.
C’est aussi des rencontres et des moments de transmission qui décloisonnent les univers, renforcent la confiance en soi, enrichissent les perspectives d’avenir et favorisent la réussite pour les jeunes qui ont moins de chance que les autres. Ces programmes, expérimentés et portés par les associations de L’Ascenseur (Article 1, Télémaque, Collectif Mentorat, et L’Institut de l’Engagement notamment) permettent de briser les barrières sociales en créant du lien et du dialogue entre les jeunes et des professionnels, sources d’inspiration. L’entreprise a donc décidément un rôle à jouer pour inclure la culture du mentorat en son sein, sans oublier l’enjeu du recrutement tel que le rappelle le Directeur de l’Impact Tank :
“Les métiers techniques doivent être revalorisés à l’école, dans les discours et les cycles d’orientation en associant les entreprises.”
Conjointement au secteur privé, c’est bien l’Etat, maillon central de la chaîne éducative, qui se doit de représenter le chef de file dans la réduction des inégalités scolaires. Thibaut de Saint Pol, Directeur, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative au Ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative ne cesse de rappeler cette volonté : "nous avons la volonté de développer des politiques publiques sur ces enjeux de confiance en soi, c'est là qu'on a un vrai levier efficace, en particulier pour ces jeunes qui en ont le plus besoin d’apprentissage”. Inutile de rappeler que c'est en revalorisant le métier de professeur que nous redonnerons davantage confiance aux élèves.
De son côté, l’Impact Tank porte des recommandations concrètes sur le sujet. L’objectif est de mesurer l'impact des innovations éducatives pour les rendre plus efficaces et les adapter aux besoins des écoliers. Tony Bernard affirme qu’il faut pouvoir expliquer et accompagner les jeunes dans la compréhension des choix d’orientation, et les aider à se projeter pour s’imaginer dans un métier qu’ils désirent. Pour une école plus juste et égalitaire, la mise en place d’une mixité sociale réelle et effective est primordiale.
Une solution proposée : des secteurs multi collèges pour mêler les élèves issus d’établissements différents, la mise en place d’un tutorat par des pairs plus âgés (étudiants) et un système éducatif qui trouve sa continuité après l’école, afin de poursuivre le processus de socialisation. Autre proposition très concrète : encore mieux préparer et former nos enseignants qui, accompagnés par Le Choix de l'école, bénéficient de plus de 300 heures de formation dont notamment plus de 30 heures d'ateliers transversaux de mise en pratique des gestes fondamentaux et un soutien solide leur permettant de mieux comprendre et appréhender l'environnement dans lequel ils évoluent.
Les destins de l’école publique et de la République sont liés et le chemin de la réussite pour tous et toutes est encore long : ensemble, associations et collectifs, acteurs publics, privés, académiques, protégeons l'École et agissons communément pour que celle de demain soit (plus) inclusive !
Palmarès Giverny 2024 @LePoint | Young Leaders Engagés 2024 @Institut Aspen France | Déléguée générale du Collectif de @L'Ascenseur
3 moisMerci à Tony Bernard et Jocelyn Rigault pour vos regards éclairés sur les inégalités scolaires et surtout pour les solutions proposées/éprouvées vers une école plus juste, diverse et inclusive. Bravo Léa Barnier et Corentin Cozic pour cet excellent article !
DG @Le Choix de l’école 🧑🏫 = Déclencher et accompagner l'engagement dans l'enseignement pour construire collectivement l'école de demain : une école émancipatrice pour une société inclusive, juste et durable
3 moisLéa Barnier Mathilde Boulay Corentin Cozic L'Ascenseur merci de cette visibilité autour d’un sujet crucial et majeur 🙏
Directeur général, Impact Tank (GROUPE SOS)
3 moisMerci pour cet entretien L'Ascenseur Léa Barnier et Mathilde Boulay