L'écologie, l'environnement : questions culturelles ?
Certains militants écologistes l’affirment : « maintenant, on n’a plus le temps de penser, il faut agir, et vite ». Le « temps de penser » doit-il être sacrifié au nom de l’urgence ? L’implication d’une population dépend-elle uniquement d’une prise de conscience ? Si les raisons de s’inquiéter pour notre planète semblent bien réelles, comment transmettre à une population un élan au service d'un engagement collectif à la hauteur des enjeux environnementaux ?
Les questions environnementales génèrent de l’audience, mais avouons qu’il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans ces occurrences multiples : on associe le climat au nucléaire et on y dit tout et son contraire ; on en parle dans les sujets sur le pétrole, sur l’éducation, sur l’économie, la vie des entreprises avec les questions de RSE ; on peut s’informer sur la fonte des glaciers, les enjeux météorologiques, sur les océans, les questions de l’eau, des forêts, de la géographie. L’audience sur le climat est dispersée… et les traitements sont contradictoires et souvent très clivants, créant des dogmes et rendant impossible le dialogue entre positions souvent bien tranchées.
Ainsi, personne (ou presque) n’est indifférent aux questions du climat. D’ailleurs, nos enfants sont sensibilisés à l’école et nous font la leçon à la maison. En outre, les militants sont de plus en plus nombreux…, ils s’organisent, manifestent et sensibilisent le public avec des actions parfois très visibles et qui font grand bruit. Mais pour autant, on ne peut pas dire qu’ils parviennent à rallier à leur cause un nombre conséquent ou suffisant de personnes pour parvenir à éradiquer ce qu’ils considèrent comme des cycles mortifères pour la planète ou pour la vie.
La tâche des sciences humaines est de poser des questions…
Alors hors de question de s’arrêter de penser… Proposons plutôt quelques hypothèses de réponses afin de penser cette réalité et d’inviter aussi à la penser. Penser aux causes de l’absence de mobilisation face à certains messages qui se veulent alarmistes. Qu’est-ce qui peut bien donner du sens (comme on dit) à leurs démarches ? Comment se créent les clivages observés ? Qu’est-ce qui, dans les discours militants, rebute leurs concitoyens ? Qu’est-ce qui, dans nos modèles, résiste aux préoccupations pour le vivant ? Comment nourrir une culture commune ?
On peut envisager 3 angles de réflexion :
- Comprendre ce que certains nomment une « crise de la sensibilité » afin d’envisager comment donner du « sens » à des démarches militantes.
- Evoquer les dangers de certains types de discours, qu’on peut associer à ce qu’on appelle la « moraline » si on pense à certaines revendications antimodernes et injonctions alarmistes.
- Observer comment naît l’ « engagement » et comment on peut initier des pratiques collectives
Crise de la sensibilité
Nous avons commencé par évoquer des questions d’audience, ce qui suggère évidemment de prendre en compte une autre notion : l’ATTENTION… Qu’est-ce qui va provoquer l’attention de nos congénères pour les questions climatiques ? Est-ce que ces questions ne sont pas trop abstraites pour avoir une trace dans notre imaginaire ? On a beaucoup parlé du chant des oiseaux pendant le 1er confinement. On a souvent déploré nos manques de lumière, de soleil, de contacts avec la nature. Certains se sont réfugiés à la campagne, d’autres en ont rêvé. Tout se passe comme si on dissociait notre vie quotidienne d’une nature qui serait à la fois décor, ressource pour notre apaisement et notre bien-être et en même temps lieu bien abstrait à préserver. C’est cette dichotomie ou ce dualisme qu’essaient de dénoncer certains philosophes actuels parmi lesquels Vinciane Despret ou Baptiste Morizot qui préfèrent parler de vivant plutôt que de nature. Ils déplorent que l’on s’intéresse surtout à ce qui arrive à l’homme et sa possible extinction…. Ce qui serait important pour beaucoup d’entre nous, c’est ce qui concerne l’humain. Or, ces philosophes nous invitent plutôt à considérer le vivant dans sa globalité. En s’associant au vivant, on est dans une même dynamique, on est concerné par ce qui arrive au vivant. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire, cette communauté de vie ne repose pas sur des discours, ou sur tout type de présentation souvent certes passionnée, mais très intellectualisée qui n’a pas toujours l’effet, en tout cas à moyen ou long terme, sur les consciences.
C’est pour cette raison que B Morizot, dans son livre passionnant, Manières d’être vivant, nous invite à penser une crise de la sensibilité. « Par « crise de la sensibilité », j’entends un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre, et tisser comme relations à l’égard du vivant ». Il constate ainsi une réduction de la gamme d’affects et d’impressions sensibles nous reliant au vivant, que nous n’éprouvons pas, dans la mesure où notre attention est dirigée vers les produits manufacturés ou vers des œuvres culturelles officielles. Habitués à des expériences formatées proposées sur le marché des loisirs, nous sommes guidés vers ce qu’il faut sentir. A quel moment tentons -nous de déployer nos sens vers l’inattendu, le caché ?
Donner du sens au vivant, afin de répondre à cette crise de la sensibilité, cela signifie donc qu’il s’agit de tenter de comprendre le monde du vivant en y prêtant attention : il n’est pas muet, il grouille d’activités, de vie, de dialogue, d’interdépendances, il met en lumière nos ascendances communes et nos traits communs, nous qui aimons tant nous démarquer… (si l'on constate que l'animal marque son territoire, l'homme a tendance à vouloir se démarquer de ses proches...)
Nous cherchons à nous démarquer des animaux (puisque tout ce qui est animal, sauvage, doit être réprimé au profit d’un contrôle de nos émotions), puisque nous concevons souvent, avec certains outils du développement personnel, que notre salut dépend de notre indépendance, nos capacités à trouver en nous la force de répondre à tous les aléas de la vie, alors que la vie est le lieu des interdépendances, des relations entre tous les vivants….
ð Il s’agit donc de tenir compte d’une crise de la sensibilité pour nous considérer comme partie intégrante du vivant, avec qui nous sommes en interdépendance !
De la crise de la sensibilité à la culture du vivant ?
Si nous parlons de crise de la sensibilité et du sens, c’est aussi pour redonner à cette sensibilité une importance, et donc en faire un récit commun. C’est là qu’intervient la notion de culture. La culture désigne les références qui nous rassemblent… elles ont fait notre histoire, elles ont constitué aussi notre géographie telle que nous la connaissons (ou découvrons aujourd’hui). Il faudrait pouvoir poser des mots sur ce qui nous relie tous au vivant, c’est loin d’être simple, surtout si ces mots ne sont pas que des mots de spécialistes réservés à certains amateurs, si ces mots doivent résonner en chacun de nous. On parle donc de « traduire » le vivant : en effet, nous n’avons pas toujours les mots pour parvenir à décrire cette vie, à qui nous prêtons parfois des intentions purement calquées sur des suppositions à vocation anthropomorphiques. Les philosophes du vivant sont aujourd’hui sur le terrain pour pister les animaux, les observer vraiment et surtout poser des questions face à ces observations pour ne pas interpréter trop vite. La peinture, la poésie, la littérature, la musique, traduisent aussi à leur manière, par le jeu des couleurs, de la musicalité, des évocations, cette vie qui est une énigme pour qui veut bien la questionner… Les connaissances, les sciences, les arts : nous ne pouvons rien fonder sans tenir compte du passé. Citons Victor Hugo : "La France sera sauvée quand les vieux regarderont en avant et quand les jeunes regarderont en arrière. ".
Quand certains types de discours empoisonnent le débat
La culture du vivant n’étant pas simple à « réformer » puisqu’elle nécessite à la fois un réel travail de traduction, de transmission et surtout l’éveil de la curiosité, c’est difficile de se satisfaire de cet espoir pour un militant pressé. Pressé et souvent pressant…
Il y a sans doute un danger dans certaines positions, qui tendent à vouloir moraliser la population et se faire leur guide spirituel ou moral. La culture n’est pas entre les mains d’une seule personne qui va instaurer grâce à son leadership, un nouvel ordre moral. Nietzsche nous a bien mis en garde contre les dangers du ressentiment, qui émane souvent d’un sentiment d’impuissance à agir…. C’est une forme d’auto-empoisonnement et de sentiment de haine qui persiste, par une rumination face à l’impossibilité d’agir. Cette rumination va engendrer une forme de morale visant à culpabiliser ceux face à qui on ne parvient pas à agir. Elle prend plusieurs formes, parfois extrêmes, avec certains mouvements antimodernes qui utilisent malgré tous les moyens de la modernité pour montrer comment ils vivent et se présenter en nouveaux modèles, en leaders de nouveaux courants. Une question : ce refus de la modernité, ce renversement des valeurs de la modernité au profit d’une certaine morale n’est-il pas une autre manière de se couper de certaines formes de vie ? La modernité n’est-elle pas elle-même une évolution qui peut se mettre au service d’une meilleure compréhension du vivant, notamment via toute la disponibilité du savoir sur internet ?
Susciter l’engagement d’une population au service d’une culture du vivant : mission impossible ?
Dans le monde professionnel et le quotidien du travail, on l’a constaté : l’engagement ne se décrète pas. Si l’on regarde le dictionnaire, on constate que l’engagement suggère (de par son étymologie) l’idée de donner en gage, ce qui sous-entend l’idée de garantie que l’on propose, d’obligation que l’on se donne vis-à-vis d’un tiers … Dans un engagement social, sociétal, politique, professionnel, on met en gage notre propre manière d’être au monde, on s’oblige vis-à-vis d’une cause à qui l’on consacre du temps, de l’énergie, des convictions, et surtout des actions, au nom de principes. Il ne s'agit pas de court-terme, mais d'une manière de créer des liens, et de les maintenir...
C’est bien pour cette raison qu’on peut rappeler le caractère fondamental d’une culture commune du vivant, et donc aussi l’importance de traduire par des mots ce rapport sensible qui nous unit aux vivants pour commencer à lui prêter attention, à dialoguer avec lui, à le comprendre…
Ainsi, si l’engagement est une manière d’être au monde et de s’obliger à lutter contre ce qui va à l’encontre de cette culture, cela suppose sans doute la conscience que le résultat n’est jamais garanti, ce qui conduit à l’humilité et à la compréhension que l’engagement est avant tout un pas vers l’expérimentation, expérimentation mise en œuvre grâce à une bonne dose de courage face à l’incertitude, au service d’un possible que nous percevons via notre imagination, imagination partagée…. Qui nous permet d’envisager de tester avec d’autres une relation qui n’est pas un affichage, un slogan, mais une considération partagée et une construction à petit pas de réponses pour prendre soin du vivant, et de nous… Le souci de soi a aussi un lien avec le souci du vivant.
Pour résumer : les préoccupations pour le climat reposent sur une culture du vivant qui s’appuie sur la sensibilité et sur notre capacité à « éprouver » des liens avec le vivant ; le sentiment d’impuissance ne doit pas se transformer en ressentiment et leçon de morale culpabilisante, mais plutôt inviter à déployer notre puissance via des expérimentations collectives, dans un rapport au monde conscient et donc une prise en compte de nos connaissances historiques et scientifiques !
Ce texte est la transcription écrite de mon émission du 08 juin 2021 diffusée sur RCF Alsace et dont vous pouvez retrouver le podcast ici !
Mandataire élue Bretagne-Normandie Macif, urbaniste et conférencière, Présidente World Cleanup Day France, #VivreEnsemble #Coopération #TerritoiresDurables
3 ansAgir pour Reflechir et Grandir !