LA PAIX INTROUVABLE ?
CDD 30
LA PAIX INTROUVABLE ?
Pour la première fois depuis le début du conflit en Ukraine, le président chinois Xi a donc répondu favorablement à un appel de président ukrainien Zelensky. Si nul ne sait ce qu’ils se sont dit, il s’agit là d’un signal à plusieurs significations. Pour l’Ukraine obtenir de la Chine qu’elle fasse pression sur la Russie, pour la Chine tenter de faire mettre fin à un conflit dans lequel elle ne veut surtout pas s’engager, et, ce faisant, prendre de vitesse les Occidentaux, jusqu’ici impuissants dans leurs efforts de régulation. Le président Xi réussira-t-il aussi bien à propos du Donbass ou de la Crimée que sur les rives du Golfe persique entre Iran et Arabie Saoudite ? L’histoire le dira mais a priori on pourrait croire davantage à un tel scénario qu’à cet « improbable » (www.lemonde.com du 22 avril 2023) plan de paix auquel rêve un président français qui semble avoir déjà oublié les multiples controverses suscitées par ses propos à son retour de Chine.
Pendant ce temps où l’Europe et le monde occidental ont à nouveau les yeux exclusivement tournés vers l’Ukraine, l’Afrique subsaharienne continue sa descente aux enfers. Les derniers jours d’avril avaient donné le sentiment, grâce au Soudan si l’on peut dire, que cette partie du continent retrouvait un semblant d’intérêt aux yeux du monde développé. Mais une fois leurs ressortissants évacués, les pays concernés, dont les Français, les Britanniques et les Américains, ont à nouveau détourné la tête devant cette nouvelle guerre civile dont l’ONU estime qu’elle pourrait provoquer la fuite d’au moins 7O0.000 personnes.
Au Soudan, un nouvel avatar de la nouvelle guerre froide ?
Pourtant tout indique qu’au Soudan, on retrouve les protagonistes de la nouvelle guerre froide, du moins deux d’entre eux, la Russie et les États-Unis, la Chine, fidèle à sa doctrine restant volontairement hors du jeu et l’Europe étant hors circuit pour l’essentiel.
Le jeu le plus ambigu caractérise la Russie, si du moins l’on admet une certaine dualité entre la Russie de Poutine et le groupe Wagner de Prigogine. Autant la Russie de Poutine peut sembler se garder d’une approche trop partisane en appelant rapidement à un cessez-le-feu et en refusant pour l’instant de choisir entre les deux généraux, Burhan le « légitime » parce que président du conseil de souveraineté et Hemetti, l’allié de circonstance devenu le rebelle, autant Wagner a déjà clairement opté pour un soutien à Hemetti. Un soutien que certaines sources décrivent en termes de support aérien et de lutte conjointe, notamment aux confins du Soudan et de la Centrafrique, contre des troupes rebelles menaçant les deux pays. Un soutien également permis par les nombreux relais dont dispose Wagner en Centrafrique avec l’appui du président Touadéra. En sens inverse, le groupe de Prigogine semble avoir bel et bien déjà investi lourdement dans l’économie soudanaise, notamment comme au Burkina-Faso ou au Mali dans les mines d’or, avec la complicité des troupes de Hemetti. Comme l’a clairement souligné « Jeune Afrique », entre l’apparente neutralité de Poutine et l’engagement sans ambigüité de Prigogine, la Russie joue donc un double jeu (www.jeuneafrique.com du 25 avril 2023), probablement dans l’attente du vainqueur de ce conflit. Car la Russie a des intérêts très importants dans le pays, notamment dans sa volonté d’établir une base navale sur la mer Rouge, opération qui avait fait l’objet d’un accord préalable de l’ancien dictateur Omar el-Béchir avant qu’il ne soit renversé par l’alliance des deux généraux qui aujourd’hui se combattent. Le Soudan serait ainsi consacré comme porte
d’entrée officielle de la Russie en Afrique, de la Russie « régulière » si l’on peut dire et pas seulement par l’entremise de ses supplétifs de Wagner.
Quant aux États-Unis, tout aussi neutres en apparence, leur choix pourrait se porter assez rapidement vers le soutien au président « légitime, le général al-Burhan. À moins d’un renversement inattendu du conflit, ce choix serait d’autant plus logique que Burhan a le soutien de l’Égypte et des principaux alliés des Américains dans la région. La presse ne cesse d’ailleurs de faire état d’une CIA à la manoeuvre dans cette perspective, surtout si la Russie et Wagner confirment leur soutien à Hemetti.
Rien n’interdit par ailleurs de penser que cette situation conflictuelle violente, centrée aujourd’hui sur Khartoum ne va pas s’étendre dans le reste du Soudan, tant la région est instable. Déjà le Darfour voire le Soudan du Sud semblent se faire l’écho d’un tel conflit.
Au Sahel, la plongée « dans l’abîme » se poursuit
C’est le titre de ce beau texte de Sophie Douce, la correspondante du Monde récemment chassée du Burkina-Faso (www.lemonde.com du 22 avril 2023). Elle évoque le Burkina mais son texte pourrait concerner bien d’autres « Amadou » au Sahel, au Mali, au Niger, au Tchad…. À Ouagadougou, mais il en est probablement de même à Bamako, à Niamey, voire à N’Djaména, elle décrit le déni des habitants de la capitale qui tentent d’oublier les horreurs que subissent les habitants des autres régions, ceux des villages déjà soumis à la charia. Soumis parfois volontairement. Non seulement parce qu’ils n’ont guère le choix mais parce qu’ils se sentent abandonnés par un pouvoir central qui ne leur apportent plus rien, sinon de nouvelles horreurs. Il faut le redire : les succès des djihadistes tiennent autant voire davantage à cette incapacité des juntes militaires à se préoccuper de leurs populations éloignées que d’une adhésion véritable à leurs thèses ou leurs comportements. La menace est donc désormais endogène, avec comme conséquence qu’elle engendre de la part des forces armées gouvernementales des exactions de plus en plus lourdes, selon des scénarios qui, hélas, ressemblent de plus en plus à des guerres de libération nationale, voulant déboucher sur des califats ! La tuerie du 20 avril (www.lemonde.com du 27 avril 2023) à Karma au Burkina-Faso fournit une nouvelle illustration de cette confusion entre populations civiles et rébellion djihadiste. Malgré certains démentis, il semble bien que les auteurs de ce massacre d’au moins 150 personnes aient été des militaires burkinabés accompagnés de certains supplétifs civils volontaires. Jusqu’ici les Peuls semblaient principalement visés par ce type de représailles, les forces armées de la junte les considérant comme des soutiens des djihadistes. A Karma, ce sont des Mossis qui ont été les victimes c’est-à-dire l’ethnie dominante. Ce qui pourrait prouver que c’est désormais l’ensemble de la population de la région concernée que les militaires jugeraient complices des islamistes.
Ces épisodes sont hélas de plus en plus fréquents. On peut même s’interroger sur la stratégie mise en place par la junte de recruter de nombreux « volontaires » civils (Volontaires pour la défense de la patrie – VDP – 90.000 auraient été recrutés depuis octobre 2022) et de les placer parfois en première ligne alors même que leur expérience du combat est très limitée. Notamment dans cette région du Nord à proximité de Ouahigouya et Aoréma où les attaques sont si fréquentes. C’est en particulier dans cette zone que le 15 avril dernier huit soldats burkinabés et 32 VDP sont tombés. Autant de victimes civiles pourrait-on dire tant l’exposition de ces jeunes volontaires parait absurde. Mais tant d’autres habitants ont déjà été des victimes comme les 44 villageois tués les 6 et 7 avril à la frontière nigérienne. Selon certaines ONG, le nombre de ces victimes civiles s’élèverait déjà à 13.000 morts.
Ces épisodes ne peuvent donc plus être considérés comme des « bavures » comme semblent parfois les relativiser certains responsables. Ils touchent à la substance même du conflit et tout laisse à penser que d’autres du même type se reproduiront, comme ils se sont déjà produits, par exemple à Moura l’année dernière. La façon même dont comme au Mali, la junte militaire resserre son emprise sur les régions qu’elle ne contrôle plus (40% du territoire au Burkina, probablement encore davantage au Mali), se prête à pareille conviction. Malgré tous les dénis. On peut ainsi lire dans « Jeune Afrique » un interview presque hallucinant d’un membre éminent du Conseil National de la Transition (CNT) qui, au Mali, fait office d’organe législatif (www.jeuneafrique.com du 20 avril 2023). Dans ce document, on peut retenir de la bouche de ce partisan du colonel Assimi Goïta que depuis le départ de la mission française Barkhane, la situation s’est améliorée, que la mission de l’ONU (Minusma) pourrait bien devenir inutile, que les troupes djihadistes n’en sont plus qu’à des actions désespérées et sporadiques. Bref que, dans ce pays qui se défait, tout va bien. Au moment même où Bamako commence à être menacée. Deux jours après que le chef de cabinet du colonel Goïta ait été abattu dans une embuscade près de la frontière mauritanienne. Deux semaines après qu’au nord du Mali les anciens rebelles Touaregs, signataires de l’Accord d’Alger, aient fêté en grande pompe à Kidal et Tombouctou, l’indépendance de l’Azawad, cette partie nord du pays, se considérant à nouveau ignorée des autorités de Bamako. Le jeu est certes classique mais un tel aveuglement des régimes en place ne peut que conforter les attitudes visant à détourner la tête de ce que pourrait devenir demain le Sahel. Comme en témoignent les récentes expulsions des journalistes français de Libération ou du Monde, on comprend que toute presse critique soit insupportable à de tels régimes.
Rien n’autorise encore à penser que la paix puisse un jour revenir en Europe, que l’Ukraine et la Russie pourraient un jour se retrouver à une table de négociations tant les positions des deux protagonistes paraissent encore aux antipodes les unes des autres. Mais si de bonnes ou moins bonnes fées se pressent autour d’une telle éventualité, c’est parce que cette guerre dérange de plus en plus presque tout le monde en provoquant ou ayant provoqué des crises systémiques qui pourraient envenimer encore davantage divers fronts, économique avec l’inflation et l’augmentation des taux d’intérêt, énergétique voire alimentaire, financier. Personne, et surtout pas la Chine, de Xi n’oublie que l’Europe reste encore un des principaux marchés mondiaux, bien plus important à conquérir que celui d’une Afrique déjà en grande partie soumise.
Mais, en revanche, qui parmi les grandes puissances se soucie vraiment de voir la paix s’installer en Afrique ? Du moins dès lors que le pillage de ses ressources peut continuer ?
L’Afrique subsaharienne peut rester longtemps ainsi le lieu privilégié d’une guerre froide dont chaque grande puissance essaie de tirer le profit maximal mais qui ne les opposera jamais directement entre elles. Même les djihadistes semblent avoir fait provisoirement leur deuil d’un retour sur la scène européenne ou du Moyen-Orient. Pour y revenir peut-être plus fort à partir d’éventuelles bases africaines ? Mais aujourd’hui l’urgence n’apparait pas là. Seul le développement de l’Afrique en fait les frais. Pourtant, malgré cet aveuglement des grandes puissances ou des grandes organisations internationales, c’est là que réside le vrai danger, surtout pour les Européens. Car sans ce développement de l’Afrique subsaharienne, ce continent toujours plus appauvri ne manquerait pas de devenir une menace croissante, en termes de flux migratoires comme d’exportations de conflits.
Jean-Paul de GAUDEMAR
Vous pouvez retrouver cette chronique, en français, en souscrivant gratuitement à ma plateforme « jeanpauldegaudemar.substack.com » ou en anglais en souscrivant toujours gratuitement à ma plateforme « jpdegaudemar.substack.com ».
Vice-président chez AFDET Délégué régional AFDET Ile de France
1 ansUkraine: "Pour le bien de l'humanité, arrêtons cette guerre", dit le président sierra-léonais à l'AFP le 18-5, alors que l'offensive de l'Ukraine se dessine pour chasser l'envahisseur, tous les actes qui contribuent à faire respecter la souveraineté, l'indépendance et l'intégrité territoriale de tous les pays sont les biens venus.
Je sais que je ne sais rien. Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.
1 ansMerci pour ces analyses convergentes et argumentées avec précaution et précision valables de mon humble point de vue.