L'émigration temporaire des peigneurs de chanvre du Jura jusqu'au 19eme siècle
Je viens déposer sous vos yeux ce Chanvrorama 84 la veille de Noël . Fêtons ce qu'il reste en nous d'humanité dans cette séquence de Prédation généralisée !! Et sachons créer des liens fertiles d'amour et de respect de l'autre .
Au hasard d'une lecture d'un géographe historien du Jura , comme il signale que les toiles de chanvre obtenues servaient à faire les draps pour l'Hopital de la Charité de Lyon (donc lieu de ma naissance ) cela m'a donné envie de rendre compte de sa particularité. Vous voyez la force de l'intérêt pour soi même qui finit dans le collectif !
Comme d'autres régions montagneuses et avec d'autres métiers (ramonage etc) leur surpopulation relative ( impossibilité pour ces terroirs de nourrir toute leur population ) générait des migrations ponctuelles pour aller travailler ailleurs et ramener le précieux argent ! Nous allons voir ,ici pour le Jura méridional , qu'il s'agit de l'activité essentielle du peignage des fibres corticales du chanvre pour le rendre filable. ET tout cela n'était plus que du souvenir il y a plus d'un siècle . A.R
Document lu : L'émigration temporaire des peigneurs de chanvre du Jura méridional avant les transformations des XIXe et XXe siècle par Abel Chatelain Professeur agrégé au Lycée Decour à Paris (1946)
Extraits : "Comme la plupart dés montagnes françaises, Alpes ou Massif Central, le Jura a connu le surpeuplement né de l'insuffisance des ressources tirées du sol et l'émigration temporaire ou définitive qui en découle presque inévitablement. Phénomènes démo géographiques classiques mais combien nuancés. Il a déjà été étudié maintes migrations comme celles des colporteurs de l'Oisans ou celle des maçons du Massif Central . Le Jura méridional a connu aussi ces déplacements saisonniers avec les peigneurs de chanvre aujourd'hui presque oubliés mais qui ont tenu leur place dans l'histoire et la géographie des migrations temporaires françaises."
L'inégalité des ressources tirées du sol au nord-ouest et au sud de la cluse des Hôpitaux
Le Bas-Bugey est un pays de montagnes mais les vallées et les bassins y tiennent une large place. Aussi les cultures y sont variées ; elles rappellent celles du Bas- Dauphiné ou du couloir rhodanien. La polyculture, au début du 19e siècle reposait avant tout sur les céréales, les fruits et la vigne. Le pays pouvait se nourrir suffisamment sans faire appel aux régions voisines ; il avait même une renommée d'aisance et de bonne chère que Brillat-Savarin, originaire du Bas-Bugey a vulgarisé dans sa « Physiologie du Goût » publiée en 1825.
Au contraire, jusqu'au milieu du xix" siècle, la pauvreté caractérise la région située au nord de la cluse des Hôpitaux, exceptions faites du Bas-Valromey et du Val du Rhône jusqu'à Seyssel.
Dans: l'arrondissement: de Belley, aux abords de la, cluse ; des Hôpitaux . et, particulièrement aux environs de Saint-Rambert-en-Bugey, la roche nue. ne-favorise pas l'agriculture, aussi règne-t-il une grande activité industrielle . Il s'agit; ici du tissage du chanvre qui donne une toile assez grossière mais solide. Au. début du 19eme siècle, il existait plus de 600 métiers permanents ^ dans le canton de Saint- Rambert et- un ; plus grand : nombre encore de ; métiers temporaires utiles seulement pendant- la morte-saison. Saint-Rambert n'a- pas. à . proprement : parler de manufactures, mais- seulement- des métiers' dispersés- dans les : maisons;; c'est, donc un: travail - familial • comme - on : peut ; le trouver.- alors dans - beaucoup de régions françaises. Près- de 3.500 -personnes, femmes,, hommes, vieillards et . enfants sont; employés à une telle activité - dans , cette petite zone du Bas-Bugey moins favorisée par la nature/ Saint-Rambert,. peut. vendre par an, aux régions voisines près; de 800 000 mètres de toile pour. linge de table, de lit et de corps. Ce centre ; vend surtout aux hôpitaux de Lyon, . particulièrement au- vieil- hospice de la: Charité, qui. n'achète guère de drap ailleurs . (...)
En. dehors des industries locales- familiales, des charrois; des nourrissons, il existe une ressource que la plupart de montagnards jugent primordiale: aller peigner, le chanvre dans les départements plus septentrionaux Quelle est l'origine d'une telle occupation? Comment est-elle organisée ?: Où s'exerce-t-elle? Quels en sont les résultats?
L'origine semble très simple : la culture du chanvre très répandue . alors dans la plus grande partie du Jura méridional . Aujourd'hui encore beaucoup de lieux- dits : s'appellent : « chenavie» (chànevière) ; champs dans lesquels il était d'usage de cultiver le chanvre.. Les produits de la récolte permettaient d'obtenir le seul textile végétal de la région ; ils étaient . filés par les femmes . du pays pendant la mauvaise saison et souvent tissés dans les mêmes lieux pour s obtenir une "toile grossière mais solide. Beaucoup de familles paysannes possèdent aujourd'hui encore des draps de cette provenance. Ainsi, les hommes ont acquis chez eux cette habitude : de peigner, leur propre chanvre et ils sont allé offrir leurs services dans d'autres; régions.
L'organisation de cette émigration temporaire a des caractères particuliers. De petits .- groupes d'émigrants composés d'un chef . et de deux ou trois compagnons. Ils sе mettent en route dès la fin septembre ou au. début d'octobre . Le chef s'occupe non ; seulement' du travail mais aussi de la nourriture de ses hommes ; dont le salaire • varie de 15 à . 80 francs selon .Les peigneurs de chanvre , forment" un monde à part qui a, son langage (le bélo ) et: ses. habitudes propres . Les montagnes de l'arrondissement de Belley envoient de .- 1 .500 à 2.000 de ces emigrants, . ce qui - donne une . proportion. assez faible de la population totale : - 1/42". seulement . Au contraire, dans l'arrondissement de Nantua, , c'est : un « déplacement . considérable : d'une • partie des montagnards : - de- 4.000 -à 5.000 individus, soit le ; i/8e : de la population .
Cette ~ émigration temporaire qui : s'étend sur . l'automne et l'hiver, de la fin .du mois de septembre; à lа fin du mois d'avril, comprend deux vagues d'inégale ampleur. La, plus -importante, dure trois mois: octobre, novembre et décembre; beaucoup d'émigrants sont ; dans leur village . à la Noël et les retardataires sont revenus à la fête des • Rois, début janvier. La seconde vague est très courte : un mois environ ; elle commence fin mars. . Ainsi, l'émigration des peigneurs de chanvre s'étend sur toute la mauvaise saison; plus de la moitié de l'année, de septembre à' avril. Elle s'explique par lе très long, hiver, et par l'insuffisance des cultures en montagne. Cette manière d'organiser l'émigration ne manque pas d'originalité : les déplacements ont lieu dans les moments où les .communications ne sont pas encore trop gênées par l'épaisse couche de neige, c'est-à-dire en automne,. au début et; à la fin de l'hiver. . Dans la période durant les plus grands froids, en- janvier et en février, le montagnard se trouve chez lui, bien chauffé , puisqu'il habite un pays forestier !!
La: seconde carte repose non seulement sur. les données de Bossi mais aussi sur. les rapports des préfets des divers départements qui- reçoivent les peigneurs - de: chanvre venus du Jura méridional, (fig. 2).. La zone la plus marquée se place dans l'Est delà France. .Mais alors que : la première vague d'automne intéresse les • départements les - plus : lointains (jusqu'à , la: Sarthe . et: au : Bas-Rhin), la seconde, de printemps, est -. limitée :. aux- départements ; voisins : Saône-et-Loire, Jura .: et . aux pays du - département de . l'Ain : . Dombes et Bresse. Les peigneurs bugistes - sont peu nombreux, dans les départements: situés au Nord du Massif Central- car,; cette zone est réservée . aux emigrants du Limousin, de l'Auvergne . et du Velay qui peignent : aussi le chanvre mais l'effectif est moins important que celui fourni- par. les montagnes du Jura méridional aux départements plus septentrionaux, ..
Le déclin
Au début du 19e siècle, il y a encore quelques rares traces des peigneurs de chanvre. Avant 1914 quelques-uns de la région d'Hauteville viennent encore travailler dans le Bas-Valromey et le chanvre peigné est ensuite envoyé à Bellegarde pour faire de la grosse toile de drap. Dès la fin du 19e siècle, les grands déplacements ont disparu et après la première guerre mondiale (1914-1918), les peigneurs de chanvre ne «ont plus qu'un souvenir. (..)Les causes de la disparition de cette migration des peigneurs de chanvre sont nombreuses ; il faut les rechercher dans la concentration et les progrès techniques de l'industrie textile, clans l'abandon du chanvre comme textile utilisé pour le linge, du coton bon marché, dans l'apparition d'une nouvelle industrie locale, particulièrement au nord de la cluse de Nantua:. l'industrie lapidaire qui permettait d'obtenir, sans se déranger, un gain très supérieur à celui des anciennes migrations, enfin dans la perte de l'Alsace-Lorraine en 1871 qui recevaient beaucoup de peigneurs du Jura méridional."
André Ravachol
Chanvrier de Coeur et de Raison
Fondateur de la marque PLASTICANA (www.plasticana.com)