L’équilibre et les appuis

L’équilibre et les appuis

S’inspirer de la façon dont le corps humain s’équilibre, pour une approche durable de la gestion de projet.

L’observation de la nature est souvent de très bon conseil pour les projets d’ingénierie (architecture, aviation, textile, informatique avec les réseaux de neurones par exemple...). Le fonctionnement de l’équilibre du corps humain me semble éclairant pour la gestion de projets, culturels notamment. Je propose ici une méthodologie pour la pérennité des projets, basée sur une compréhension du fonctionnement de l’équilibre dans le corps humain. Les concepts et méthodes sont illustrés par des exemples concrets dans le secteur culturel.

Commençons donc par définir les processus de l’équilibre et des appuis, aux niveaux mécanique et physiologique, dans une perspective plus inspirée de la technique Alexander, de la méthode Feldenkrais ou d’autres approches holistiques, que de l’anatomie académique.

L’équilibre

Qu’est-ce que l’équilibre ? Ce n’est pas quelque chose de figé, c’est une conjonction de forces, qui produit un état durable. Que l’apparence extérieure en soit l’immobilité ou le mouvement, l’énergie interne est la même : c’est une dynamique agissante, qui crée cet état soutenu. L’équilibre est d’autant plus pérenne que, grâce à ces forces vives, il est en capacité d’évoluer. L’ouverture au changement est l’une des meilleures garanties d’équilibre.

Prenons l’exemple d’un garçon de café qui porte un plat rempli de verres, à bout de bras, en marchant à toute vitesse dans la grande salle d’une brasserie : le plat n’est pas figé à l’horizontale, il est en mouvement permanent, autour d’un point d’équilibre, ce qui permet aux verres de rester en place et aux liquides de ne pas déborder. Si le garçon de café cherchait coûte que coûte à maintenir le plat à l’horizontale, les verres se renverseraient à coup sûr. Dans cet exemple, l’équilibre est permis par le mouvement. On perçoit bien que l’équilibre est un état dynamique entretenu, et non pas un état statique défini.

Les appuis

On amalgame souvent la recherche de l’équilibre avec la gestion des appuis, et ce même dans certaines méthodes de danse. Pourtant, il s’agit de deux notions essentiellement différentes matériellement parlant (et complémentaires). L’équilibre est un état, une dynamique des forces, alors que les appuis sont les points, les zones, sur lesquels le système (corps, machine, projet...) se pose.

Différences et complémentarités entre équilibre et appuis

  • Les appuis sont indispensables, dans la mesure où tout est soumis à la force newtonnienne (l’attraction des masses plus légères par les masses plus lourdes).
  • Dans un état d’apesanteur, par exemple, les appuis ne seraient pas nécessaires à la construction d’un équilibre.
  • Malgré leur caractère indispensable, les appuis sont beaucoup plus anecdotiques que l’équilibre : on peut changer d’appuis, tout en restant dans le même type d’équilibre. On le comprend bien avec la marche : quand on marche, on est en équilibre (on ne tombe pas), pourtant on modifie ses appuis en permanence : parfois un (un pied), parfois deux, parfois aucun (un petit saut !).
  • J’envisage les appuis au pluriel, car ils sont variables, contrairement à l’équilibre, qui est dynamique mais beaucoup plus construit.
  • Les appuis et l’équilibre sont donc tout à fait indépendants, même si l’équilibre utilise les appuis pour pouvoir s’incarner.
  • Dans le mouvement du corps humain, on construit l’équilibre avec les muscles du périnée (ce sont les muscles situés entre les jambes, nommés aussi « plancher pelvien », sur lesquels s’attachent les os du bassin, surplombés par la colonne vertébrale, puis la tête). Et les appuis sont le plus souvent les pieds, au bout des jambes.

Approche active de l’équilibre

Vous ne trouverez pas ce type de définition de l’équilibre dans une méthode d’anatomie. L’approche anatomique évoquera le fonctionnement de l’oreille interne pour piloter le tonus musculaire. Pourquoi donc aborder les choses autrement, alors que les méthodes d’anatomie sont évidemment justes ? Car je traite le sujet du point de vue de l’action que l’on peut avoir sur notre équilibre, pas du point de vue du constat physiologique, sur lequel nous n’avons pas de prise. Je traite le sujet de façon holistique (c’est à dire dans son ensemble) et pratique, pas de façon analytique et technique (l’explication du particulier), et c’est aussi dans ce sens là que j’aborderai la méthode de gestion de projet. Il s’agit de méthode, de pratique, d’action, pas de théorie. Mais la pratique demande aussi une compréhension des choses, qui n’est pas la même que la compréhension théorique.

Pour information, les explications multiples d’un même phénomène sont courantes et admises en physique, surtout depuis la découverte de la physique quantique. La lumière, par exemple, en fonction de l’usage, est considérée soit comme une onde, soit comme un ensemble de corpuscules, ce qui est totalement contradictoire en théorie, mais vérifié et opérant en pratique.

Méthode pour travailler l’équilibre du corps humain

Terminons cette définition des concepts par une méthode, basée sur un exercice simple, pour travailler l’équilibre du corps humain, d’où nous ferons découler des idées pour la gestion de projet.

Pour équilibrer mécaniquement un système physique, l’approche est le plus souvent externe : pour une architecture par exemple, un travail d’ingénierie tentera de définir précisément les forces en présence pour construire les tensions qui amèneront à un état d’équilibre.

Mais pour travailler l’équilibre du corps humain, même au seul niveau mécanique (par exemple pour tenir debout sans s’appuyer à la barre dans un métro ou un autobus, qui est en déplacement chaotique), l’approche externe de l’équilibre des forces n’est plus du tout opérante. Ce qui est efficient, c’est une approche interne de la construction de son équilibre, car nous en sommes l’acteur intérieur et non pas le spectateur extérieur. Nous retrouverons cette même opposition « approche interne vs approche externe » dans la méthode de gestion de projet. Souvent, les conseils donnés à partir d’un point de vue externe sont difficiles si ce n’est impossibles à mettre en pratique de l’intérieur, ou n’amènent à rien de constant.

Comment donc travailler son équilibre de l’intérieur ? La méthode Feldenkrais (développée par Moshe Feldenkrais à partir des années 1940), très employée dans le domaine de la danse, du sport et des arts, utilise la « Prise de Conscience par le Mouvement » (PCM) : en faisant de très petits mouvements, peu à peu on active une conscience intérieure des muscles, de leurs interactions, de l’empilement vertical du squelette, des tensions, des forces en présence, afin d’accroître son équilibre, en économisant ses efforts dans la détente.

Pour clore cette partie, essayons ce petit exercice, qui ne relève pas de la méthode Feldenkrais, mais qui permet de prendre conscience très simplement, par le mouvement, de la nuance entre équilibre et appuis :

  • Tenez-vous debout sur vos deux jambes.
  • Levez l’une des deux jambes. La plupart du temps, il est plutôt difficile, sauf vous êtes danseur, de tenir debout : on a tendance à trébucher. C’est que le corps n’était en fait pas en état d’équilibre, mais en dépendance d’appuis externes.
  • Maintenant, remettez-vous debout sur vos deux jambes, et contractez votre périnée (pour le dire de façon triviale : « serrez les fesses »). Tenez les muscles de votre périnée solides. Cela demande un effort continu.
  • Puis levez l’une des deux jambes, tout en continuant à contracter les muscles du périnée. Vous constaterez immédiatement que vous tenez debout bien plus facilement, avec une jambe ou deux, presque indifféremment.

Si vous avez fait l’exercice, vous avez ressenti de façon évidente, grâce à la « Prise de Conscience par le Mouvement », la différence essentielle entre l’équilibre (qui se construit de façon interne par la mobilisation des muscles du périnée) et les appuis (externes, qui peuvent être variables : une jambe ou deux jambes). Un observateur avec un point de vue extérieur ne vous serait d’aucune aide pour construire votre équilibre : il pourrait juste dire « tiens-toi plus droit, baisse-toi un peu vers la gauche ou vers la droite, etc. », ce qui aiderait un peu, mais ne contribuerait en aucun cas à la construction d’un équilibre durable.

Comment pourrait-on transposer ces notions d’équilibre et d’appuis au domaine de la gestion de projet et quels en sont les bénéfices spécifiques ?

L’équilibre et les appuis d’un projet

Envisageons cette comparaison :

  • l’équilibre, ce seraient les objectifs du projet,
  • les appuis, ce seraient les actions que l’on met en œuvre.

Le plus important, bien-sûr, ce sont les objectifs, c’est à dire le pourquoi du projet. Les actions découlent des objectifs, il s’agit du comment.

Voici un tableau synthétique :


La différence essentielle entre l’équilibre et les appuis d’un projet, c’est que les appuis sont des choses concrètes, « lourdes » à porter et à mettre en œuvre, alors que l’équilibre, la finalité du projet, semble plus théorique, moins concrète, plus « facile » à porter, elle semble plus évidente, stable, et poser moins de questions. À mon sens, la réalité se situe précisément à l’inverse de cette idée reçue, et c’est la cause de bien des difficultés dans la gestion des projets.

Souvent on donne bien plus de place dans le travail aux appuis qu’à l’équilibre, car les appuis sont plus tangibles, donc c’est ce qui semble « le plus important ». Mais ainsi, en voulant bien faire, on peut déséquilibrer le projet, et même le faire chuter. Ce qui signifie faire les choses en s’écartant peu à peu de leur sens, sans s’en rendre compte, préoccupé que l’on est par toutes les tâches concrètes. Et on peut se retrouver à faire des actions absurdes, contre-productives, et à ne pas réussir à pouvoir faire autrement. Et ce d’autant plus que, du fait que ces actions nous demandent beaucoup de travail, nous prenons un biais cognitif qui nous empêche de percevoir qu’elles vont à l’encontre des objectifs du projet. Nous sommes inconscients d’avoir dérivé. Les objectifs sont devenus flous, alors nous nous « accrochons » aux actions, ce qui est en réalité très déstabilisant pour le projet dans ses fondements et dans son sens.

L’enseignement méthodologique que l’on peut tirer de cela pour la gestion de projet, c’est :

  • D’une part de ne pas donner trop d’importance aux appuis, aux actions, et se mettre en capacité d’en changer si nécessaire, sans peur. Concrètement, cela peut nous amener à produire des actes qui semblent être à l’inverse de ce que l’on avait prévu de prime abord.
  • D’autre part, ce qui nous amène à pouvoir ainsi changer les actions de façon efficace, c’est le fait de toujours consacrer du temps et de l’énergie à requestionner, reconstruire, reformuler, partager avec les autres, les objectifs du projet, son sens (tout comme on doit mobiliser de façon continue les muscles du périnée pour tenir l’équilibre, quels que soient les changements d’appuis, c’est à dire les modifications du contexte extérieur).

Imaginez que le projet est votre corps, que vous solidifiez très fortement vos deux jambes pour vous assurer de rester debout, mais que ce faisant vous oubliez de travailler les muscles du périnée. Si l’une de vos deux jambes devient défaillante, vous tombez immédiatement. Alors que si vous aviez travaillé en priorité votre périnée, c’est à dire votre équilibre plutôt que vos appuis, avec des jambes peut-être moins solides mais plus mobiles et éventuellement remplaçables, vous auriez eu bien moins de chance de tomber en cas de perte de l’un de vos appuis, et vous auriez eu la capacité de changer d’appui, grâce à votre équilibre bien tenu.

Équilibre et appuis dans le travail d’équipe : la méthode des « réunions d’équilibre »

La gestion d’un projet en termes d’équilibre et d’appuis permet d’aider en profondeur à donner aux acteurs du projet la capacité de rester en prise avec le sens du travail, et ainsi de rester motivés et de prendre les décisions les plus pertinentes. Le projet devient meilleur, plus pérenne et résistant face aux imprévus, qui surviennent toujours.

Mais comment en pratique avec une équipe, prioriser l’équilibre, c’est à dire le sens du projet ? Je propose une méthode, que j’ai nommée les « réunions d’équilibre », faite d’une liste de recommandations, non hiérarchisée :

  • Il s’agit tout simplement de courtes réunions hebdomadaires, consacrées à des échanges entre les acteurs sur le sens du projet auquel ils participent. Cela pourrait sembler de prime abord déstabilisant, voire dangereux pour le projet. C’est précisément pour cela que cette méthode est efficace : on travaille l’équilibre du projet en profondeur, on s’y risque, et c’est ce qui le rend plus solide. Tout comme les muscles du périnée, qui demandent un vrai travail, pas facile, sont ce qui garantit un équilibre continu.
  • L’objectif est de faire en sorte que les acteurs du projet puissent construire l’équilibre, c’est à dire une vision d’ensemble du projet et de son sens, de façon collective, partagée et évolutive, en leur permettant, lors de réunions régulières (qui peuvent être courtes et en visioconférence), de partager leurs points de vue et de questionner le sens du projet.
  • Au fil de ces réunions, on se rend compte que ce qui semblait évident pour l’un peut ne pas l’être du tout pour l’autre (on ne l’aurait pas supposé car ils ne l’avaient jamais exprimé, réussir à découvrir sa propre pensée peut prendre du temps).
  • Ce partage progressif et continu, permet d’une part à la finalité de se refonder, et surtout de s’intégrer en profondeur en chaque acteur du projet ainsi que d’évoluer au fil du temps, si nécessaire.
  • Chaque personne a des temporalités différentes d’appropriation des idées, ce qui est bien normal.
  • La régularité des échanges permet cette intégration en profondeur, aux niveaux individuels et collectif.
  • Ces réunions peuvent de l’extérieur sembler superflues, car on ne voit pas leur effet concret (cf. l’observateur extérieur qui vous regardait lever une jambe et qui ne pouvait pas percevoir le travail d’équilibre intérieur que vous faisiez).
  • Il y a beaucoup de choses concrètes à faire chaque jour pour l’avancée du projet, qui semblent beaucoup plus tangibles, urgentes et importantes, donc ces réunions ne sont pas faciles à tenir, pourtant elles sont essentielles.
  • Ces réunions d’équilibre permettent en fait à chacun d’arbitrer bien plus vite et mieux pour ce qu’il doit faire, donc de décider de ne pas faire certaines choses qui se révèlent inutiles et au contraire d’en trouver de nouvelles bien plus utiles.
  • Donc, malgré l’apparence extérieure qu’il ne « se passe rien », les réunions d’équilibre apportent au final énormément de temps et d’énergie gagnés, et surtout la garantie que le projet va fonctionner beaucoup mieux.
  • Souvent, ce type de réunion peut inquiéter les coordinateurs ou responsables, qui, par manque de confiance en eux ou dans leur projet, peuvent préférer ne pas laisser la place au questionnement. Mais ne pas laisser les acteurs d’un projet le questionner, c’est le vider peu à peu de son sens, et c’est ouvrir la porte à des actions (les « appuis ») de plus en plus déconnectées, inutiles et contre-productives. Par ailleurs, les coordinateurs peuvent avoir peur de perdre le temps précieux consacré à ces réunions, alors que la pleine et entière appropriation par chacun, comme nous l’avons vu, est au contraire gage d’un gain de temps et de qualité sans précédent.
  • N’oublions pas que le taylorisme (forcer les employés à accomplir des tâches répétitives dénuées de sens) n’avait d’efficacité que pour le travail à la chaîne (pensons au film « Les temps modernes » - 1936 - de Charlie Chaplin). Aujourd’hui, dans tous les secteurs d’activité ou presque, la nature du travail n’étant plus mécanique mais avant tout intellectuelle, plus l’acteur du projet (qu’il soit employé, bénévole, indépendant...) trouve du sens à son travail et plus son efficacité, c’est à dire sa capacité de bonnes initiatives, corrélée à son bien être au travail, vont augmenter.
  • Ces réunions peuvent être animées par d’autres membres de l’équipe projet que la direction ou le.la chef.fe de projet, et sont souvent assez horizontales, car elles peuvent rassembler des partenaires qui ne sont pas dans des liens hiérarchiques. On peut envisager des changements hebdomadaires des rôles d’animation de la réunion, pour que chacun.e puisse contribuer à différentes places et selon ses appétences.
  • Il est important que ces réunions soient régulières et courtes (une fois par semaine, pour chaque projet donné). Elles ne rassemblent pas forcément tout le monde à chaque fois, mais doivent être tenues.
  • Ces réunions ne donnent pas lieu à des comptes rendus formels. Chacun peut faire un compte-rendu pour soi, mais il n’y a pas de compte-rendu « officiel », afin que chacun puisse s’approprier les objectifs du projet à sa manière, avec ses propres mots (si ce sont les mots de quelqu’un d’autre dans un compte-rendu, ils sont vécus comme extérieurs et nuisent à notre appropriation).
  • Le processus peut paraître lent. Mais à vouloir aller trop vite, on passe trop souvent à côté de l’appropriation par les acteurs du projet. Et paradoxalement, c’est beaucoup moins efficace et qui plus est générateur de risques psychosociaux. Chaque personne recèle en elle d’immenses capacités, dès lors que le projet fait toujours sens pour elle, en profondeur, en intériorité.
  • On peut donner à ces réunions la dénomination que l’on souhaite, par rapport à la singularité du projet, ainsi elles ne seront pas vécues comme un modèle plaqué, mais comme une force spécifique à ce projet particulier.

Exemples de bonnes combinaisons équilibre/appuis

Voici trois exemples, dans le champ des projets culturels :

  • L’évolution des pratiques musicales : jusqu’à la fin du XXe Siècle, les « clients », les personnes qui appréciaient la musique, allaient au concert et achetaient des disques. A la fin des années 1990, ils découvrirent la possibilité du téléchargement. Ils se commencèrent dès lors à écouter bien plus de musique et de façon plus diversifiée qu’avant, car la gratuité permet de découvrir plus facilement (comme dans une bibliothèque). À l’époque, les professionnels de la musique qui se sont cantonnés aux appuis ont défendu le discours de culpabilisation du « piratage », ce qui a eu pour seul effet d’entraîner la faillite de maisons de disques. Travailler l’équilibre fut d’organiser, à partir de ces découvertes musicales plus nombreuses, encore plus de concerts qu’avant, qui, eux, ne posent pas de souci de paiement (on comprend pourquoi on paie). L’appui économique du secteur musical du passé était en grande partie fondé sur la vente de disques. Le nouvel appui est principalement la vente de places de concert. Mais l’objectif, l’équilibre, à savoir développer une économie de la rencontre entre les publics et les artistes musicaux, reste le même, on a juste changé d’appuis. Je ne dis pas que ce fut facile, mais cet exemple illustre la différence entre ceux qui ont su très tôt se replacer à l’endroit du sens, de l’équilibre, pour modifier, parfois très en profondeur leurs actions (les appuis), et ceux qui s’étaient cramponnés à des appuis devenus obsolètes.
  • Un lieu culturel dans lequel le public ne vient plus : si le public perd ses habitudes de fréquentation (par exemple après le confinement de 2020), on peut s’épuiser à essayer de solidifier ses anciens appuis, comme par exemple faire encore plus de communication papier ou sur les réseaux sociaux. Mais travailler l’équilibre, c’est requestionner le sens de cette salle de théâtre, cette salle de cinéma, ce lieu culturel : pourquoi existe-t-il ? Travailler avec les équipes à relire les textes fondateurs des politiques culturelles, repenser l’offre, la rendre peut-être plus évolutive, être capable même de changer la nature des actions qui se déroulent dans le lieu... Un exemple : une salle de cinéma subventionnée pourrait décider, du fait qu’elle rassemble peu de public lors des séances commerciales, de ne plus projeter que des films faits localement, de redevenir un lieu de partage de la culture, et de socialisation autour d’une exigence culturelle, à côté du cinéma académique. Ce qui ne veut pas dire faire moins bien, mais au contraire, chercher et susciter la création locale peut-être, donc soutenir des dynamiques de construction économique et culturelle autour de l’audiovisuel, au lieu de rester une salle de cinéma qui « rame » à chercher un public qui regarde les films principalement sur des plateformes. Travailler un ancrage local de la créativité audiovisuelle n’est pas du tout démagogique, au contraire, c’est aller plus loin dans l’exigence, en se donnant la possibilité, grâce au travail d’équilibre (se poser les questions fondamentales de démocratie et de démocratisation culturelle), de faire évoluer les actions (les appuis) de façon très importante, pertinente et collective. Dans ce champ, des réunions d’équilibre peuvent aussi avoir lieu au niveau national, pour travailler l’évolution des politiques culturelles.
  • Le montage d’un film : faire le montage d’un film est une gageure, car il y a souvent des dizaines d’heures de rushes, qu’il faut choisir avec tact, pour créer un film qui fonctionne, qui atteigne ses objectifs initiaux (raconter une bonne histoire, ou faire rire, faire pleurer, ou bien transmettre des idées importantes...). Et parfois, cela passe par des modifications très profondes de la narration à l’étape du montage : par exemple, on peut choisir de ne pas donner toutes les informations au spectateur, pour créer du mystère et du suspens qui nourrira encore plus d’intérêt pour le film. Mais aussi, le contenu et le rythme de chaque scène, de chaque plan, de chaque seconde du film, est ce qui fait qu’il marche ou pas. Ainsi il peut arriver qu’on se concentre, scène après scène, sur les détails, qui peu à peu nous font perdre de vue l’équilibre général. Quand on a terminé le montage, on peut avoir l’impression que le film est parfait, alors qu’en fait il ne fonctionne pas du tout. Pourquoi ? Car dans le processus, on est resté focalisé sur les appuis (c’est à dire les détails de chaque scène, de chaque plan, qu’on a soignés au mieux). Comment travailler l’équilibre du film ? C’est assez simple : le regarder en entier (aux différentes étapes) peut-être une fois par jour. Cela peut sembler une perte de temps dans chaque journée, surtout si c’est un long métrage. Mais, en réalité, le fait de l’envisager, encore et toujours, dans son entièreté, permet de ne jamais perdre pied avec ses objectifs, sa finalité, sa respiration, sons sens, bref, son équilibre. Et cela aide à prendre beaucoup mieux et plus vite, parfois de dures décisions (comme couper au montage une scène réussie, qui avait coûté cher à tourner, mais qui déséquilibrait le film).


Merci à Véronique Guiho-Leroux pour sa relecture attentive et ses propositions.


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