L'état d'exception

24 mai 2020

Sur mon lieu de déconfinement, alors que je discutais avec la pharmacienne, elle confirmait qu’il n'y avait eu aucun de cas de Covid 19 à déplorer ici. Néanmoins, le port du masque, le gel hydroalcoolique et la distanciation physique sont de règle comme partout ailleurs. J’ai pu le constater la veille sur le marché d’Espalion particulièrement bien adapté aux consignes sanitaires. Je dis à la pharmacienne qu’il était logique que les règles soient les identiques sur tout le territoire français de la métropole. Je n’avais pas fini ma phrase qu’une longue liste d’exceptions fut énumérée dans l'officine.

À la règle de non-cumul des mandats instaurée en 1997 par Lionel Jospin, un coup de canif vient d’être donné. Certes, que ce soit sous Sarkozy ou Hollande, il y avait eu quelques dérogations.

Hier, Gérald Darmanin a été élu maire de Tourcoing tout en conservant son portefeuille ministériel de l’action et des comptes publics. Sibeth Ndiaye, le 21 janvier à l’Assemblée nationale avait affirmé le contraire: "La règle du non-cumul demeurera. » Quelques mois plus tard, Darmanin s’installe dans le fauteuil de maire, adoubé par le Prince. Une exception est faite. 

Avignon pleure son festival, Arles aussi. Combien sont-ils à dans le désarroi aujourd’hui ? Les intermittents, malgré les gesticulations du Prince en bras de chemise, attendent toujours l'année blanche espérée. Puis, on apprend que le Puy du fou rouvrira ses portes le 11 juin prochain. L’annonce fait bondir les milieux culturels, les spectateurs, les artistes, les techniciens qui sont privés de concerts, de festivals, de manifestations durant tout l’été. Alors que leur suppression était, bon an mal an, acceptée au nom de la sécurité sanitaire de tous, le Prince a décidé de faire une exception pour son ami Philippe de Villiers, le « patron » du parc-à-thème vendéen. Une exception qui sonne comme un camouflet auprès des professionnels du spectacle vivant. 

À la règle des 100 km, des députés LREM proposent d’en affranchir les propriétaires de résidences secondaires situées au-delà. Si cette dérogation est confirmée, cela revient à permettre aux plus aisés de quitter leur appartement et le bitume pour aller regarder l’herbe pousser dans leur maison de vacances. Les autres devront se contenter d’un bout de trottoir car les parcs et jardins sont toujours fermés à Paris. Si le Prince le décide ainsi, l’exception sera privilège.

Serait-ce ça l'Etat d’exception ?

Voici une semaine que nous avons dérogé à la règle des 100 km. Enfin, pas vraiment... Il a suffi à mi-chemin de changer de justificatif de domicile pour réussir le grand déconfinement. Comme avant, le travail se fait à distance. Nous sommes privilégiés.

Je suis entrée dans une librairie. C'était à Espalion après plus de deux mois sans avoir fréquenté ce genre de magasin. Heureusement, le confinement m'avait tellement essoré la tête que je n'ai pas eu à souffrir du manque de livres nouveaux.

Le gel hydoalcoolique à l'entrée, le masque sur le nez, j'ai déambulé dans les rayons. De la buée se formait sur les lunettes et rendait la visite compliquée. La libraire se lamentait sur ses tables clairsemées et ses commandes qui n'arrivaient pas. Mais elle était heureuse de retrouver les clients, les lecteurs, de partager ses coups de coeur. Sans idée de ce que j'allais acheter, mais décidée coûte que coûte à ne pas repartir les mains vides, j'ai fini par trouvé mon bonheur et passé une commande pour la semaine prochaine. Renouer avec les habitudes.

Aujourd'hui, une hirondelle est entrée dans la maison. Elle cherchait la sortie en se heurtant à la fenêtre fermée. Un linge sombre pour la recouvrir, et elle s’est calmée. Mon compagnon l’a prise dans ses mains, le temps de l'admirer et il l’a relâchée. Je n’avais jamais vu d’hirondelle d'aussi près.

Tous les jours, je compose un bouquet différent. Dans les champs ou au jardin, je cueille des narcisses, marguerites, lilas, et bien d'autres fleurs dont je ne connais pas les noms.

Parfois, on a l'impression d'être loin de la pandémie, mais elle sait nous retrouver.

Hier, la transhumance a eu lieu. Elle s'est faite sans spectateurs. Personne sur les bas-côtés des routes pour saluer les belles vaches d'Aubrac qui vont vers les estives. Il n'y eut pas d'exception.