La candidature de Mike Bloomberg révèle la fracture au sein du parti démocrate
La candidature de Mike Bloomberg a surpris tous les observateurs : il avait renoncé à la campagne en mars, assurant qu’il y avait trop de candidats pour qu’il puisse s’y faire une place et reportant tous les espoirs des centristes sur Joe Biden, l’ancien vice-président, qui s’apprêtait à entrer dans la course.
Six mois plus tard, donc, revoilà Bloomberg, ses millions et son arrogance, qui déclenche la fureur de l’aile progressiste du Parti démocrate. Il faut dire que Bloomberg les combat vigoureusement et qu’il n’est pas franchement en bons termes avec Bernie Sanders ou Elizabeth Warren. On n’a donc pas été surpris de les entendre l’accueillir avec des déclarations violentes, l’accusant même de vouloir « acheter le poste de président ».
Bloomberg n’en a que faire. Il est là pour promouvoir ses idées et le fait avec une présence publicitaire jamais vue à ce jour dans une présidentielle : plus de 30 millions dépensés pour promouvoir son entrée en campagne, 13,2 millions investis dans les 14 Etats du premier « Super-Mardi » en une seule semaine : c’est plus que ne l’a fait chacun des candidats au cours de la totalité de sa campagne depuis le début de l’année !
Bloomberg a annoncé une drôle de stratégie, en « sautant » les quatre premiers scrutins de février pour se concentrer donc sur ceux du Super-Mardi du 3 mars. Il faut dire que les quatre premiers votes ne rapportent en tout « que » 155 délégués, à se partager entre les candidats qui dépasseront 15% des suffrages, alors que la seule Californie rapporte à elle-seule 495 délégués. Le Super-Mardi sera une « super-collecte » puisqu’il y aura encore 262 délégués à conquérir au Texas, 114 au Massachusetts, sans compter tous ceux de l’Alabama, du Colorado, du Minnesota, de la Caroline du Nord, du Tennessee, de la Virginie et de 5 autres États encore, pour un total de 1352 délégués.
Le système de désignation du candidat à la présidentielle passe par un vote local, qui prend la forme d’un caucus ou d’une primaire. Le caucus est un vote par les seuls militants du Parti, alors que la primaire est élargie aux sympathisants répertoriées (primaire fermée) ou à tout le monde (primaire ouverte). Dans chaque État, après chacun de ces scrutins, un certain nombre de délégués, décidé au niveau de la direction du Parti, est partagé entre les candidats qui obtiennent plus de 15% des voix. Ce sont ces délégués qui, au final, désigne le candidat lors d’une convention nationale qui se tient au cours de l’été. En général, ils votent suivant le résultat obtenu dans leur État. Ils y sont même forcés dans la plupart d’entre eux.
Si le grand public ne suit que le vote général, État après État, les cadres du Parti et les candidats agissent pourtant en coulisse pour influencer les résultats. C’est d’autant plus important cette année qu’il y a une vraie fracture qui s’est ouverte entre les progressistes et les modérés au sein du Parti de l’Âne (c’est le surnom du parti démocrate).
Cette fracture est devenue visible à partir de 2016, dans la compétition qui opposait Hillary Clinton à Bernie Sanders. Après cette élection qui a été très tendue, les progressistes ont tout d’abord tenté de faire supprimer le système des « super-délégués », qui s’ajoutent au total et votent comme ils l’entendent. Ces supers-délégués sont des cadres du Parti ou des élus ou d’anciens élus, qui favorisent principalement la ligne modérée du Parti. Bernie Sanders et ses amis ont finalement obtenu que ces super-délégués ne voteront pas lors du premier tour de la convention. C’était une vraie victoire puisqu’il n’y a plus eu de 2e tour depuis les années 60.
Mais tout se complique en 2020 car il se dessine que la primaire va se disputer à trois, entre Joe Biden, Bernie Sanders et Elizabeth Warren que personne n’attendait. Si les prévisions se vérifient, cela signifie qu’il y aura une convention « contestée », et donc un 2e, voire un 3e tour. L’importance des super-délégués réapparait donc. S’ils ne seront que 38 affectés au cours des quatre premiers scrutins, il y a un gain potentiel de 249 délégués supplémentaires au cours du Super-Tuesday. On comprend donc que si la course présidentielle ne donne pas un gagnant et que les voix se répartissent en trois tiers plus ou moins équivalent, ce qui est très probable, ce sont ces super-délégués qui arbitreront et feront le Roi.
Quel rapport tout cela a-t-il avec Michael Bloomberg ? A priori, il part comme concurrent et beaucoup pensent qu’il ne réussira pas à monter dans le train en marche. Cette vision correspond un peu à regarder le doigt quand ce doigt montre la lune, selon le proverbe chinois bien connu. Une autre vision consiste à observer le jeu général d’un peu plus haut et de remarquer qu’il y a eu de nombreux mouvement étonnants ces derniers temps : Les stratégies politiciennes sont souvent invisibles pour le grand public. Peu ont vu que le nombre de caucus, qui était de onze en 2016, avait brutalement chuté et que beaucoup de primaires « fermées » étaient désormais « ouvertes » : il faut dire que le système des caucus et les primaires « fermées », c’est-à-dire réservées aux militants et sympathisants reconnus, avait été très favorable à Bernie Sanders, alors que le choix de l’ouverture bénéficie davantage aux plus modérés, comme Hillary en 2016, et certainement Biden en 2020.
Beaucoup de leaders sont également montés au créneau ces derniers jours, au premier rang desquels Barack Obama, qui a lancé un appel aux militants démocrates pour les avertir du danger d’un glissement trop à gauche. « Il faut battre Trump », a-t-il rappelé pour justifier son intervention et ne pas s’attirer l’ire du camp progressiste.
Puis, très vite, deux nouveaux candidats que l’on n’attendait plus et qui sont tous les deux centristes se sont lancés dans cette compétition déjà surchargée : Deval Patrick, que personne ne connait en dehors du Massachusetts, dont il a été le gouverneur, pourrait bien n’avoir qu’une seule mission : reprendre autant de voix qu’il le pourra à Elizabeth Warren, sénatrice du même État et qui domine les sondages du Massachusetts, qui lui donnent tous une confortable avance. Quant à Michael Bloomberg, avec son argent et sa force de frappe, il fera la promotion des idées centristes et attaquera plus franchement ces « gauchistes » dans les États où il s’est pour sa part construit un réseau solide, comme la Californie. Pas moins de 495 délégués sont à conquérir ici, au cours du Super-Tuesday. Elizabeth Warren y est pourtant également en tête pour le moment, dans l’État qui est devenu le fer de lance du progressisme et de l’anti-trumpisme dans le pays. Chaque délégué ramené au centre renforcera ainsi la position de Joe Biden. Bloomberg ne serait donc peut-être que la « voiture-balai » de Joe Biden, au service duquel il met ses millions sans le dire, et tentant de voler à Elizabeth Warren et Bernie Sanders le plus de délégués possibles.
La route est encore longue jusqu’au Wisconsin où se tiendra la convention démocrate... Il devrait y avoir de nombreux autres soubresauts, qui trahiront les nombreuses tensions qui secouent le Parti.