La complexité du compliment littéraire
Complimenter sans flagorner
L’art du compliment, quand il s’exerce pour vanter les mérites d’un écrivain, peut recéler au moins deux écueils : le manque de renouveau quant à la forme et la promiscuité au parfum d’arrangements entre personnes du sérail. Heureusement, on compte beaucoup de voix qui, en s’élevant au-dessus du ronronnement des critiques interchangeables, donnent à ce genre particulier ses lettres de noblesse. Nous allons voir qu’adresser un compliment sans être flagorneur n’est pas toujours la chose la plus facile au monde !
Partie 1 : Les formules toutes faites !
Le remplissage plutôt que l’extase
Il ne semble pas aisé de renouveler la pratique du compliment littéraire. Cette réflexion s’est imposée à moi, suite à la lecture de plusieurs billets et autres articles relevés au fil du temps dans différents magazines chroniquant des romans. D’une année sur l’autre, par paresse ou manque d’imagination peut-être, on a l’impression que l’originalité a tendance à se tarir dans l’encrier des critiques. Il est certes normal de ne pouvoir à tous coups se montrer inventif pour parler de livres ne l’étant pas forcément eux-mêmes. Combler des vides pour donner un peu de consistance à l’ouvrage dont on parle est moins stimulant que de s’émerveiller de la richesse de son style ou de la hardiesse de son intrigue. C’est le remplissage au détriment de l’extase.
La critique douce, ou l’ « entre-soie »
Cependant, je reconnais à de nombreux rédacteurs le louable effort qu’ils fournissent pour ne pas recycler à l’infini des formules toutes faites, alors qu’il leur revient de traiter des thèmes cent fois mal rabâchés. Certains auteurs ne font hélas que tourner en rond sans que leur pensée change de diamètre. L’abondante production (1) de chaque rentrée littéraire est donc loin de ne générer que des chefs-d’œuvre. Pourtant, un grand nombre de ces livres a droit aux honneurs de la presse spécialisée. Je parle là de retours plutôt élogieux, travaillés avec un style enlevé notamment au moment de leur conclusion. Sans se complaire dans une prose laudative, c’est souvent à l’abri d’une plume bienveillante que ces critiques, pour beaucoup auteurs eux-mêmes, dissimulent – à (grand-) peine – un esprit de chapelle.
Quand les artistes sont dans l’éloge
En quelle part la connivence naturelle liant certains gens de lettres entre-t-elle dans la volonté de sublimer un écrit qui n’en demandait pas tant ? Et combien de limites à ne pas franchir le signataire d’une chronique s’impose-t-il afin que son compliment conserve un fond de sincérité ? Je ne remets pas systématiquement cette dernière en cause, mais on sait que des « amitiés » intéressées peuvent amener à choisir avec art une phrase plus favorable qu’une autre au bon accueil du roman chroniqué. Si tout n’est pas que copinage, et c’est heureux, il serait naïf de penser qu’il n’existe pas. « On place ses éloges comme on place de l’argent, pour qu’ils nous soient rendus avec les intérêts. », disait Jules Renard.
C’est au travers de critiques positives et de compliments sentis que les écrivains de L’esprit livre partagent leur expertise
Partie 2 : L’authenticité et la créativité crédibilisent les compliments
Ces flatteurs n’écrivant pas à nos dépens
Il est toutefois des enthousiasmes littéraires jaillissant du fond du cœur et qui entraînent de splendides excès de verve tant souhaitables que revitalisants. Si un critique s’enflamme avec brio pour un roman, chacun en tirera bénéfice. L’auteur de l’article, content d’avoir partagé une lecture l’ayant enchanté ; l’écrivain encensé, ravi qu’on reconnaisse son talent et de la publicité lui étant faite ; et bien sûr, celui qui grâce aux deux premiers prend connaissance de l’existence d’un livre pouvant potentiellement l’intéresser. Quand on sent plus de plaisir que de fabrication derrière le compliment, plus de spontanéité que de métier, il est permis de croire à l’honnêteté des mots aussi flatteurs soient-ils.
Le compliment bicéphale
Recommandé par LinkedIn
D’ailleurs, est-ce le compliment seul qui parvient à susciter le désir d’achat chez un lecteur, ou la façon dont il est tourné ? Car au-delà de découvrir ce que le roman chroniqué pourrait nous offrir de façon factuelle, il y a le vocabulaire destiné à exprimer les émotions ressenties par l’exégète. Émotions éveillant dans l’emphase ou dans la frénésie, dans le questionnement comme dans l’explication, l’écho des pages tournées. Ce qui est passionnel est souvent amené à se détacher de l’analyse tout en la complétant. Bien que ne fonctionnant pas sur ces uniques registres, le compliment peut s’articuler essentiellement selon cette structure bicéphale : dire ce qui a plu et rendre plaisant, voire brillant, la manière dont on le dit.
Partie 3 Les associations flatteuses
Parlez-moi de quelqu’un d’autre pour que je sache qui vous êtes
D’autres constantes gravitent autour de cette approche positive du texte. Pour valoriser le roman de l’auteur concerné, les références aux écrivains déjà installés dans le paysage éditorial sont fréquentes, le compliment s’inscrivant alors dans la comparaison. Cet adoubement par figure emblématique interposée est utilisé par le chroniqueur afin de permettre au lecteur d’être en terrain connu. Même s’il ignorait tout de l’écrivain mis en avant à l’occasion de l’article lui étant consacré, le savoir littérairement proche d’une pointure constitue pour le lecteur, si ce n’est la certitude qu’il lui plaise, du moins un gage de qualité.
La grande famille des compliments
Ainsi, dans Le Nouveau Magazine Littéraire de mars 2020, Patricia Reznikov crée-t-elle une filiation entre Anne-Sophie Stefanini et Modiano pour son livre Cette inconnue : « Distillant des effluves nostalgiques à la Modiano, mystérieuse et poétique, l’autrice nous emmène au temps de l’amour et du combat politique, parmi les spectres d’une histoire interdite. » À noter que dans la même rubrique « critique fiction » de ce numéro, Jean-François Paillard écrit « Tancé, dépouillé, battu, ce bibendum victimisé a quelque chose du Plume de Michaux, du Porcinet du conte cruel de Sa Majesté des mouches. » La parenté s’effectue cette fois via les personnages d’œuvres célèbres, mais la démarche reste identique pour donner un peu de galon à Valérian Guillaume afin de mieux saluer son roman Nul si découvert.
La palette des compliments
Le procédé a ses limites, qui ne dupera guère plus qu’il ne le souhaite le lecteur comprenant qu’un écrivain n’acquiert pas le talent de celui auquel un critique a décidé de l’associer. Cela peut néanmoins susciter de la curiosité, voire une envie. D’ailleurs, sans piocher dans le vivier des auteurs tutélaires, les journalistes empruntent aussi à d’autres arts leur pouvoir évocateur, comme le regretté André Clavel quand il colorait sa chronique d’une touche de peinture : « Cyprian, l’acrobate de cirque qui pourrait sortir d’une toile de Chagall. » (2) L’important ne serait donc pas tant qui l’on cite que l’image qu’il renvoie, pourvu qu’une notion d’excellence s’y rattache.
Quand le compliment doit prendre de l’altitude
Cette citation d’André Gide en dit long sur le risque du mauvais maniement d’un compliment : « Pourtant j’aime les compliments ; mais ceux des maladroits m’exaspèrent ; ce qui ne me flatte pas au bon endroit me hérisse. » Gide n’a probablement pas confié ceci par orgueil. Mais cette phrase souligne une réalité : la plus soignée des louanges restera sans effet pour soulager la démangeaison égotiste de quelques écrivains pour qui les attentes en la matière ne seront de toute façon jamais comblées. Que voulez-vous, l’opinion que certains romanciers ont d’eux-mêmes est si élevée qu’il faudrait pour les satisfaire mettre au point un altimètre greffé à l’écorce d’un dithyrambier. Mais si, voyons, cet arbre à compliments existe. J’en ai planté un dans la montagne, il ne pousse qu’en altitude.
Même en fin de repas, jamais un compliment ne dessert
Si la formule « La nouvelle critique : un sujet, un verbe, un compliment » due à un auteur qui aurait mérité de ne pas demeurer anonyme est très drôle, difficile d’affirmer qu’elle reflète avec fidélité la réalité. Il n’est pas rare de lire des chroniques ouvragées avec tant de minutie et de style, et élaborées avec un savoir-faire si habile, qu’on ne peut être qu’admiratif de ce que le regard sur le travail d’un autre génère d’excellence chez celui qui le porte. Il aurait été dommage de ne pas achever cet article par un compliment…
(2) Critique de La chorale des maîtres bouchers, de Louise Erdrich, dans Lire de février 2005.
Quel est le plus beau compliment que vous avez reçu ? Osez le partager ! Soyez assuré qu’il sera grandement apprécié par d’autres….