La courbine : une grande richesse méconnue (1)

La pêche de la courbine est d’une grande importance pour la sécurité alimentaire de la Mauritanie. Elle joue aussi un rôle de premier plan dans les régions côtières, lors de sa saison de pêche, contribuant notablement à l’économie locale. La courbine est un produit de premier choix pour les classes moyennes mauritaniennes particulièrement à Nouadhibou et à Nouakchott. La forte volatilité des prix de cette espèce sur les marchés de ces deux villes est une menace à la fois pour la sécurité alimentaire mais aussi pour la rentabilité de l’activité de pêche de cette espèce et partant de la survie de toute la filière. La valeur ajoutée créée par la filière de la courbine serait de 3 000 000 000 MRO (3 milliards). L’emploi généré par cette pêcherie est estimé à 4000 en 2018. C’est un emploi essentiellement saisonnier. Au-delà de son poids économique et social, cette espèce contribue fortement à l’identité culturelle et à l’équilibre du littoral mauritanien. Mais les conditions d’exploitation de la courbine ont subi une grande mutation au cours des quinze dernières années : très fortes baisses des captures du segment industriel démersal sous l’effet conjugué de l’instauration de nouvelles mesures de gestion en matière de zonage, de la mise en œuvre du Vessel Monitoring System (repérage des bateaux de pêche par satellites) et de l’introduction de la mesure d’interdiction de l’exportation de cette espèce à partir de 2008. Depuis cette mesure d’interdiction de l’exportation, les débarquements de cette espèce deviennent plus erratiques Cette dernière mesure a surtout affecté l’activité artisanale qui a fortement réduit ses débarquements. Jusqu’en milieu des années 2000, la production mauritanienne représente plus de 60 % de la production mondiale.

C’est donc une espèce qui a suscité et suscite beaucoup d’intérêts en raison de son importance économique, sociale et culturelle et des changements brusques de son abondance. Parallèlement, des craintes de son effondrement, exprimées à différentes occasions par des acteurs de cette filière et par une frange de la société civile, se sont fortement accrues depuis la fin de 2016 en raison d’une augmentation importante et rapide de ses captures « illégales » effectuées par des bateaux côtiers étrangers. Cette situation est à l’origine de différents types de conflits, encore latents, notamment dans la zone nord de la ZEEM sur cette ressource migratrice qui n’est pas uniquement inféodée à la zone côtière et notamment sur le Banc d’Arguin mais aussi se rencontre plus au large. En outre, lors de sa migration nord sud, elle dépasse les frontières de la zone mauritanienne et fait l’objet de captures parfois importantes au Maroc et au Sénégal.


Un peu d’histoire

En Mauritanie, la pêche de la courbine a une très longue histoire. Les communautés autochtones la pêchaient dans les eaux côtières plusieurs de siècles avant l’arrivée des européens. Vernet et Tous (2004) signalent, sur la base de l’analyse de très anciens vestiges historiques la pêche de la courbine à Cansado, à proximité de Nouadhibou, il y a presque 10 000 ans, avec des filets fixes, qui piègent le poisson, en utilisant le flux et le reflux de la marée dans les chenaux littoraux étroits et peu profonds. Elle était donc fort probablement à l’origine de la première colonisation du littoral mauritanien.

Ce n’est que beaucoup plus tard, au XVII siècle, que la pêche de cette espèce a été (re) introduite en Mauritanie par les pêcheurs canariens. Les captures étaient transformées en vert (salées/ peu séchées), transportées par voies maritimes et débarquées aux îles Canaries. Les Imraguen ont largement contribué à cette pêcherie en fournissant la main d’œuvre. Ils ont ainsi acquis l’expérience de navigation, de manœuvre des lanches et un « savoir faire » dans le domaine de la pêche à la courbine.

Les Imarguens et les ressortissants de Nouadhibou ont aussi contribué à la prospérité de la Société industrielle de grande pêche (SIGP) créée en 1919, basée à Nouadhibou. Les captures furent vendues en produits finis, salé/séché.

C’est un poisson apprécié des pêcheurs au “surf-casting” en raison de sa grande combativité. Son abondance saisonnière en baie du Lévrier est à l’origine de la création au début des années 1970 d’un centre de pêche sportive à Nouadhibou. La courbine a participé ainsi à la promotion touristique de la Mauritanie. Cette activité s’est presque complètement arrêtée en 1996.

Au niveau du Banc D’Arguin (PNBA), la pêche de cette ressource a enregistré un regain d’intérêt, à la fin des années 1990. Elle était pratiquée principalement par les villages du nord (Agadir dans la zone mauritanienne bien sur) lors de la grande saison (Février à Juillet) et très temporairement dans les villages du sud lors de la petite saison (Novembre à Janvier). Il y a encore 3 ans, c’est l’une des pêcheries les plus importantes sur le PNBA et celle qui génère le plus de richesse pour les communautés de ses pêcheurs.

Le principal problème n’était pas de capturer beaucoup de courbine mais d’empêcher sa décomposition du fait que c’est un poisson délicat qui se dégrade rapidement surtout lors de grosses chaleurs qui coïncident avec sa principale saison de pêche.

Dans une prochaine livraison, je vous parlerai Incha ALLAH de l’évolution des débarquements par région et par saison, et celles des prix qui sont parfois plus élevés sur le marché intérieur qu’à l’export. Je vous donnerai aussi un tuyau pour acheter une courbine de 25 à 50 Kg à moitié prix. 

Ahmedou Ould Ahmedou

Actuel Ambassadeur, Ancien ministre , Consultant Politique des Pêches, Aménagement des ressources halieutiques, Formation professionnelle.

4 ans

Bonjour cher Mahfoudh Excellent comme d’habitude. Merci pour ce survol historique de l’évolution de cette pêcherie. Pour ma part j’ignorais que cette activité se pratiquait il ya si longtemps mais le plus intéressant est de trouver la courbine à moitié prix à condition toutefois que l’effort de nos braves pêcheurs soit correctement rémunéré.

Bonsoir Dr. Mahfoudh. C'est un très bon constat. Pour la CIGP, j'ai constaté pendant une visite de ses locaux avec son properietaire Sidi Med O/ Sidi Badi qu'elle été equipée pour l'élaboration des produits halieutiques (usine de traitement). Son histoire est baucoup interessant comme celle de l'institut mauritanien de pêche et de commerce IMAPEC qui fut lui aussi l'un des établissments de pêche qui ont marqué cette ville. Il est créé en 1964 pour l'exploitation et la transformation des produits halieutiques (conserverie).

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