La débâcle industrielle : l'incorrigible incohérence française
La politique industrielle française, un échec qui dure
En préférant le traitement social à de vrais choix économiques, la France a organisé la débâcle de son industrie. Quarante ans d'erreurs que, depuis « L'Etat brancardier », le chercheur Elie Cohen a raison de pointer.
On comprend qu'il ait toujours l'air un peu en colère. Voilà près de trente ans qu'Elie Cohen voit l'industrie française se casser la figure et personne ne rien faire pour la relever.
Relire Cohen, c'est remonter une chaîne de mauvais choix, de lâchetés et d'aberrations. Dès 1985, dans « Les Grandes Manoeuvres industrielles ", écrit avec Michel Bauer, il décrivait, acerbe, des hommes politiques « jouant au Monopoly » et des managers « se prenant pour Clausewitz ». L'échec, concluait-il, était « inscrit au coeur du succès ». Mais son vrai pavé dans la mare, il le jette en 1989 avec « L'Etat brancardier ». Celui-ci fit grand bruit, tant il mettait le doigt sur ce qui faisait mal avec son accroche explicite : « Comment la France en vingt ans est passée du déclin industriel aux litanies sur l'inexorable déclin » ! Vingt-cinq ans plus tard, Elie Cohen publie avec Pierre-André Buigues une somme de 400 pages : « Le Décrochage industriel » (*) et le résume ainsi : « L'histoire de l'industrie française, c'est vraiment l'histoire d'une débâcle qui entraîne le pays dans sa chute. " Le calcul est rapide : 20 ans +25 ans égalent 45 de perdus, pendant que nos voisins redressaient la barre, et pas seulement les Allemands. Dès les années 1980, l'industrie italienne prenait les devants. Machines et textiles transalpins sont passés en trente ans du sixième au cinquième rang mondial, pendant que la France chutait du cinquième au huitième.
Il est ainsi extraordinaire de constater à travers ces livres, ces descriptions rabâchées d'un même mal, la constance des mauvaises réponses qui ont été opposées. C'est que, au lieu de répondre à un problème économique par un remède économique, la France lui a appliqué un traitement social. Le premier de ces docteurs Knock fut Valéry Giscard d'Estaing, dirigeant aujourd'hui présenté comme le parangon de la modernité : « Il aura été celui qui a le plus développé l'Etat providence ", écrit Elie Cohen. Marqués par la disparition de pans entiers de la mécanique ou des mines de charbon (Alès, Decazeville, etc.), les dirigeants d'alors ne pensent qu'à amortir les chocs, pas à imaginer un nouveau modèle productif : « Une forme d'euthanasie industrielle avec traitement d'accompagnement de la douleur. "
Et ça n'a pas changé ! Aujourd'hui, par exemple, nos partenaires européens concentrent leurs efforts sur l'environnement et les économies d'énergie. En moyenne, en Europe, les pays y consacrent 27 % de leurs aides d'Etat. Ce taux atteint 40 % en Allemagne, 65 % aux Pays-Bas, 86 % en Suède, 41 % au Royaume-Uni, et... 2 % en France. Au lieu d'être ciblées, de raisonner par filières, les aides françaises sont encore « concentrées sur le social », saupoudrées dans les massives compensations de charges rendues nécessaires par le niveau du salaire minimum. Comment faire du mal un mal !
L'Allemagne, dont on n'a plus besoin d'expliquer l'effet Schröder vient, elle, récemment de montrer comment elle savait faire du mal un bien. Encouragés par une fiscalité verte, les industriels allemands avaient développé une production de panneaux solaires qui s'est brisée sur les bas prix des entrepreneurs chinois. Mais aujourd'hui, au moins, ceux-ci utilisent tous des machines allemandes pour fabriquer leurs panneaux ! Moralité, mieux vaut toujours faire des choix, organiser des filières. Penser l'avenir plus que panser le passé. Quel sens y avait-il à se battre pour Florange ?
En France, le modèle colbertiste tiré par des grands groupes et les commandes de l'Etat a d'abord suffi au rattrapage industriel que nécessitait l'après-guerre. Des grands ensembles, tels la CGE, vivaient des grands programmes et des marchés garantis, ferroviaire, nucléaire, etc. Et, quand la compétitivité dérapait, on dévaluait... Tout allait bien dans un monde inconscient ! Les choses se corsèrent quand, pour s'insérer dans la mondialisation, il n'a plus suffi de rattraper, mais il a fallu innover, se comparer. Le système français trop centralisé n'était pas propice à l'innovation. Les grosses PME familiales à l'allemande ou à l'italienne pouvaient compter sur leurs propres forces assises sur des savoir-faire et des spécialisations transmis de génération en génération. Leurs consoeurs françaises s'étaient pour la plupart contentées de vivre sous-capitalisées à la remorque des grands groupes qui les traitaient et les traitent encore mal. Surtout, « en choisissant l'Europe et la mondialisation, la France a basculé dans un monde où la dévaluation n'existait plus ". Elle perdit ainsi sa corde de rappel sans en chercher une autre, bref « sans en tirer la moindre conséquence ".
Les effets n'ont pas tardé à s'en faire sentir. On laisse filer la demande et lorsque, de temps en temps, on décide de mettre de l'ordre, comme on ne peut toucher ni aux impôts sur la consommation ni aux salaires, on augmente les impôts sur l'entreprise et on repart comme en 1940 ! Cohen résume : « A partir du milieu des années 1980, tout ce qu'on fait en politique économique nuit à l'industrie. La politique industrielle, c'est du bavardage ! " En quoi remplacer un ouvrier qualifié bien payé par une caissière exploitée serait un mieux ? Y a-t-il des grands pays exportateurs de services innovateurs sans base industrielle ? Non. Perdre sa capacité manufacturière, c'est risquer de voir s'inverser le rapport de force entre le donneur d'ordre et son sous-traitant : Apple l'a compris. Ce rebond américain est un des seuls signes qui remontent le moral de l'auteur du « Décrochage industriel ». La France, qui a laissé vieillir ses usines et n'a pas exploité à fond le numérique, peut trouver là des occasions de se « cramponner ", comme dirait François Hollande.
Sabine Delanglad - Les Echos
Déléguée à la transformation numérique de la DGFIP / Ministère de l'économie et des finances
7 ansJe recommande plutôt la lecture de "La société hyper industrielle" de Pierre Veltz .
Fondateur et Leader du Projet Autour du Soleil Développement - filière bois Innovations (ETI) France Afrique
7 ansBonjour Ayette = Savoir se remettre en cause est un avantage ! Je t'invite à vérifier et étudier son "pédigrée = il y a du savoir, rassure toi !!!"
Assistante Administration des Ventes en recherche d'emploi
7 ansPour un ancien conseiller économique d Hollande, il a manqué l occasion de se taire.