Réveiller l'industrie: pour quels marchés? (Volet 2)

Réveiller l'industrie: pour quels marchés? (Volet 2)

Acteurs politiques, chefs d’entreprise et citoyens sont d’accord sur un point : il serait sage de conserver sur notre territoire un savoir-faire et des capacités qui répondent à nos besoins essentiels et produisent de la richesse. Même si cette prise de conscience d’une lente descente aux enfers se fait à l’occasion d’une crise, ne négligeons pas le sursaut qu’elle pourrait susciter. 

Quand Montebourg en 2013 et Pannier-Runacher en 2020 évoquent leur mission de « reconquête industrielle », leur langage acte déjà la perte acquise de certains territoires. Le CNI, organisme paritaire, se veut lui aussi « l’outil de la reconquête industrielle en France », et ce, depuis sa création en 2010 ; en 10 ans de bonne volonté, il n’a pas réussi à inverser la courbe mortifère. Le programme France Relance (35 Milliards €) se fixe 4 axes : décarboner, (re)localiser, moderniser et innover, et les parenthèses sont révélatrices d’un débat sur le constat et la stratégie.

Notre industrie chancelle et nous devons retrouver une certaine indépendance manufacturière. Ce constat de compromis est fragile, car les motivations des partie-prenantes ne sont pas alignées : l’État et les politiques sont soucieux d’emplois et de recettes, les producteurs se préoccupent de l’avenir de leur entreprise, laquelle s’éloigne de plus en plus de la logique territoriale, et lorgnent sur une stratégie d’assistance, et les consommateurs sont  agités par la crainte de la pénurie mais achètent au rabais, oubliant qu’ils sont aussi frappés par la perte des emplois de production.

Ayant traité la question des compétences (voir le Volet 1 de l’article – 20.01), la seconde question est celle des marchés vers lesquels se tourner : faut-il consolider nos positions existantes (stratégie défensive), reprendre des positions perdues (reconquête) ou monter à l’assaut des fortins du futur (conquête territoriale)? Les discours des responsables politiques laissent entendre que les 3 objectifs doivent être poursuivis simultanément, stratégie qui ne manquerait pas de surprendre des officiers sur le terrain.

Le premier objectif tombe sous le sens, et pourtant… L’agro-alimentaire se bat sur le terrain des contradictions sociétales et environnementales, terrain souvent miné par les administrations. Le nucléaire subit les mêmes assauts et les mêmes contradictions. L’automobile est priée de faire sa mue de manière précipitée, l’aéronautique plonge dans un trou d’air viral et climatique, l’industrie navale reste incomprise et otage d’une certaine anarchie mondiale, et le luxe est suspendu au pouvoir d’achat d’oligarques exotiques. Pour les deux premiers marchés, l’avenir est évident à condition d’afficher une volonté nationale cohérente. Pour les autres, une adaptation est nécessaire, qui sache anticiper sur des évolutions du marché, dont certaines peuvent être provoquées par une volonté politique : par exemple, alors que nous nous félicitons de posséder des porte-conteneurs géants construits en Asie et livrant des produits chinois, une industrie navale nationale pourrait relancer une filière de cabotage européen (feedering) dont la flotte serait construite dans des chantiers français et qui répondrait aux enjeux environnementaux.

La reconquête, au-delà du terme qui sonne joliment, est la stratégie la plus incertaine : les places sont occupées d’un bout à l’autre de la chaîne logistique, depuis une fabrication lointaine jusqu’à la rediffusion locale en passant par tous les intermédiaires de transit. Une économie d’importation s’est substituée à une économie de production locale, et elle entend défendre ses positions. Ne nous y trompons pas : textiles, machines-outils, mécanique de précision, optique ont disparu des 18 filières organisées par le CNI. Quelle politique d’investissement à très long-terme faut-il adosser à des dispositions d’achat préférentiel, que le libéralisme européen condamne, pour extraire du néant de telles productions ?  Quel tissu de petites et moyennes structures convient-il de susciter et soutenir dans ces secteurs pour démarrer petit et réapprendre à marcher loin des logiques de grands groupes ?   

Enfin, la promesse de conquérir de nouveaux marchés – et on ne peut pas parler de « reconquête » - a le parfum de l’inconnu et la séduction des innovations encore virtuelles : quel pays n’évoque pas aujourd’hui le digital (qui est un outil et non une fin en soi : il ne vous nourrit pas et ne vous habille pas), le quantique (encore un moyen), les batteries, le soleil, le vent marin, etc… ? Pourra-t-on vraiment percer et se différencier dans de tels domaines ? Répondent-ils aux enjeux de résilience, d’indépendance, d’autonomie, de valeur ajoutée ?

La lecture des différents plans (voir par exemple celui du Comité Interministériel de la Mer) donne le tournis : la volonté d’exhaustivité et de satisfaction de toutes les aspirations sociétales amène à produire des listes de courses complexes et illisibles. Les fantassins ont besoin qu’on leur désigne quelques citadelles à prendre et non une série d’îles dont certaines sont perdues dans le brouillard.  

 

eric.blanc@internalconnections.org


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