La dépression expliquée par Pr Belaid
1) Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une dépression ?
Il est vrai que le sujet de la dépression est un sujet extrêmement intéressant. Je crois que c’est l’une des pathologies psychiatriques les plus fréquentes en population générale et il est bien évident que l’intérêt pour pouvoir parler de la dépression est double.
Le premier intérêt est de desceller cet état dépressif à temps pour pouvoir le traiter, puisque son traitement est quelque chose que les psychiatres connaissent bien. C’est un traitement en général facile qui nécessite à peu près une durée d’un mois, ce qui permet de prévenir l’évolution vers des pathologies plus graves. Aujourd’hui on sait que la pathologie dépressive est un facteur de risque pour les maladies cardiovasculaires.
Le deuxième intérêt tout aussi important, est que cette maladie est fréquente, environ 18 à 20 % de la population mondiale, et que le risque pour ces patients est la tentative de suicide.
Sur 100 malades, on compte approximativement 20 cas de dépression et sur 20 dépressifs, il y a en moyenne 2 qui se suicident ou tenteront de se suicider. Le problème donc est de limiter le suicide dans une population donnée. C’est pour cela qu’à l’heure actuelle, toutes les sociétés savantes et tous les laboratoires, veulent sensibiliser pour la détection de la dépression en vue de limiter le taux de suicide dans une population.
Alors qu’est-ce que la dépression ? C’est une tristesse, c’est un dégoût, un affaiblissement, une inhibition psychomotrice qui dure au moins 2 semaines. Dans la vie de tous les jours, on peut être triste le matin, gai l’après-midi, on peut justement se sentir morose pendant quelques jours et on finit par se relever. Contrairement à cela, la particularité de la dépression c’est que c’est une tristesse qui se fixe sur un pôle négatif pendant au moins deux semaines et ce n’est qu’à ce titre qu’on peut parler de dépression. Ce n’est pas parce qu’on est triste qu’on est forcément dépressif, le problème de la dépression, c’est que la sémiologie est quand même assez compliquée. L’être humain a une mimique qui oscille vers l’euphorie et la tristesse continuellement dans la journée. Le matin on peut se lever du mauvais pied puis après, on se sent triste pendant un bon moment, préoccupé puis gai juste après… et ceux-ci, ce sont les mouvements normaux de notre humeur. Si notre humeur se fixe sur un pôle négatif pendant un quart d’heure alors là, on est dans la dépression et il est nécessaire de consulter un psychiatre.
2) Qu’est ce qui peut expliquer les taux élevés de malades souffrant de troubles mentaux en Algérie
Je crois que c’est une question un peu bizarre que vous êtes en train de me poser, on n’est pas particulièrement exposé aux maladies psychiatriques plus que d’autres. Les autres ont l’avantage de faire des études épidémiologiques sur le terrain, alors que nous ici en Algérie il n’y a pas d’études épidémiologiques. De ce fait, rien n’explique en réalité l’augmentation des maladies psychiatrique.
On est par ailleurs, dans les mêmes considérations que les autres pays. Nous n’avons pas plus de dépressions qu’ailleurs ni plus de schizophrénies, ni plus de troubles anxieux.
3) Est-il important d’instaurer des campagnes de sensibilisation à la dépression ?
C’est tout à fait nécessaire, parce que la dépression touche toutes les pathologies psychiatriques, ce qui implique qu’elle touche toutes les catégories de personnes. Ça peut toucher les adolescents, les femmes, les femmes enceintes, les hommes qui travaillent, les hommes qui ont des difficultés, les enfants ayant des difficultés aussi. En réalité cela touche pratiquement toute la société, que la dépression soit symptomatique d’une affection psychiatrique ou pas et le fait de sensibiliser, nous permet alors de voir la dépression à ses débuts et donc une prise en charge précoce.
4) Y-a-t-il différentes formes de dépression ?
Oui, c’est certain, je vais vous en citer en premier une qui est très simple, c’est la préoccupation de son état de santé, parce qu’on ne se sent pas en forme, on est fatigué moralement et ce, pendant deux semaines. Cependant, dans ce cas, dès qu’une consultation chez le psychiatre est faite, les choses s’améliorent.
Nous avons aussi, ce qu’on appelle une dépression légère, elle est généralement consécutive à une situation de stress, à une situation pénible ou à une situation professionnelle, elle est en général réactionnelle et il s’agit d’une dépression légère dans ce cas.
Dans d’autres cas extrêmes, on fera face à une personne obstinée à mourir, car elle se voit submergée d’un sentiment d’inutilité, c’est un sentiment pénible et qui à ses yeux ne mérite que la mort. Dans ce cas-là, on parle d’une urgence qui nécessite une hospitalisation parce qu’à ce stade, le patient envisage ou a déjà envisagé de se suicider. Il y a donc plusieurs types de dépression : une dépression légère, moyenne et profonde.
Concernant, la dépression profonde, il est important d’agir vite par une hospitalisation, un traitement et un suivi à long terme, par contre la dépression moyenne peut être prise en charge en ambulatoire.
5) Les causes de la dépression ?
Vous savez, les causes de la dépression sont multiples, elles peuvent être d’origine psychiatrique. Le malade peut avoir une maladie psychiatrique et la pathologie psychiatrique que l’on rencontre le plus c’est l’anxiété. Le patient atteint d’anxiété ressent un sentiment pénible d’attente qui fait que quand ça tarde dans le temps, ses capacités adaptatives s’épuisent engendrant la dépression.
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C’est important de parler de l’anxiété car c’est la pathologie la plus fréquente en population générale. Chacun de nous a été, est ou sera anxieux et donc forcément a été, est ou sera dépressif plus tard. Ce qui signifie que l’anxiété et la dépression sont parfois intimement liées et si on est anxieux il y aura l’épuisement de la capacité adaptative.
La deuxième cause de la dépression, c’est le stress. Le stress reste quelque chose à combattre fortement, il représente une réaction à une situation qui vient dans la vie de tous les jours.
On est souvent préoccupé par le travail, la famille et par pas mal de choses et ce sont des événements stressants qui quand ils durent dans le temps, ils finissent par épuiser la capacité adaptative et donc on est dans la dépression.
Aussi quand on a une maladie somatique grave, exemple maladie cardiovasculaire, des maladies cancéreuses et d’autres. Toutes ses maladies somatiques, quand elles sont chroniques, peuvent engendrer une dépression.
6) Ou consulter en cas de dépression
La première des choses, quand ce sentiment de tristesse, de dégoût vital, d’inhibition ou d’idée de mort nous envahis, à mon avis le mieux serait d’aller voir son médecin de famille. Les médecins généralistes sont mieux outillés et ont la capacité d’écouter surtout ceux ayant fait des formations dans la détection des maladies dépressives.
Ils savent répondre à la demande en prescrivant et en suivant le patient pour une certaine durée. C’est pour cela que le patient doit en parler avec son médecin, parler de tout sans retenue. Toutefois, gardons-nous en tant que médecins de donner des attitudes rassurantes ou des avis variés. Nous médecins, quelle que soit notre spécialité, nous devons avoir une écoute, une disponibilité et une neutralité. Ce sont ces trois fondements qui rassurent le patient, car dans le cas où on donne une interprétation ambiguë parfois religieuse, le patient aura tendance à ne pas se confier. Il est important de dire aussi, que le médecin consulté, en cas de gravité de la situation orientera directement le patient vers un psychiatre.
7) Quelle sont les moyens de prise en charge des maladies dépressives ?
Il existe plusieurs armes en matière de prise en charge des maladies dépressives. La première arme est le traitement médical, il faut donner un antidépresseur pour une durée suffisante et à dose suffisante et ce pendant au moins 6 mois voire une année.
La deuxième arme consiste en la psychothérapie qui doit amener le médecin à prescrire une situation plaisante car au niveau de la pensée le malade dépressif pense à quelque chose de négative et donc on va amener le patient à envisager des situations plaisantes, des situations qu’ils aiment bien faire et qu’il doit investir, on l’amènera par ailleurs à penser à quelque chose de positive. C’est ce qu’on appelle des alternatives à sa pensée ou des psychothérapies cognitives. Par la suite, on va le stimuler et on va lui demander de pratiquer des activités sportives tout en aidant la famille dans l’accompagnement du patient, et c’est ce qui nous permettra d’arriver à de bons résultats.
Parmi ces patients-là, une fois pris en charge, 50 à 60 % sont entrain de gambader et ce au bout d’un mois de traitement. Pour les autres patients, on est obligé de poursuivre le traitement en milieu hospitalier et parfois recourir à d’autres pratiques thérapeutiques qui ne sont disponible que dans le milieu hospitalier. C’est ce qu’on appelle l’électro convulsivothérapie, ce sont des appareils qui permettent de d’envoyer des courants alternatifs pour stimuler le cerveau et faire émerger le patient de sa torpeur et de son inhibition. On peut recourir aussi à la stimulation transcrânienne qui utilise des courants magnétiques qui permettent de stimuler les régions du cerveau qui sont ralentis.
Pour résumé, il existe plusieurs alternatives : les antidépresseurs, la psychothérapie, l’électro convulsivothérapie et la stimulation transcrânienne. Concernant les deux dernières techniques, elles sont disponibles en Algérie.
8) Quelles sont les mesures à prendre dans l’immédiat et dans le futur pour apporter des solutions aux malades souffrant de dépression en Algérie ?
Concernant cet aspect, il y a beaucoup de choses à faire, il faut former les médecins généralistes et les psychologues à la détection et à la prise en charge de la dépression. Ceci est important, car plus on forme de médecins généralistes, mieux sera la prise en charge du patient et moins il y aura de décompensation psychiatrique ce qui engendre moins de suicide.
Par ailleurs c’est important aussi que les laboratoires pharmaceutiques sensibilisent les médecins généralistes à la détection et à la prise en charge de cette pathologie. Ce que nous disons en ce moment n’est pas nouveau, en effet, l’OMS a adjoint aux pays de former des médecins généralistes en vue de la détection de la dépression, ce qui a permis de diminuer le taux de dépression et de suicide à chaque fois.
Pour rajouter autre chose, dans le pays nous comptons plus de 6 000 psychologues, on pourrait les rassembler sur des sites et organiser des centres d’écoute et éventuellement aller vers des centres d’orientation vers des médecins généralistes qui s’occupent de la dépression et vers des psychiatres
Aussi, organiser des activités de loisirs, de sport, de la musique… Et tout ce qui peut être source d’évasion mentale.