La data au service de l’évolution du marché des mutuelles en France
Après la deuxième guerre mondiale, les mutuelles ont pris une place prépondérante dans l’économie sociale et solidaire en France.
Aujourd’hui, les évolutions réglementaires et la mutation incessante d’un marché de plus en plus concurrentiel obligent ces acteurs de la mutualité à s’adapter en permanence ou à disparaître …
La data avec ses technologies et métiers s’impose plus que jamais, en tant qu’atout déterminant dans cette course contre la montre.
Les mutuelles sont des sociétés de personnes à but non lucratif qui prônent le principe de solidarité entre leurs adhérents.
Les recettes d’une mutuelle proviennent principalement des cotisations apportées par les adhérents et les dépenses (outre celles de fonctionnement) sont principalement constituées par les remboursements versés aux adhérents au titre des prestations assurées conformément aux produits et garanties souscrits.
Les cotisations sont indépendantes du risque individuel de l'adhérent dans une mutuelle, leur calcul va dépendre principalement de l’âge, lieu de résidence et la couverture choisie. Cela ne signifie pas que les mutuelles n’étudient pas le risque… elles le font différemment par l'adaptation des cotisations selon l'âge de l'adhérent, et par la spécialisation par secteur (ce qui permet d’étudier le risque assurantiel au niveau global) : mutuelles de cadres, d'étudiants, de fonctionnaires de l’état, …
Les mutuelles se distinguent des compagnies d’assurances sur beaucoup d’aspects, notamment la maitrise du risque, la forme sociale ou le versement de dividendes auprès des actionnaires…
Notons qu’historiquement, le stockage et l’utilisation de données par les mutuelles étaient limités aux fonctions de gestion : recueil de données au moment de l’adhésion avec peu d’actualisation durant la vie de contrat, (re) calcul des cotisations et calcul des décaissements ou prestations.
Les mutuelles avaient aussi un fonctionnement très orienté produit/garantie, nous n’avons commencé à les entendre parler « Service » qu’à partir de la fin du 20ème siècle. Elles proposent principalement des :
1- Complémentaire santé : pour répondre au besoin quotidien de remboursement de frais de santé comme les consultations de médecins généralistes et spécialistes (optique, dentaire, audition, …), la pharmacie, l’hospitalisation ou même le recours à la médecine non conventionnelle ou douce (ostéopathie, …)
2- Prévoyance : pour faire face aux aléas de la vie, tant à titre personnel que professionnel pour couvrir des risques liés au décès, l’incapacité/invalidité, la dépendance, …
Globalement, les prestations versées par une mutuelle au titre des frais de santé sont de petites sommes mais qui ont une fréquence élevée. En revanche, les prestations versées au titre des sinistres en prévoyance correspondent à des sommes plus conséquentes mais qui ont une fréquence mois importantes.
Du coup, l’analyse des produits/garanties de ces deux grandes familles ne s’adressent pas de la même manière et nécessitent des approches (outils, données, méthodologies, …) différentes.
D’un autre côté, nous constatons que la data est en train de révolutionner le domaine de la santé depuis quelques décennies dans :
· Le diagnostic et la détection des maladies ou bien la recherche de nouveaux médicaments/vaccins
· L’optimisation de gestion des structures de soin : pour par exemple, sur la base de zones et niveaux d’affluence, mobiliser le matériel médical adapté et aussi les ressources humaines nécessaires et suffisantes (médecins et personnels adéquats).
· Dans le domaine de la prévention au niveau primaire en agissant en amont du risque pour éviter qu’il ne se réalise grâce par exemple, à la vaccination ou l’éducation à la santé par la pratique de sports, ou bien au niveau secondaire ou tertiaire par la détection du risque le plus tôt possible grâce par exemple, aux examens de dépistage et éviter son aggravation ou les rechutes.
Il est important de préciser que la prévention est un facteur de différenciation entre les acteurs du marché car elle permet d’installer une relation de confiance avec l’adhérent et offrir des services (parfois à faible coût…) de haute valeur ajoutée.
Alors si la data a été capable d’influencer à ce point le domaine de la santé, pourquoi ne pas s’y appuyer comme levier de compétitivité pour les mutuelles ? surtout, dans un contexte de plus en difficile depuis la fin du 20ème siècle avec une myriade d’évolutions réglementaires, le suréquipement des ménages et une concurrence rude qui a engendré une concentration inouïe du marché de la mutualité. Le nombre des mutuelles en France est passé de plus de 1500 en début des années 2000 à environ 350 en 2020, soit quasiment 5 fois moins !
Ce mouvement de consolidation s’est déroulé selon deux modes : par fusion-absorption entre plusieurs sociétés conduisant à la disparition des petites mutuelles ou de celles qui ont du mal à survivre, ou bien par partenariat sur la base de synergies en maintenant les identités et marques individuelles.
Cette nouvelle situation a dicté un nouveau regard vis-à-vis de la data, les mutuelles sont passées d’une approche data reposant en grande partie sur un modèle probabiliste exploitant des données statistiques comme les tables de mortalité et déclaratives de la part des adhérents vers du prédictif boosté par le big data, la data science et l’IA.
Il a fallu s’ouvrir vers de nouvelles sources et typologies de données comme l’open data ou les données partenaires.
La transition data a aussi nécessité des changements organisationnels pour accueillir de nouveaux corps de métiers liés à la data (Data visualisation, data science, gouvernance de données, …) et de nouvelles équipes (département/direction) qui ont vocation à valoriser, gérer et bonifier le patrimoine data des mutuelles.
Cela a aussi lancé une nouvelle aventure avec les prospects et adhérents via le recours au data marketing et le CRM ainsi que l’amorçage du virage du digital par la création d’espaces digitaux, l’ouverture aux canaux de vente en ligne et la création de partenariat avec des Insurtechs.
Pour les mutuelles, la data s’est installée comme un élément clef de rattrapage du retard pris vis-à-vis de la concurrence, de remise à niveau technologique et d’accès sur de nouveaux marchés.
Actuellement, la data se met au service de nouveaux cas d’usage chez les mutuelles. En voici deux exemples :
1- La personnalisation de l’expérience Adhérent :
Suite au fort mouvement de consolidation des mutuelles, beaucoup d’adhérents ont un peu perdu cette relation de confiance et de proximité qu’ils avaient avec leur « petite mutuelle » qui a disparu ou intégré un grand groupe avec de nouveaux processus et canaux de communication.
La data et l’IA grâce à un mélange de connaissance fine (mais respectueuse : vie privée, RGPD, …) des personnes et de capacité de traitement et d’action en temps-réel, permettent de personnaliser l’expérience client.
Par exemple, des widgets existants et opérationnels sur le marché peuvent facilement se greffer sur les progiciels CRM afin d’aider les conseillers lors des RDV commerciaux en exploitant en temps réel les informations adhérent (couverture produits/garanties, ancienneté, sinistres, comportement digital, analyse de la voix, …) et permettre de proposer d’une manière rapide et efficace de nouveaux services et offres d’accompagnement adaptés.
2- La rationalisation des réseaux commerciaux :
Une autre conséquence directe de la concentration du marché des mutuelles réside dans la nécessité d’optimiser les réseaux d’agences et la recherches de synergies, notamment pour des mutuelles qui après rapprochement, se sont retrouvées avec des agences redondantes et mal réparties sur les territoires couverts compte tenu aussi, de la mise en œuvre de nouveaux canaux digitaux.
Grâce à l’analyse de la data et la puissance de prédiction de l’IA, des applications de machine learning alimentées par des données internes (devis, contrats, …) croisées avec d’autres données externes comme celles de l’INSEE, sont en mesure d’établir des projections précises sur le potentiel commercial réel des agences et répondre au besoin d’optimiser, voire de rationaliser, la présence et la couverture du territoire de la population ciblée.
Mustafa REKIK