Les mutuelles sont des actrices naturelles du « nouveau monde »


A l’heure où les pouvoirs publics semblent de nouveau céder à la vieille pratique de l’instrumentalisation des mutuelles au service de leurs renoncements à une ambition forte pour construire une assurance maladie fondée sur la justice et l’efficacité, quelques réflexions personnelles pour dire qu’il n’y aura pas d’avenir mutualiste sans :

 

-         d’une part une volonté réelle et ambitieuse en matière de différenciation, qu’elle repose sur les activités assurantielles, les services, et même au-delà quant à la revendication concrète d’un modèle différent s’appuyant notamment sur la non lucrativité qui amène à des pratiques de gouvernance politique et opérationnelle originales ;

-         d’autre part une reconquête de l’autonomie des mutuelles par rapport aux pouvoirs publics, se traduisant par le fait qu’elles cessent de se positionner comme des « complémentaires » en toutes choses ce qui les met dans une situation permanente de dépendance, et qui les refrène sur le plan entrepreneurial ou plus largement en matière d’imagination ;

-         enfin un renouveau de l’engagement individuel et collectif dans les organismes mutualistes, au-delà des seuls mécanismes de représentation démocratique.

 

Pour autant, il n’est pas certain que les pouvoirs publics nous facilitent la tâche, et du moins ne faut-il pas compter là -dessus : la problématique de la fiscalité ne sera certainement pas abordée de façon favorable alors qu’elle est clairement problématique quant à l’accès à des services de base ; l’excès de réglementation ne va pas passer de mode, sans induire une réelle régulation de la concurrence ; la pesanteur du droit communautaire sur nos activités n’est pas prête de cesser de produire ses effets en matière de banalisation des mutuelles.

 

Dans ce contexte, le mouvement mutualiste ne peut être ni passif, ni naïf. Nos interlocuteurs publics nous assignent manifestement à résidence dans « l’ancien monde » ; à nous de démontrer que nous sommes de plain-pied, avec notre histoire, nos savoir-faire, notre capacité à innover et notre implantation territoriale, dans le « nouveau monde ».

 

Repenser le modèle mutualiste ne sera possible qu’autour de convictions fortes et partagées dans le mouvement, et mises en œuvre de façon cohérente par ses acteurs même en situation de concurrence entre eux. J’ai la conviction que les mutuelles ont tous les atouts pour répondre à ces enjeux, que je qualifierais au nombre de quatre pour définir les contours d’un nouveau modèle mutualiste en phase avec les enjeux de la protection sociale.

 

-         Réinventer l’assurance santé

Même constitutive d’équilibres économiques tendus et soumise à une concurrence accrue sous couvert de normalisation des paniers de soins et de course aux bas prix, cette activité a vocation à demeurer durablement le cœur de métier de nos mutuelles, à condition de retrouver sa viabilité économique et de rester en phase avec les besoins sociaux. Cela ne sera pas possible sans se réapproprier l’ensemble des dimensions de la protection sociale pour concevoir une « protection sociale globale » et positionner nos mutuelles en « acteurs globaux de santé » présents sur l’ensemble des champs. Les réseaux conventionnés par nos organismes devront contribuer non seulement à maîtriser le reste à charge pour nos adhérents, mais aussi à établir des relations plus confiantes et équilibrées avec les professionnels de santé. L’enjeu n’est rien de moins que de réinventer l’assurance de personnes pour refonder notre différence.

 

-         Retrouver l’esprit d’entreprise au service de l’innovation sociale

Nos mutuelles doivent cesser de raisonner principalement en termes de « complémentarité » en matière d’assurance ; non pas que nous contestions la prééminence de la Sécurité sociale car en bons « assureurs paradoxaux » nous défendons un haut niveau de socialisation de l’assurance maladie, mais parce que c’est un préalable pour retrouver des marges de développement. Nous sommes des « entrepreneurs de protection sociale et de bien-être », et notre organisation collective doit nous conduire à rechercher toujours plus d’innovation. Nous avons aussi des responsabilités d’investisseur et d’employeur, notamment sur les territoires, qui peuvent nous amener à renforcer la mesure de notre utilité économique et sociale. Enfin, de manière indissociable de notre modèle non-lucratif, la performance et l’efficience de nos actions doivent être au cœur de nos préoccupations afin de démontrer de manière constante notre différence.

 

-         Garantir le respect de la personne

Sociétés de personnes, nos mutuelles ont par définition le souci des besoins de chacun au cœur de leurs préoccupations. Alors que les attentes individuelles prédominent de plus en plus, l’enjeu pour nos mutuelles réside au moins autant dans les offres et services à proposer, que dans la nécessité de concilier personnalisation et mutualisation. Les évolutions prévisibles de la protection sociale, par exemple celles liées à la mise en œuvre du compte personnel d’activité, nous poussent à nous engager dans cette voie. Par cette relation personnalisée, c’est vers le rôle de « tiers de confiance » que nos mutuelles vont évoluer, notamment fondé sur la capacité à informer nos adhérents de façon transparente, et à les accompagner de manière efficace à tout moment de la vie. Ainsi éclairés, nos adhérents n’en seront que plus responsables ; c’est du moins le pari que nous faisons. Cette transparence devra également caractériser nos politiques d’utilisation des données personnelles et de santé : dans un contexte réglementaire mouvant, et face à des comportements individuels divergents en la matière, il est urgent pour les mutuelles de se saisir de cette question pour en faire d’abord un sujet politique, débattu démocratiquement afin de recueillir le consentement individuel de chacun dans un cadre aussi collectif que possible, et ensuite un sujet stratégique à l’appui de l’évolution de nos activités.

 

-         Renouer avec l’esprit d’engagement individuel et collectif

Nos mutuelles ne sont rien sans l’engagement de leurs parties prenantes : adhérents, élus, salariés, voire même clients… c’est toute la « chaîne de valeur » de nos entreprises mutualistes qui doit être réinterrogée et mobilisée pour leur redonner de la consistance humaine. Que ce soit pour délibérer de l’évolution des réponses aux besoins en matière d’assurance ou de service, pour amplifier l’influence et l’ancrage territorial de nos mutuelles, ou pour travailler sur des projets innovants, nos mécanismes démocratiques et représentatifs ne peuvent plus suffire, a fortiori dans nos organismes qui pratiquent principalement les contrats collectifs. Surtout, cet engagement est nécessaire alors que nos mutuelles constituent en fin de compte les seuls acteurs collectifs qui ont à cœur de nourrir un large débat sur la protection sociale, alors qu’il a disparu du débat social et qu’il est devenu technocratique voire confidentiel dans l’enceinte politique : notre rôle est donc essentiel pour que nos concitoyens soient encore mobilisés quant à l’avenir de notre protection sociale solidaire.

 

Tous ces enjeux ne sont pas sans conséquences sur nos organismes. Chacun fait ses choix : autonomie, partenariats, fusions, regroupements… le paysage mutualiste est en pleine restructuration avec des conséquences parfois lourdes en matière financière, démocratique, opérationnelle. Mon propos n’est pas de porter des jugements de valeur car ces choix sont au moins à la mesure des ambitions que des moyens de chacun. Néanmoins, si l’ensemble du mouvement mutualiste (et pourquoi pas d’ailleurs en réunifiant mutuelles santé et mutuelles d’assurance ?) pouvait s’engager dans des voies à la fois innovantes et conquérantes, nous passerions sans doute un peu moins de temps à déplorer la perte de parts de marché ou la surdité des pouvoirs publics.


Daniel Hillion

Retraité: Institut Gustave Roussy (Centre de Lutte Contre le Cancer Villejuif) puis Pôle Emploi (Relation Entreprises)

7 ans

Etre acteur global de santé me parait fondamental au moment où le bien-être humain est de plus en plus menacé par le dérèglement climatique et la prolifération d'agents chimiques tant dans l'alimentation que dans la vie quotidienne. Le respect des personnes passent effectivement par une plus grande transparence et en particulier la connaissance par chaque individu des données médicales qui le concernent. Je viens de vivre une expérience bien opposée à ce concept à la suite d'un test de recherche génétique. La Santé c'est bien l'affaire de tous à commencer par le patient lui-même.

Arnaud Lacheret, PhD

Associate Professor - Directeur du MSc PPMBD Paris - Skema Business School

7 ans

Sans vouloir mettre un bémol dans ce beau texte, n'oublions pas que les mutuelles ont un modèle économique qui leur permet de se poser et de voir l’avenir en faisant de la prospective... ce n’est pas le cas, loin de là, de tous les secteurs. C’est pareil avec le bien être au travail et l'innovation sociale... quand on peut facilement prévoir ce qui rentre et ce qui sort, c’est quand même un peu plus simple.

Jerome Schatzman

Director - CISE - Centre for Innovation in Social and Ecological impact - Centre Innovation Sociale et Ecologique - ESSEC Business School

7 ans

Merci Jerome SADDIER pour cette analyse ! Je te rejoins à 200% en particulier sur l esprit d entreprise, l'innovation sociale, et La performance/efficience .

Elles sont aussi les "actrices naturelles" de la réinvention de l'entreprise autour de la notion de qualité (dont la qualité de la vie au travail). A l'heure où les salariés hésitent entre "Exit, Voice ou Loyalty", ne ratez pas ce tournant.

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