La DRH, le salarié et l'appli CPF (V2)

La DRH, le salarié et l'appli CPF (V2)

CPF : Accès simplifié Vs Budget limité

C'était LA mesure phare de la réforme de la formation professionnelle. Son symbole. La désintermédiation de l'accès à la formation et l'individualisation du parcours professionnel. Se prendre en main. Investir pour l'avenir. Les compétences, levier de compétitivité dans un monde de plus en plus globalisé et concurrentiel. Individus et entreprises même combat !

Elle a parfois éclipsé (trop ?) aux yeux du grand public le reste des mesures de la réforme dites «structurelles» et donc moins vendeuses : l'application CPF.

Sa sortie le 21 Novembre dernier a été célébrée en fanfare par la plupart des médias, et une communication de super-production. Le succès en terme de téléchargement ne se dément pas (plusieurs centaines de milliers de téléchargement), même si les retours qualitatifs sont extrêmement mitigés. Largement fantasmée, l'enjeu de cette sortie doit permettre, non pas une révolution (il ne faudrait pas pousser), mais un accès simplifié («sans contrainte») des individus à la formation. Combiné à la monétisation du CPF, le vrai pari est celui d'un effet booster:

«J'ai mes droits en euros et j'ai l'outil pour les dépenser facilement. Logiquement, je pourrais être plus enclin à partir en formation, non ?»

C'est oublier un peu vite que les droits CPF acquis n'atteindront jamais des sommets (Plafond de 5 000 euros au bout de 10 ans de travail) comparativement aux prix de certaines formations certifiantes (notamment les cycles longs).

Alors, toute individuelle que soit la démarche de formation, la contrainte économique fait qu'il faut parfois savoir trouver des alliés...

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Une ère de coconstruction ?

La DRH se sent comme après une gueule de bois quand elle comprend l'impact qu'aura la réforme sur sur son budget formation. Dramatique à l'heure où le premier bilan à 6 ans approche à grand pas (échéance en mars 2020). Elle alerte alors sa Direction.

«Je dois être claire, ce ne sont pas de bonnes nouvelles. Ce sont plusieurs dizaines de milliers d'euros qu'on va perdre dans l'histoire. Plus de financement OPCO pour notre Plan de développement des compétences, alors qu'on doit quand même continuer à former, ne serait-ce que pour être dans la légalité ! Alors comment on fait ? Je vous donne mon avis : on ne doit pas toucher au budget formation. Évidemment on va essayer d'être malins et récupérer tout ce qu'on peut en financements divers.»

Elle repart de cet échange avec une feuille de route. D'accord pour un investissement formation similaire à l'an passé, mais il faudra pouvoir récupérer au moins la moitié de ce montant sur des dispositifs subventionnés. Elle pense d'abord à l'alternance :

«Ça pourrait être bien de développer ça chez nous. Avec notre population qui vieillit, il y a un vrai besoin de sang neuf et de transmission. Mais bon, ce n'est pas dans notre culture. On pourrait peut-être expérimenter sur quelques services cette année avant de généraliser.»

Bon, sur le principe ça permet déjà de récupérer des fonds, tout en étant foncièrement utile à l'entreprise, mais c'est loin d'être suffisant. Il faut aller creuser ailleurs. Le développement de la formation interne, c'est intéressant. Ça peut être L’IDÉE: on économise sur les coûts, on a la maîtrise de la formation, on fidélise nos salariés et en plus pas de déplacements long et coûteux. Elle déchante assez rapidement :

«On part de loin là aussi. Pas de formateurs internes, et quand bien même, ça ne couvrirait pas tous nos besoins. En plus, il n'y a pas de local dédié. Là aussi, je crois qu'on pourrait essayer sur une ou deux formations cette année en guise de test.»

Elle a un entretien dans l'après-midi. Son assistant RH. Il veut faire un point. Ça parle des différentes tâches en cours, des points bloquants, et des problème avec l'externalisation de la paye. C'est la troisième fois cette année qu'il y a des retards et des erreurs. Il évoque alors son projet :

«Ça fait quelques temps que j'y pense, mais j'aimerais utiliser mon CPF pour une formation à la paye certifiante. Ça pourrait être intéressant aussi de récupérer la maîtrise sur cette tâche, et moi j'ai besoin de me développer professionnellement. C'est peut-être l'occasion... Bon, le hic, c'est que je n'ai pas assez sur mon CPF. Alors je voulais voir ensemble si on pouvait trouver un arrangement.»

Un déclic. Pourtant, elle a toujours considéré le CPF- et son récent ancêtre le DIF- comme un droit individuel. L'entreprise n'avait pas à s'immiscer, sauf en cas de formation sur le temps de travail. Mais on était uniquement sur la partie organisation. De là à parler de partager le coût... Mais, c'est peut-être ça la solution après tout :

une envie de se former d'un salarié qui rencontre un besoin d'entreprise (ou qu'elle considère comme une opportunité).

Dans le cas précis de son assistant, on serait sur un investissement 55%/45%. Plutôt avantageux. Surtout que ça fait également quelque temps qu'elle pense à ré-internaliser la paye. D'une pierre deux coups. L'entreprise passe pour une bienfaitrice et répond en même temps à ses besoins en compétences. Elle commence à rêver volume :

  • «Et si j'avais 10 % de mes effectifs qui dépensaient leurs CPF chaque année ?»
  • «Imaginons qu'on ait plusieurs demandes similaires des salariés, on pourrait négocier avec le prestataire et faire baisser les coûts.»
  • «On pourrait même communiquer aux salariés sur le fait qu'on abonde leur CPF pour booster les demandes.»

Ça tourne dans sa tête sur toutes les possibilités ouvertes. L'injonction «Sauvons le budget formation !» se transforme peu à peu en «Transformons-nous !».

Le lendemain, elle fait part de sa stratégie à la Direction qui lui donne le feu vert.

Elle valide dans la foulée l'accord de principe de co-investissement avec son salarié pour son projet. Il la remercie et lui glisse au passage en souriant :

«Bon, maintenant, il reste plus qu'à voir comment on rentre ça dans l'appli CPF ...»

Le salarié revient voir la DRH. Il ne comprend pas. Il a réussi à trouver une formation mais il concède : "Ça n'a pas été de la tarte ! On me proposait des choux et des carottes ! A 300 Km de chez moi, ou à distance... Compliqué de se repérer". Il a essayé de s'inscrire à la session, mais il n'avait pas assez sur son compte.

Comment on fait maintenant ?

La DRH est perdue. Elle ne comprend pas bien comment elle va pouvoir mettre le complément. Elle n'a pas accès au compte de son salarié, et inimaginable de sortir la carte bleue de l'entreprise. Elle passe quelques coups de fil, se renseigne. Au final, l'abondement ne sera pas possible avant le second trimestre 2020. Priorité aux abondements Pôle emploi, Régions et AGEFIPH dans un premier temps. La DRH est désemparée. sensation d'être techniquement bridée est désarmante. Elle ose alors dans un sourire :

«Bon, ben on va attendre alors ...»

Elle ne peut s'empêcher de se dire que dans le monde de la formation la simplicité est comme une chimère. Désirée de tous, elle ne cesse de s'échapper, comme indomptable. Elle regarde sa montre. 18 heures. Elle soupire.


Béatrice Thélémaque

Consultante Qualité de la Formation & Auditrice Qualiopi. Spécialisée dans le secteur médico-social.

4 ans

Belle mise en situation pratico-pratique, bien qu'imaginée ! Merci.

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